Petit récapitulatif à l’attention des nostalgiques de l’ancien régime (et qui peut aussi servir à dénoncer l’incompétence et la mauvaise foi des députés qui se sont opposés à la proposition de dépénalisation de Lisa Belluco le 27 mars 2024)
« Le droit à la propriété est inviolable et sacré DONC il est au-dessus des autres droits»
C’est faux. Relisez les phrases complètes de la DDHC: la propriété est un droit parmi d’autres, et non au-dessus des autres (art.1), et il existe dès l’origine une notion d’arbitrage entre propriété privée et nécessité publique (art.17). À une époque où le monde scientifique alerte sur le besoin urgentissime de reconnexion à la nature (ex, ex, ex, ex, ex, ex), l’argument de nécessité publique ne peut plus être balayé d’un revers de main.
« Le propriétaire est chez lui, il fait ce qu’il veut ».
C’est faux. Comme cela a déjà été dit sur cette page, la loi française réglemente un certain nombre de choses, du captage de l’eau à l’exploitation du sous-sol, des coupes forestières à l’incinération des déchets, et évidemment les servitudes de passage liées à la loi littoral.
« Le propriétaire ne veut pas être tenu responsable en cas d’accident sportif ».
Argument caduque: la responsabilité du propriétaire en cas d’accident a été supprimée dans l’immense majorité des cas depuis février 2022, avec l’article L.311-1-1 du code du sport.
Entendre des députés ressortir cet argument en 2024, ça en dit long sur leur incompétence.
« LES randonneurs sont responsables de pollutions et de dégradations ».
Et du pillage des fruits, et des décharges d’encombrants (car c’est bien connu, on s’amuse tous à partir en rando avec notre vieille machine à laver, ou notre vieux canapé, pour les déposer au pied d’un sapin…)
Quant cesseront ces caricatures?
Évidemment, des comportements déplorables existent parfois. Mais si une loi avait vraiment pour but de protéger la nature, elle devrait sanctionner ces comportements indépendamment du fait que l’on est sur une propriété privée ou non. Ça, la Loi du 2/02/23 s’en moque royalement.
Et à plus long terme, on a aujourd’hui les preuves que le seul moyen vraiment efficace pour motiver à respecter la nature, ce n’est pas de faire de l’éducation à l’environnement — les résultats sont insuffisants — c’est de recréer un sentiment de connexion avec la nature, ce qui ne peut se faire qu’en la parcourant et en recherchant le contact avec elle (cf. études citées plus haut).
« Imaginez si des gens venaient faire griller des saucisses sous votre balcon… »
(ou autres variantes avec « faire la bringue », « planter leur tente »).
Combien de fois faudra t-il répéter que tous les pays qui ont légiféré sur un Droit d’accès à la nature font justement la distinction entre les espaces à proximité des habitations, où personne ne demande à troubler la tranquillité du propriétaire, et les espaces lointains, qui ne concernent de fait qu’une minorité de très grandes propriétés. Pour donner un repère, les 750ha de Quinsonas-Oudinot, ça représente 15000 fois la superficie d’un jardin français moyen. Et les sentiers interdits sont situées à plus de 3km du château.
« Vous voulez un état trotskiste/marxiste/léniniste… ».
La Suisse, le Land de Bavière, l’Écosse, l’Angleterre et le Pays de Galles, plusieurs Länder d’Autriche, la Suède, la Norvège, la Finlande, l’Islande, l’Estonie, la Tchéquie… Des états trotskistes, vraiment?
« Les promeneurs nous empêchent de chasser en paix, et surtout de nous faire les couilles en or en louant nos terrains à des sociétés de chasse ».
C’est curieux, on l’entend rarement, cet argument… Et pourtant, comment ne pas soupçonner que c’est celui qui motive une grande partie de l’opposition au Droit d’accès à la nature (pas la totalité, mais une grande partie), et qui a probablement prévalu à l’élaboration de la Loi du 2/02/2023. À savoir, une loi conçue par des sénateurs-chasseurs, qui se présentent comme les seuls citoyens capables d’apprécier pleinement les « instants fugitifs de bonheur que procure l’immersion dans la nature" (cf. introduction du rapport au Sénat en 2e lecture du 30/11/2022). Un loi qui a certes un coté vertueux avec la limitation de l’engrillagement, mais dans un projet de société où les randonneurs sont essentiellement vus comme des intrus qui troublent la tranquillité du « gibier » (pas « des animaux », mais « du gibier »… tout est dit!).
Notez également que, dans sa version initiale, cette loi prévoyait en article 2 une amende de 1500€ — l’équivalent de la sanction pour des violences volontaires entrainant une ITT de 8 jours — pour des randonneurs qui ne provoquent aucune dégradation et dont le seul tort serait de continuer à emprunter des chemins autrefois autorisés. Et que cet article a été conçu par Jean-Noël Cardoux, le même sénateur qui, en 2019, a tenté de faire adopter une loi créant un « délit d’entrave à un acte de chasse »: 30000 € d’amende et 1 an d’emprisonnement.
Autrement dit, il est difficile de ne voir dans ces fermetures de sentiers qu’un effet de bord insuffisamment anticipé, et non une volonté délibérée de la part de ceux qui ont conçu ce texte, et qui sont tout sauf des imbéciles.
Mais jusqu’à présent, tout cela reste dissimulé sous le prétexte « protéger la propriété privée ».
Quand les masques tomberont-ils?