Posté en tant qu’invité par l’Urbain:
Pour cette historiette, je vous conseille plutôt une musique calme. Si Mike Horn a sortis un album , c’est le moment de vous le passer. Spéciale dédicace à Clément Cabanac, Benoît Jolly, et tous ceux qui, décidément, n’oseront jamais s’exprimer ici. Entre losers, on se comprend.
…
En sortant de la gare du téléphérique (oui, bon, je l’ai repris. Mais c’était la dernière fois, on peut le faire sauter maintenant), le froid nous saisis. Déjà, en bas, ça caillait, mais là… Imaginez un endroit bien froid, avec de la neige et tout. Bon, et ben pareil, 2600m plus haut.
Mes vêtements sont-ils assez chauds ? Gants offerts par une copine compatissante, sans doute moins jeunes que moi. Je parle des gants. Pantalon été, déjà bien usé, doublé d’un pantalon de K-Way. Guêtres Décat’. Echarpe, bonnet. Sur l’anorak, c’est marqué « Annapurna », avec un petit texte qui explique succintement que, grâce à la recherche, nos vaillants compatriotes ont eu bien chaud lors de la première. Mmmouais. Z’ont quand même perdus quelques orteils. Mais ça, c’est pas marqué sur l’anorak.
Comme d’habitude, Shnoux ne se départis ni de son calme, ni de sa bonne humeur. Je suis bien obligé de faire de même. Après tout, c’est moi qui ai eu l’idée de venir ici. Je regrette déjà. Mais bon, il est midi, et normalement, d’ici 2-3 heures, nous pourrons nous réchauffer au refuge, tout en repérant le chemin à suivre demain. Pensè-je naïvement. Une petite ballade, en somme. Dans la solitude (y’a pas grand monde, en janvier, sur le gacier du Géant), dans un cadre superbe, et, aussi, dans un froid glacial accentué par de fourbes rafales (mais ça se voit moins sur les photos).
Tant que ça descend, l’humeur est légère comme la neige. Ca enfonce bien un peu, mais rien de grave. Et puis, fatalement, on arrive sur un grand plat. Et là, la ballade tourne très vite au calvaire. La neige est croutée…
Pour ceux qui n’ont jamais connu cette infamie, voilà comment ça se passe : tu poses un pied, innocemment, sur ce qui ressemble bien à de la neige dure. Tu commences à y transférer ton poid… CRAC ! tu enfonces de 50 bons centimètres. A côté, marcher dans le sable, c’est reposant. On se relaie tous les 100 mètres pour faire la trace. Soyons honnête : 50 m pour moi, 150 pour Shnoux (oui, mais moi, je suis le cerveau de l’opération. Ca promet).
Et le temps passe…
Quand on arrive sous le refuge, il est 18h30. ll fait nuit. Un dernier effort, et nous voilà au refuge. Il faut encore débloquer la porte (la neige s’est infiltrée à l’intérieur), et enfin on rentre… pour constater avec effroi que ça caille autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. "Enflure démoniaque, ceci est ton oeuvre* ", pensè-je en mon fort intérieur (parce qu’à l’extérieur, je suis plutôt faible et chétif).
Bon je vous passe le repas : des heures à le préparer, gelés sur la banquettes, impossible de se réchauffer, et quand c’est prêt on a plus faim. Vers 21h, on se précipite sous les couvertures. Elles sont toutes gelées. On s’allonge, tout habillés, bien serrés l’un contre l’autre. Et commence la nuit la pire que j’ai jamais passée. A renifler. A claquer des dents, des genoux, des testicules, et de tout ce qui peut claquer (si si, ça claque, une testicule. Avant d’essayer, verifiez que vous êtes bien seul. Ha. Vous voyez. Tout ce que je dis est rigoureusement authentique). A se demander si le vent ne va pas finir par décrocher la cabane, qui tangue un peu trop à mon goût. Quand, à 1h, le réveil sonne, je suis content. C’est dire.
On se jette sur les gourdes en plastique pour se faire un bon café… Evidemment, tout est gelé. Du béton. Armé. Jusqu’aux dents. Adieu, café-clope (le petit déjeuner des vainqueurs).
A cet instant, toute personne normalement constituée aurait décidé la retraite. Faut pas rêver : dans ces conditions, monter au Mt Blanc, puis redescendre au Goûter, sans eau, sans avoir dormis - ou si peu - c’est du n’importe quoi. Mais il faut croire que ni Shnoux ni moi ne sommes normalement constitués. Ou peut-être sommes nous déjà trop fatigués pour être lucides.
C’est donc en direction du sommet que nous partons du refuge. Qu’elles sont jolies, les lumières de Courmayeur ! Attention quand même de ne pas trop les regarder, ça file comme un léger blues. Dire qu’il y a des gens qui dorment au chaud sous la couette…
L’alpinisme est une malédiction. Tel le drogué, l’alpiniste se met lui-même dans des situations périlleuses, dont il a parfois le plus grand mal à se sortir sans assistance médicale et/ou héliportée. Pendant que l’homme normal dort, l’alpiniste fait le con, par -20°C, en plein vent, et pourquoi, hein, pourquoi ? Pour épater sa copine ? Même pas : elle le prend pour un fou, et préfèrerais qu’il soit dans son lit, plutôt qu’à 30 km du premier magasin Lafayette. Pour la gloire ? Non plus, la mode est au football. Pour l’argent alors ? Que nenni : c’est très mal rémunéré, un doigt gelé, et l’alpinisme coûte cher, foi de smicard. Alors pourquoi ? Parce que la haute montagne est une drogue, tout ce qu’il y a de plus dure, et que si l’alpiniste souffre là haut, c’est encore pire en plaine.
J’en étais là (las ?) de mes pensées quand nous arrivâmes au col Moore (prononcer « mort », c’est plus parlant). Maintenant, il s’agit de la trouver, la fameuse sentinelle. Et fissa, parce que si le soleil se lève avant qu’on y soit, on risque de prendre des hectolitres d’eau gelée sur le coin de la gueule. On commence donc à traverser, traverser, traverser… c’est long, on enfonce jusqu’au genoux, et les rafales de vent nous arrêtent, puis nous repoussent vers l’avant. Et toujours pas de sentinelle. Doit y avoir moyen de couper, marre de ne pas prendre d’altitude. J’infléchis discrètement notre direction vers le haut. A Courmayeur, les ridicules petites lumières commencent à s’agiter. Shnoux a de drôles de petits stalagtites qui lui pendent des moustaches. On dirait Jean-Louis Etienne. Quand le jour point, toujours pas de sentinelle en vue, et nous sommes pile sous les séracs… c’est la retraite.
Une retraite qui pourrait bien ressembler à celle de Russie. On en est presque à tirer au sort pour savoir qui va se cacher dans les entrailles de l’autre. Il est hors de question de revenir sur nos pas : le téléphérique, c’est trop cher, c’est tout juste si j’ai pas du faire un crédit pour payer l’aller simple. Nous décidons en conséquence de descendre directement sur Entrèves. Vu d’ici, le glacier de la Brenva a pourtant une sale gueule, et nous ne savons pas si « ça se fait ». Mais l’urgence, c’est de perdre de l’altitude. Marre du froid. Soif.
Heureusement, le soleil finit par se lever franchement. La descente ne se passe pas trop mal : on passe par la tête de la brenva, puis on traverse le glacier, bien bouché, pour retrouver avec soulagement la moraine rive gauche. Vue imprenable sur le GPA, la blanche, Gugliermina et la noire de Peuterey. C’est ce jour là que j’ai compris que l’alpinisme de haut niveau, c’est pas pour moi. On s’arrête un moment pour essayer de faire fondre l’eau. Après un bon quart d’heure d’exposition au soleil, les gourdes nous délivrent généreusement 2-3 gouttes, qui ne font qu’attiser la soif. Le plus dur, c’est de ne pas se mettre à bouffer la neige. Si la CIA ou les RG débarquent, je suis mûr pour avouer tout ce qu’ils voudront.
On arrive à l’entrée du tunnel vers 15h. Autostop. Le gars qui nous prend a une bouteille dans son coffre, mais il ne sait pas depuis combien de temps elle y traîne. Nous ne sommes pas difficiles. On retrouve la voiture à la tombée de la nuit. Chauffage au maximum. Les stalagtites de Shnoux fondent, nos joues reprennent des couleurs. Le retour se fait dans une ambiance feutrée.
La nuit qui suit, je fais d’affreux cauchemards dans lesquels j’ai très froid. Je me lève une dizaine de fois pour boire. Le lendemain, je bois encore des litres. Jusqu’à la fin de l’hiver - rigoureux, cette année là - je frissonerais à la moindre bise. L’année d’après, je retournerais faire une hivernale en montagne, et m’y noircirais quelques bouts de doigts. Je déconseille formellement les gants troués. L’hiver est par ailleurs la meilleure saison pour faire la manche.
Aujourd’hui, je suis de venu raisonnable : quand vient le froid, j’hiberne.
- : une cacahuète à celui qui me trouve le nom du film qui m’a inspiré cette citation.