Oui je sais ca ne se fait pas, mais je me lance quand même. Je ne me cache pas non plus… par contre je ne le fusillerai pas sur le site.
Est-ce un « quasi »-tabou sur ce site. Quel est votre expérience dans ce genre de situation ?
Qui écoute trop la météo, passe sa vie au bistrot…
En début de semaine je me préparais à squatter le bistrot. Tout comme mes partenaires. Et plus les heures passaient, plus le mauvais temps se précisait. Mon routeur météo perso, Mathieu, lui aussi prédisait du mauvais temps sur les Alpes. Mat est un passionné de météo, mais pas météorologue. Alors il synthétise pour moi, mais surtout pour lui, l’ensemble des modèles météo disponibles sur la toile, et m’informe de ses prévisions quand je lui demande.
Météo France annonce un week-end chargé de nuage, Mat(éo France) est plus indulgent avec mes nerfs. Il pense que le ciel sera découvert sur les alpes du Sud. Avec tout de même beaucoup de neige dans la nuit de Vendredi à Samedi.
Comment ça du ciel bleu. Beaucoup de neige, ce n’est pas grave, on trouvera bien des cascade pas trop exposées. Mais pourquoi ai-je dis on ? Je suis tout seul pour l’instant, et on est quand même vendredi, qui pis est les aiguilles indiquent 15h30.
J’ai contacté toutes mes connaissances. Du blessé au pas motivé, je suis seul. Certain ont donné mes coordonnées à des amis au cas où il y aurait parmi l’un d’eux quelqu’un d’aussi motivé que moi. Raté !
En pleine bourre contre-productive à mon bureau, discuter de choses et d’autres, mais surtout pas de niveau piézométrique ou d’équivalence de perméabilité, mon téléphone sonne. Numéro caché.
- Allo !
- Bonjour, c’est Un-Bon-Gros-Crétin de C2C.
- Bonjour,
- J’ai vu que tu cherchais quelqu’un pour aller faire de la cascade !
- Eh ben oui !
Le piège viens de se refermer sur moi. La machine est lancée et désormais incontrôlable. Nous discutons pendant quelques dizaines de minutes. Tout concorde sur le papier, on veux faire de la cascade de glace, on peux se faire héberger. C’est parti.
Je profite des dernières semaines de congé maternité de ma chef pour filer en douce 1h avant mon horaire normal. Et c’est parti pour un voyage dans les Alpes.
Encore un voyage avec un inconnu. Toujours la même méthode, le même intermédiaire : le meetic de la grimpe Camptocamp. Encore et toujours les mêmes remarques de mes collègues de bureau : « T’as pas peur de partir avec le premier venu comme ça. Tu ne le connais pas et lui laisse presque ta vie entre ses mains… »
Moi ce qui me grise le plus, c’est à chaque fois de toujours raconter sa vie alpinistique à tous ces compagnons d’un jour. Tu sais j’ai fais si…, j’ai fais ça… Eh puis là je me suis pris un gros but bien méchant, on a du faire des rappels dans la nuit. A chaque fois raconter ses exploits. Et quand on arrive sur le terrain de la vie privée, du travail, de la famille ça en devient même presque pathétique.
Mais cette fois-ci je n’ai pas besoin de beaucoup parler. Un-Bon-Gros-Crétin s’en charge. Qu’est-ce qu’il cause. Et fort en plus. Le stéréotype du provençal. J’aurai bien essayé de parler un peu de moi, faire semblant de m’intéresser à ce qu’il dit, mais au bout de quelques minutes je n’ai plus besoin il est lancé. Enfin ça me donne mal à la tête quand même tout ça.
Le pire c’est qu’arrivés chez nos hôtes le soir même, c’est reparti, Un-Bon-Gros-Crétin recommence à débiter les mêmes conneries. Il croit détenir un scoop sur toutes les dernières informations qu’il a entendu à la radio ou lu sur internet, du dernier exploit en alpinisme aux évolutions environnementales en passant par les crises internationales.
Eh dire que je vais en montagne pour trouver du calme, m’éloigner du monde, m’évader de l’oppression urbaine. Même en pleine nuit il est bruyant ce type ! Jamais entendu quelqu’un ronfler aussi fort. Ces ronflements qui vous ôte de votre sommeil, qui vous font penser aux heures qui arrivent avec si peu de sommeil, à piquer du nez aux relais ; le pauvre ce n’est même pas sa faute.
La solitude je la gagnerai le lendemain, enfin presque. Le début de la marche d’approche la boite à parole est en marche. Mais au fur et à mesure que la pente s’accroît et que le cirque s’approche, la boite s’éloigne, se fatigue. Enfin je retrouve un peu de calme, et je peux laisser aller mon esprit dans ses paysages immaculés.
La neige adoucie, et heureusement qu’elle est là. Elle adoucie mes nerfs. Nous suivons un chemin inexistant, imaginaire, qui n’est pas vraiment marqué sur la carte. Mais nous savons a peu près où nous allons. Pour le savoir il n’y a qu’a lever la tête et ouvrir les yeux.
La neige tombe depuis le début, sûrement depuis même la soirée précédente ; comme prévue par les modèles. Nous ne sommes pas non plus dans la partie la plus méridionale des Alpes, mais le soleil fera son apparition en début d’après-midi, juste dans la vallée. Les nuages s’accrochent, mais nous assure des paysages toujours plus magnifique, mélange de blanc, de verre et de marron. Mélange de douceur et de sauvagerie. Mélange d’horizontalité et de verticalité.
La marche d’approche se termine, nous arrivons dans un cirque vierge de trace. La neige de la nuit a recouvert les anciennes et subit notre assaut. Les pentes sont douces et sûres, pas d’inquiétude, la végétation dense en plus de m’émerveiller repose un peu mon attention. En plein milieu du cirque nous choisissons notre ascension, pas forcément d’accord sur ce que nous voulons faire, une courte un peu raide, ou une longue un peu moins raide. Je parle de cascade de glace n’allez pas vous fourvoyer dans des pensées malsaines. Après discussion nous partons pour une courte cascade de 2 longueurs qui semblent bien fournies et assez raides.
Pendant que nous nous équipons, Un-Bon-Gros-Crétin est reparti avec au programme une revue sur son équipement un peu vétuste mais bigrement efficace selon les dires de son propriétaire. Je lui propose alors qu’il commence en tête pour cette longueur.
Avant de partir je lui passe mes broches pour compléter son équipement.
« Oh là juste deux ou trois ça suffira, je ne vais pas poser une broche tous les mètres. »
Enfin de l’action, et enfin du repos pour mon pauvre crâne. Je ne me voyais pas grimper directement et l’entendre derrière moi parler de mon style d’escalade, de mon équipement, de ses courses précédentes.
Tiens ses courses précédentes. Oui parce qu’avant de partir avec quelqu’un qu’on ne connaît pas on donne son CV, même s’il ne le demande pas. Un-Bon-Gros-Crétin grimpe en cascade du 4/4+ en tête, et a déjà fait du 5+ en second. VIVE LES CHIFFRES. Et si on se mettait à grimper à l’instinct. Qui plus est en cascade de glace. Enfin s’il grimpe du 5+ en second il ne devrait pas avoir de problème pour passer ce premier ressaut sans grande difficulté ni raideur apparente.
- Tu es attentif, il y a déjà la glace sous la neige, je vais mettre une broche
Ben à vrai dire on est un peu venu pour tâter du glaçon comme il dit. Et la glace on sait qu’elle est là. Alors oui forcément ça s’enfonce moins bien. Mais les crampons c’est aussi fait pour se planter dans la glace.
-
- je pose une broche, c’est mieux non ?
et d’une voie lancinante je lui réponds :
- je pose une broche, c’est mieux non ?
- oui oui vas-y !
Et là au fond de moi c’est une catastrophe. Je sens que cela va être long, très long. Je sens qu’il ne va pas arrêter de parler pendant qu’il progresse, je sens qu’il va me demander mon avis sur tous ces gestes. Je sens que déjà après 2 m dans le 30° il n’est pas à l’aise.
Frappes approximatives, il assure avec les crampons en tapant à maintes reprise la glace pour se confectionner à chaque pas une petite marche voire une bonne grosse baignoire des familles. Plutôt que de prendre au plus simple, tout droit dans la glace à 60°, il préfère traverser sur la vire ascendante avec le ressaut de glace à main droite. La position n’est pas la meilleure pour grimper, ne sachant pas où poser le piolet droit. Deux mètres plus loin, il s’arrête et pose une broche en prenant bien soin de m’avertir juste avant au cas où, au cas où quoi tiens au fait ?
La vire après 4 mètres s’arrête, l’escalade commence vraiment. Un-Bon-Gros-Crétin s’est dirigé involontairement, ou plutôt à cause d’une erreur de lecture, dans la partie la plus raide du ressaut. Il remonte tant bien que mal un dièdre mi glace sous lui, face sur laquelle il grimpe, mi rocher sur son côté gauche.
- -Tu es attentif, c’est bien vertical, je vais essayer d’arriver aux arbustes juste au dessus, mais c’est dur. T’es attentif hein ! Je vais poser une broche.
Je ne dis mot. Je me contente d’assister à ce spectacle des plus pathétiques. L’arbuste en question est à même pas 2 mètres au dessus de sa tête, la broche précédente est au niveau de ses genoux. Engagement maximum pour Un-Bon-Gros-Crétin.
Les pensées de plus en plus malsaines se font entendre dans le fond de mon crâne. « Il va s’en coller une, avec un joli ricochet contre la face rocheuse. Le sang va couler » Puis cela s’amplifie, passe de l’observation au désir. « Mais vas-y tombe, lâche tes piolets, glisse, s’il te plait, fais moi cet honneur. Je pourrais me réchauffer, aller S’il te plait ».
Mais malgré mes désirs intérieurs, Un-Bon-Gros-Crétin tient bon, surtout la branche de l’arbuste. Oui il a lâché ses piolets pensant prendre appui sur les branches. Mais la glace se couchant un peu, et la branche n’étant pas très rigide, il se retrouve dans une posture ridicule et instable. Son corps vacille en même temps que la branche, il lève un pied, se rapproche de la branche. Les crampons plantés dans la glace devant ses mains accrochées à la branche, son corps tout en arrière.
- Je vais essayer de passer sous la branche. Tu es attentif, ça craint un peu !
- de toute façon t’as pas trop le choix, la glace elle est en dessous !
- Quoi j’ai pas entendu !
- DE TOUTE FAC… NON LAISSE GRIMPE
Je laisse aller mon regard vers la vallée. La neige continue de tomber, mais juste sur nous. La vallée se découvre, les rayons du soleil perce un peu. Le cirque est magnifique mais la cascade est juste dans l’axe de la vallée urbanisée. Ç’aurait pu être parfait, mais la ville est là, toute proche, mais encore endormie à l’heure où nous grimpons. Enfin c’est ce que je pensais. Un coup d’œil rapide sur ma montre, et là horreur, stupéfaction, panique générale, cela fait déjà près de 50 minutes qu’il est dans la cascade et qu’il n’a fait que … Mais qu’est-ce qu’il fout dans les arbustes. Il n’a même pas fait 20 mètres et il quitte la glace, pour aller bartasser un bon coup.
On dirait qu’il a vraiment envie de se foute en l’air. Dire qu’on est venu faire de la cascade de glace, lui il ne trouve qu’une chose à faire, grimper dans les arbres, une sorte de pseudo-mixte franchement inesthétique à souhait.
Un-Bon-Gros-Crétin se retrouve sur une vire sur laquelle la neige s’est entassée. L’eau sous la glace coule et inquiète Un-Bon-Gros-Crétin. Il hésite fait deux pas vers le mur de glace. Hésite encore, refait un pas. Hésite toujours un peu. La glace est mince comme une phalange de mon doigt. Supporterait-elle nos poids. Pas sur. Un-Bon-Gros-Crétin revient sur ses pas, installer un faux relais sur un grosse brindille d’arbuste. A mon tour de monter.
Evidemment je monte sans problème. Il ne faut pas exagérer non plus. Enfin … je ne serai pas passer par là quand même. Ce n’est pas vraiment le chemin le plus évident. Les broches rapprochées inhibe le plaisir de la grimpe. Mais c’était sympa ce petit dièdre.
Arrivé au relais, la glace semble craindre, enfin peut-être, je lui fais faussement confiance. Réchappe en rappel sur la grosse brindille. Un-Bon-Gros-Crétin me mouline jusqu’à ma plate forme d’assurage. Puis je l’attends, encore et toujours. Lent même dans les manips de corde. Une bonne grosse dizaine de minutes pour installer son rappel. Moi de mon côté je scrute un autre passage possible. Un couloir neigeux se dessine sur la droite. Raide sur ses 3 premiers mètres, puis se couche derrière.
Une fois descendu, Un-Bon-Gros-Crétin m’assure. Je tente de franchir ce couloir neigeux. Sans grande conviction, avec tout ce que j’ai vu juste avant, ma motivation a bien baissé, de peur d’être bloquer avec un moulin à parole à un relais.
La neige sans consistance recouvre une très fine pellicule de glace qui permet des ancrages corrects tout de même. Mais mes piolets rebondissent fortement contre le rocher juste en dessous à chacune de mes frappes un peu trop violente. Alors dans ces conditions poser une protection s’avère critique. J’hésite. Je m’apprête à faire demi-tour. Puis je prends le temps de la réflexion. Je suis venu ici pour grimper. Peu importe qui est avec moi, je sais ce dont je suis capable de faire ; et grimper ce petit verrou sans protection est dans mes cordes. Au pire si je chute, il y a un parfait petit matelas de neige qui amortira le choc. C’est parti, j’engage. Jusqu’à trouver une trace de glace où mettre une broche, cinq à six mètre au dessus de mon départ. Petite broche pour glace fine, petite tenue en cas d’accident. Je désirai voir un hélico en attendant au relais, autant faire en sorte que ce ne soit pas pour moi. Trois mètres au dessus, j’assure ma protection avec une seconde plus longue. Je continue à remonter ce couloir. J’aperçoit un relais installé. Il est protégé par un petit ressaut en glace à 80-85°. Broche ou pas broche, tel est la question. Risque ou pas ? Il y en a toujours un. Mais le danger lui est faible, les ancrages sont bon, la chute potentielle serait amortie par la neige, et le ressaut n’est pas si raide et très court, et aussi et surtout finissons en ! Pas broche.
- Vaché
J’attends Un-Bon-Gros-Crétin qui se ré-encorde, pourquoi ? j’en sais rien, il ne voulait pas le faire avant. Il arrive sans difficulté apparente, assez rapidement, peu fatigué et à l’aise sur ses crampons. Contraste étonnant avec ce que j’ai pu voir il y a de ça 30 minutes à peine.
En l’assurant, je réfléchissait à la suite à donner à cette cascade. L’itinéraire à suivre est évident. Un gros mur à 85° juste derrière le relais. Tellement évident que j’ai encore envie d’un petit spectacle. Tel Scapin ma fourberie n’a pas de limite. Je veux encore voir Un-Bon-Gros-Crétin se pavaner dans le raide glaciaire qui nous attend. Cette fois-ci plus de branche, plus de salut pour les lâches.
- Tu es à l’aise là ! c’est bien !
- oui je suis bien !
- Ben c’est cool tu vas pouvoir enchaîner alors avec la longueur suivante.
- Ben ça à l’air un peu raide mais ouai je vais y aller.
Alors qu’il était taqué dans un petit ressaut de 5 m, il est parti sans hésitation dans un mur raide mais pas tout à fait vertical et continu sur 15 m. Je suis fourbe, mais il est inconscient ! Il n’aura pas hésiter en voyant ce mur. Là, j’ai vraiment pris peur. J’ai eu aussi un peu pitié d’Un-Bon-Gros-Crétin. Mais j’étais aussi très excité de le voir partir, tout en espérant qu’il se prenne un gros plomb.
Et pendant toute son ascension je n’espérait qu’une chose, que je puisse bouger. Et une belle chute d’ Un-Bon-Gros-Crétin aurait permis de me réchauffer. Mais Un-Bon-Gros-Crétin n’était pas très coopératif sur ce plan là. Il m’a fait un mauvais remake de sa précédente longueur en tête.
Dans les 10 premiers mètres, la glace approche de la verticalité. Un-Bon-Gros-Crétin se met un bon gros taquet. Après 5 mètres d’escalade, trois broches sont déjà posées, toutes avec la même méthode : Un-Bon-Gros-Crétin plante ses piolets jusqu’à la garde, se confectionne ses baignoire pour ses pieds, et se vache sur son piolet. Une fois la broche posée, Un-Bon-Gros-Crétin me crie SEC !!! Tout ça agrémenter de petites remarques comme : « C’est vertical, c’est très dur, limite surplombant, c’est vraiment dur, qui plus est pour ma première cascade de la saison, tu fais attention, t’es attentif… »
Je me délecte du deuxième acte de cette tragi-comédie. Le suspens est à son comble, et à chaque instant le spectateur (moi) se demande quand le protagoniste (lui) chutera. Parfois Un-Bon-Gros-Crétin rapproche ses deux piolets, plante le gauche à quelques millimètres du droit, le spectateur attentif se dit alors OUI ! c’est maintenant, les deux piolets vont désancrer en même temps avec la formation d’une assiette. Eh ben non ! Un-Bon-Gros-Crétin est toujours bien ancrer à la glace, bien vacher à ses piolets, et bien accroché à la corde tendue.
- Je vais voir, mais peut-être que pour des raison de communication je ferai un relais intermédiaire.
- Mais pourquoi ? Grimpe, te poses pas de question.
- Oui mais tu vas plus me voir après, alors je ferai peut-être un relais avant le prochain ressaut.
Le froid commence à vraiment me prendre. L’attente est de plus en plus longue. Un-Bon-Gros-Crétin se demande s’il va faire un relais, et moi je n’ai qu’une envie, c’est de sortir d’ici le plus vite possible. J’ai froid. Ma haine envers lui commence à vraiment monter.
- SEC !
Tiens il vient de mettre une broche.
Je n’ai même plus envie de regarder ce spectacle affligeant. La cirque enneigé est plus attrayant. Les nuages s’accrochent sur les montagnes au dessus de nous, la neige tombe toujours. Mais en bas dans la vallée, le soleil réchauffe l’atmosphère. Ces rayons ne m’atteignent pas, je suis frigorifié, accroché au relais en attendant qu’un Un-Bon-Gros-Crétin se décide à grimper ou à tomber.
Depuis quelques années, je me suis convaincu de ne plus gueuler sur mon partenaire en montagne. Je suis à deux doigt de craquer. Il est si pathétique. Mais non je n’élèverai pas la voie. Je suis tout de même en train de me poser des questions sur moi-même. Sur le monstre qui est en train de naître en moi depuis plus de deux heures maintenant. Ce monstre qui ne demande qu’une chose : un accident d’ Un-Bon-Gros-Crétin. Pourquoi en suis-je venu jusque là. Moi d’ordinaire si empathique en montagne. Que m’arrive-t-il. Est-ce l’air de ce massif inconnu jusqu’alors pour moi, est-ce la compagnie d’ Un-Bon-Gros-Crétin.
- …EC ! tu v… m…er !
- QUOI ?
- Je descend, moulines moi !
Tiens ! il capitule ?
- T’enlève pas les broches ?
- non tu vas monter, je me suis pas fatigué pour rien.
Bon je vais pas le contrarier. Moi je veux bien grimper, mais faire 15 m avec une broche tous les deux mètres, merci bien !
- tu vas te désencorder, et je vais monter en moulinette sur ton brin, j’aurai pas à me faire chier avec les broches
- ok tu descendra en rappel après, tu sais faire ?
- oui oui t’inquiètes (voie de blasé).
- J’ai pas continué, parce que la glace était vraiment très fine, comme tout à l’heure. On voit le rocher juste en dessous.
- Ah oui (voie de blasé faussement étonné) !
Pendant mes 5 minutes d’escalade, je me demande bien pourquoi je suis la dedans en moulinette. Je passe devant les broches. Toutes plus rapprochées les unes des autres. Heureusement qu’il ne devait pas poser une broche tous les mètres. Qu’est-ce que cela aurait été sinon.
Arrivé en haut de cette demi-longueur, je ne comprends pas pourquoi il n’a pas continuer. Je regarde bien. Un joli ressaut assez semblable au précédent suivait. Enfin si je comprends, mais sa glace fine, je ne la trouve pas.
Mais las de toute cette attente, je n’ai pas envie que cela recommence, que ce soit en tête comme en second. Je pose mon rappel et rejoint mon acolyte.
- T’étais à l’aise, dis donc, tu as monté ça en 5 minutes. C’est vrai qu’en second on a moins de stress.
- Oui oui bien sur.
Il me traverse l’esprit de lui dire à quel point il est ridicule. Que cette mascarade doit cesser. Qu’il comprenne enfin que c’était trop dur pour lui. Mais qu’en aucun ce n’est une honte. Non ce qui est honteux c’était son comportement, vouloir à tout pris grimper en tête, sans se soucier de son niveau ou de celui de son second. Au risque de se mettre dans une situation périlleuse. Ne pas avouer son propre niveau de peur, de peur de quoi ? je n’en sait rien.
Mais comment quelqu’un qui fait du 5+ en second n’est-il pas capable de faire 3 pas dans du 4 voire même du 3+ sans se vacher sur ces piolets et poser une broche. Comment ne lui est-il pas venu à l’idée de dire en bas de la deuxième longueur qu’il préfère rester en second.
Après cette journée éprouvante je voulais que me week-end s’arrête sur cet échec. Ne plus me retrouver dans une cascade avec Un-Bon-Gros-Crétin . Mais on a pas fait 300 bornes juste pour un jour. Le lendemain, on part vers un vallon normalement bien fourni en glace.
Pendant toute cette marche je ne demandais que ça. Pas de glace, s’il vous plait, pas de glace. Je ne veux pas encore me retrouver avec ce type. Au bout d’une heure de marche, les cascades rive droite prennent le soleil et s’effondrent sous nos yeux. Rive gauche il n’y en a aucune. On décidé alors de faire demi-tour. Je cours vers le soleil et laisse Un-Bon-Gros-Crétin derrière moi. Je suis seul, dans ce vallon enneigé. Silence.
Je m’arrête dès les premiers rayons de soleil, sort de mon sac le fromage et le saucisson. Cette fois-ci la ville n’est pas visible. La nature sauvage et blanche tout autour de moi. Je n’aurais pas grimper aujourd’hui mais comme je suis bien ici, seul.
Et c’est dans des moments pareil qu’on se dit : Dieu existe !