Deux alpinistes coincés à Vallot, dont un pompier du GMSP

Bon. Tout a été dit, il me semble.

Pour ce qu’elle puisse avoir d’utile, voici mon expérience similaire. Attention! C’est long!

ça devait être en 96 ou par là.
On montait le MB depuis le ref Gonella, en Italie. La prévision: arrivée du mauvais temps le lendemain après-midi. Théoriquement on avait le temps de monter et redescendre. Au départ on demande à la gardienne pour la pression. Pas bougée. Ciel étoilé. On y va.

En montant, quelques étoiles disparaissent derrière quelques nuages fins. Rien de bien méchant.
À l’arrivée au Piton des Italiens déjà le jour pointe et on voit de plus en plus de nuages, mais rien de bien méchant. Le sommet on ne le voit pas depuis là.
À l’arrivée au Dome de Gouter, on voit le sommet du MB caché par un joli nuage lenticulaire. Des hordes d’alpinistes entrent dans ce nuage pour faire sommet. Nous avançons jusqu’au Vallot. Plutôt avec l’idée de se faire une pause et re-descendre, vue la météo. Quand on y entre il fait déjà franchement mauvais.

Pendant le temps de prendre notre casse-croûte, plein d’alpinistes entrent dans le Vallot à se réfugier. Dehors c’est la tempête. On siffle, on gueule… pour guider quelques naufragés de la montagne jusqu’à l’abri. Nous, on n’ose plus sortir. On est à ~70 personnes de-dans. Ce qui connaissent l’endroit, imaginez la situation dantesque !

Un guide communique avec le PGHM par la radio-téléphone du refuge. Le temps va empirer encore plus et ça va durer. Il faut sortir de là le plutôt le mieux. Ben… on se mobilise. Pour sortir de là 70 personnes, ce n’est pas rapide… Les guides avec ses clients, vous savez, ne traînent pas ses pattes quand il s’agit de se sauver. Déjà qu’ils ne traînent pas quand la montagne invite à la contemplation… Le cas est qu’ils sortent les premiers et ils se barrent. Quand le commun des mortels arrivons à démêler les cordes, mettre les crampons etc etc …et sortir du refuge… là il n’y a personne. Que le brouillard et un vent d’enfer. On ne voit rien du tout. Une descente organisée ? Tu parles. Aucun reproche. Simplement surpris à l’époque, j’étais encore naïf, tu sais ? L’esprit montagnard… et tutti quanti… :rolleyes:

On rentre dans le refuge. On est 48, exactement. Tous étrangers, aucun guide. C’est bien connu, ces étrangers qui visitent les Alpes sont tous très mal préparés. Mal préparés aussi pour communiquer avec le PGHM. Vu que personne ne parlait un mot de français, je prends le leadership parce que j’avais passé un mois à Lyon, une fois. Avec mes 4 mots de français je fais comprendre au PGHM que on est là, que on est 48, et que on n’a aucune intention de bouger. Ils me disent que c’est très bien comme ça, qu’il faut que nous nous préparions à une longue attente…

Passer une longue journée avec sa nuit à 48 dans le Vallot est une expérience intéressante. Les tas de poubelle qui jonchent ce refuge deviennent des confortables matelas. Le problème est qu’il n’y a pas d’espace pour s’allonger, et dormir assis alors que les allemands d’en face te plantent les Koflach dans les côtes ce n’est pas top. Quelqu’un explique alors qu’une fois 22 types sont morts congelés dans le Vallot. Mythe ? Légende urbaine ? Pas très entraînant en tout cas.

Finalement le PGHM nous annonce une petite trêve du mauvais temps pour lendemain, vers 7h du mat. Il faut que on profite pour descendre. Ben… on y va. Effectivement il n’y a plus de vent. Mais on ne voit rien du tout. C’est la purée. Ce que les guides n’avaient pas été capables de faire nous ne le sommes pas non plus. Descente organisée ? Tu parles. Chaque cordée part dans un sens différent. 3 italiens uniquement décident de rester au Vallot… les malins. Nous suivons de notre coté une cordée de 3 allemands (tiens! ce sont ceux qui nous plantaient les Koflach dans les côtes !!). Ils semblent porter le chemin correct… et plus important, ils ont une boussole! alors que nous étions l’archétype de l’étranger mal préparé.

Curiosité. Un campement d’alpinistes de l’Europe de l’Est sur le col du Dôme qui n’était pas là la veille est en train de se lever. Il y a au moins une demi-douzaine de tentes. Ce n’est pas un mirage. Ils sont en chair et os.

Nous continuons et bientôt nous sommes perdus. La neige qui tombe depuis un moment a effacé notre trace. On ne voit rien 1m devant nous, et quand c’est mon tour d’ouvrir trace je suis terrifié de tomber dans une crevasse sans la voir. À un moment donné on craint d’avoir contourné le Dome jusqu’aux pentes italiennes. On revient en arrière. On ne sait plus où on est. Après on croisse les alpinistes de l’Europe de l’Est qui levaient son campement (on dirait que Sarko est passé par là), et qui descendent… vers où ? on ne le sait pas. Ils descendent… On les suit. Avec les 3 allemands de la boussole, complètement déboussolés, à nos trousses. Ils descendent un glacier qui a plein de crevasses, de plus en plus… Bossons? Taconnaz ? Aucune idée. Finalement avec les 3 allemands avec qui nous avons lié notre destinée, on fait un conclave et on décide que cette descente dans les crevasses est trop incertaine. Je rappelle que on ne voit rien du tout. Il neige. La neige efface notre trace et le mauvais temps est de retour, en forme de vent violent, très violent. Bref… on décide, comme Mika7428, de chercher le Vallot. Et on commence un déambuler dans la montagne. 8 heures se sont écoulés depuis notre départ et on n’a aucune idée d’où est-ce qu’on est. Dans la routine de la marche fatigant dans la neige poudreuse je commence à revoir un après l’autre tous les événements marquants de ma jeune vie, en pensant que c’est peut-être le dernier jour où j’ai le temps de penser à ce genre de choses. C’est curieux comme on se tourne vers le passé quand on n’a plus de futur. Comme les vieux, j’imagine…

On a la pente à droite, on imagine donc que on a le Dome à droite. On monte en appuyant à gauche pour chercher le col. Il y a de moins en moins de pente… ça dure, ça dure… et petit à petit elle se lève à gauche. On conclut que on a dépassé le Col du Dôme et que on marche vers les pentes italiennes. On revient en arrière. On trouve un énorme bâton qui marque le Col. On ne voit toujours rien mais on sait que depuis ce bâton il y a un bâton chaque 100m jusqu’au Vallot. Comme on est encordés à 6 (les allemands sont devenus déjà des potes) on arrive à trouver un bâton sans abandonner le précédent. Imaginez le cirque ! :smiley:

Et qui trouvons nous dans le refuge !? Les 3 italiens !!! qui ont passé la journée peinards à vider une bouteille de grappa !
C’est 19h et on est à nouveau dans le Vallot. À 9 cette fois-ci. On dormira confortablement, au moins. Le vent hurle dehors.
Vers 20h quelqu’un ouvre la porte. C’est le gardien du Goûter, avec un autre guide, qui viennent avec un type tout bleu. Enfin… pas tout. Les lèvres et les bouts des doigts sont noirs. Le type ne dit rien et il a du mal à avaler le thé que les guides lui offrent. Ils l’ont trouvé sur le Dôme où il a passé la nuit. Son copain n’a pas survécu et il est encore sur place. Le gardien et son copain nous expliquent qu’ils ont fait la montée depuis le Gouter en plaçant des balises tout le long, essayant de trouver des alpinistes égarés. Tu vois comme finalement ils sont des gens biens, ces guides ! Parmi les 48 du Vallot, uniquement une douzaine sont arrivés au Gouter, du reste on n’en sait rien. Des alpinistes de l’Europe de l’Est, personne n’en sait rien non plus. Je vous jure, ce n’était pas une hallucination messieurs ! Ils étaient au moins une vingtaine, et sont partis par là… Le gardien nous regarde d’un air bizarre. Probablement il y avait un de mes 4 mots de français qu’il ne comprenait pas.

Ils appellent l’hélico qui va monter tout de suite pour descendre le monsieur tout bleu. Dehors le plafond de nuages est descendu et le soleil couchant offre une image magnifique sur la mer de nuages. Le vent est toujours aussi fort. On nous offre gentiment un billet pour l’hélico que les italiens et nous nous empressons d’accepter. Il faudra descendre de à 3 dans une petite machine. La grande ne pouvant pas monter dans ces conditions, elle nous attend à mi chemin, sur un pré jusqu’au quel la petite fera des allés-retours (!?).

Les allemands, eux, ils décident de rester pour tenter le sommet lendemain, parce qu’ils « savent » qu’il fera beau. Et ben… il y a des courageux !

Ils finiront par appeler l’hélico lendemain matin sans avoir atteint le sommet.

De ma part j’ai eu « l’honneur » d’être le dernier à descendre, avec un guide et le pilote. On m’a demandé si ça me gênait que l’on aille voir quelle était la position exacte du cadavre de l’ami du monsieur tout bleu. ça ne me gênait pas, au contraire… La nuit tombait presque, et ces sommets qui transperçaient la mer de nuages, illuminés par les derniers rayons de soleil, dessinaient un cadre sublime. Même pour un cadavre. Surtout pour un cadavre.

Je me demande s’il en y a eu d’autres, des cadavres, ce jour là. Je ne l’ai jamais su.

Lendemain on a eu le droit à la une du Dauphiné Libéré. Une photo du Vallot et le titre « 24 heures dans l’enfer » pour expliquer « l’aventure des 48 rescapés du Vallot ». Un de mes copains garde encore ce journal.

De retour chez moi, après d’avoir expliqué ma mésaventure à quelqu’un, il m’a regardé d’un air comme en pensant « quel débile, celui-là… » et il m’a demandé pourquoi je n’avais pas un GPS sur moi. (c’était le début des gps).

  • Trop cher - tout était trop cher pour moi à l’époque. Sauf l’essence pour aller en montagne! C’était ça l’essence-tiel: aller en montagne. Le comment, c’était moins important.
  • Et elles coûtent combien tes chaussures de montagne?
  • Bon d’accord - J’ai acheté le Garmin eTrex, le jaune (le seul modèle à l’époque) que je n’ai jamais utilisé après. Et je suis très content de n’avoir jamais du l’utiliser. :slight_smile:

Beau récit, marquant.

[quote=« Bacchus, id: 1193973, post:41, topic:111623 »][/quote]

sacrée aventure !

Un beau récit, en effet, et une aventure qui forge un alpiniste, sur ces endroits réputés paumatoires en cas de brouillard !

bravo pr le récit, en tout cas ton français a bien évolué depuis le temps…

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Merci, mais il reste encore un long chemin. J’ai édité le texte pour essayer de le rendre un peu moins difficile à lire. Vous avez eu de la patience !

Comme dans l’apprentissage de la montagne. On n’en fini jamais…

Tout ça pour être à la Une… C’était calculé.

beau récit ! tu es de quel pays ? car ton français est excellent !

pour l’avoir vécu, pas au Mont blanc heureusement, c’est hallucinant comme on perd ses repères dans le brouillard…

D’où l’importance de la carte de la bousole et de savoir tirer un azimut.

Ce que l’auteur du premier récit a su mettre en oeuvre.

Merci pour ces deux récits…

Qu’en est il de la faim et de la soif dans ces cas là? As t on peur de mourir déshydraté ou de faim? Ca me stresse!

J’imagine même pas le calvaire si on est mal équipé… car déjà avec doudoune et compagnie… on doit bien avoir froid à se casser les dents à force qu’elles claquent!

« un joli nuage lenticulaire » comme celui là?

Pour ma part en témoignage ce jour là, on a continué jusqu’à valot… c’était en 2007 (aller retour depuis la voie normale du gouter… rien de très dure… mais une première pour nous à ces altitudes), il y avait eu des morts de froid durant l’été sur le mont blanc par cause de brouillard.
On est rentré dans l’abris pour se réchauffer un instant (il y avait encore du soleil dehors… mais heureusement, on est sortit rapidement).
Est ce que le nuage, c’est passagé? … parfois ça dégage et c’est tout bon… nous on a flippé de se faire prendre par le brouillard et de finir congelé (cf les morts de la saison de gens errants dans le brouillard et le froid)!
Du coup, même si le sommet paraissait faisable … on a fait demi tour (de toute façon si le sommet est pris… on verra rien… on reviendra… c’est déjà super chouette). On était content de pas venir des 3 monts… et d’avoir à traverser.

Et bien, on a eu juste le temps de dégager! On a descendu le col… mais là… c’est pas encore gagné! Il faut traverser le dôme… et le brouillard était déjà à nos talons… c’est fou comme il descend vite!! C’est fou aussi comme les traces peuvent disparaitre aussi vite!

Ce n’est pas un récit épique, il nous est rien arrivé… mais c’est juste pour témoigner que c’est très facile de se faire surprendre par le brouillard là haut… nous on est partit en pensant avoir bien de la marge… et en fait on était juste-juste.

J’en profite aussi pour témoigner de la difficulté de trouver son chemin dans le brouillard… même avec une bousolle! Déjà, le problème c’est de distinguer le sol du ciel… c’est tout pareil! Ensuite il faut savoir à temps où on est pour choisir son chemin (ne pas hésiter à sortir la boussole tout de suite!)

Il m’est déjà arrivé de douter de ma boussole, acheté le matin même en pensant à un défaut de fabrication!
Genre on doit franchir un col, c’est la tempête de neige, je connais bien le coin… on y va… on est plus très loin de toute façon du refuge! Finalement je reconnais plus le terrain et je sors la boussolle… avec la carte (azimut… contre azimut… on essaie de tenir une direction)…
Le refuge est à 5minutes à peine derrière le col… on redescend de l’autre coté… et finalement on trouve des traces… cool !!! On est sauvé… elles doivent mener au refuge! On passe à coté d’un gros bloc caractéristique qui nous dit quelque chose… et là grosse déception et frayeur aussi… ce sont nos traces! Comment est ce possible??? on en sait rien… L’endroit est un grand cirque… on a passé un col… on voit pas comment c’est possible d’être au point de départ!
Les traces sont quasi effacées… on décide prudemment de rentrer tant qu’on voit encore quelque peu nos traces… et on réfléchira plus tard sur les raisons paranormales de ce qui nous est arrivé :wink:

oui, une occasion de rappeler que Vallot n’est pas un refuge au sens commun, c’est un abri de secours
autrement Bacchus, à propos de l’attitude des guides, elle s’explique par une règle très simple, même si elle n’est pas toujours connue : un guide n’a le droit de s’occuper d’aider d’autres alpinistes en péril qu’à partir du moment où son ou ses propres clients sont en sécurité. Sinon et s’il arrive quelque chose à ses clients, il sera automatiquement jugé responsable et condamné.
La seule fois de ma carrière où j’ai condamné un guide, c’était dans un cas de ce type. C’est un autre cas similaire qui a donné lieu à la dernière condamnation de guide dont je me souvienne, à la descente du Tacul il y a trois ans ou quatre, le guide s’était arrêté donner la main à un collègue dont un client avait chuté en crevasse et avait laissé ses deux clients descendre seuls. Une autre crevasse les attendait …

[quote=« Freenours, id: 1194338, post:53, topic:111623 »][/quote]

Dire Straits
Telegraph Road

[quote]A long time ago came a man on a track
Walking thirty miles with a sack on his back
And he put down his load where he thought it was the best
Made a home in the wilderness
Built a cabin and a winter store
And he ploughed up the ground by the cold lake shore
The other travelers came walking down the track
And they never went further, no, they never went back
Then came the churches then came the schools
Then came the lawyers then came the rules
Then came the trains and the trucks with their load
And the dirty old track was the telegraph road[/quote]

Ton récit est très émouvant, Bacchus. Tu as le ton juste.
Je connais le coin, j’ai fait le Mont Blanc par la voie la plus fréquentée, il y a 5 ans. Le beau temps était avec nous. Je vois très bien le refuge Vallot et j’imagine que tu as vécu cette aventure comme un terrible cauchemar, comme sonné par les événements. Dans ces moments critiques, on a l’impression d’être déconnecté des détails et de la réalité et pourtant, après, ils reviennent tous à l’esprit et on ne les oublie jamais.

Freenours, je ne saisis pas très bien la condamnation de ce guide. Est-ce lui qui a demandé à ses clients de redescendre seuls sans l’attendre ?

ben oui

Posté en tant qu’invité par elbilloutte:

ahh ce fameux col du dome…
on s’y était perdu une fois en revenant de la traversée bionassay…
pourtantrien de bien méchant, c’était juste des nuages coté italien qui déguelaient un peu coté français…
on s’est fait recouvrir et on a tourné en rond peudant une bonne heure…
ce passage n’est certainement pas à négliger quand le temps se gate (de toute façon c’est signalé dans tous les topos)

De l’usage du GPS

Au Dôme ou au col des Dômes, avoir un GPS prend tout son sens
1°) : on le branche à la montée
2°) on a des piles de rechange en fond de sac
3°) le GPS est dans le blouson
éventuellement 4°) avant le 1°) on prépare la course en récupérant ds traces sur internet !

Et là, on fait Vallot - refuge du Gouter sans stress !

Pour ma petite expérience
Nous étions partis pour le Grand Combin par le couloir du Gardien avec mauvais temps annoncé pour l’après midi ! Donc lever 1 h 30 du matin (à peu prêt). Au départ grand beau, vers 5 h 30 ça se couvre sur le Mont Blanc et vers 7 heures on est dans la tempette et le jour blanc. Où sommes nous passés à la montée ? Plutôt que de stresser à sortir la carte (dans la tempête, avec la neige qui tombe…), la boussole, l’altimètre, l’alti… Bref un petit coup de GPS et zou, on est juste un peu trop haut et en 30 secondes (à skis) on retrouve nos traces !

A mon humble avis, le GPS, comme antistress c’est idéal ! Ça n’empêche pas d’avoir carte boussole alti, mais à mon avis pour descendre du Mont Blanc…

Bravo pour vos récits, c’est toujours instructif de partager ses expériences ! Je pense que moi aussi, j’aurais traversé le Mont Blanc pour retrouver ce havre de paix qu’est Vallot !