Bonjour Floc,
Comme je ne partage pas tout à fait ta vision des choses, je vais me permettre de partager la mienne et n’hésite pas à y répondre pour que je puisse un peu mieux comprendre ton point de vue, je crois qu’une bonne façon d’avancer reste le dialogue et l’effort de compréhension des diverses opinions. Vu qu’on a du temps en ce moment, on peut en plus se permettre de faire cet effort
Même en essayant de prendre du recul et de me détacher de mes convictions, je trouve que la crise actuelle montre justement les limites de la privatisation et de la gestion purement financière d’un certain nombre de services (elle montre plein d’autres trucs aussi mais là il est question de privatisation). Il me semble qu’elle met même particulièrement en évidence que certains types de services stratégiques ne doivent pas être gérés comme une entreprise « classique » avec comme seul objectif la rentabilité (ce qui devient voire est devenu le modèle, y compris dans le public), mais qu’ils doivent avant tout être vus sous l’angle de leur utilité (sociale, stratégique, …) et gérés comme tels, quitte à accepter qu’on y dépense un peu d’argent « pour rien ». Des services publics en somme. Un peu dans l’idée de « gouverner c’est prévoir », et pas seulement prévoir les chiffres, mais surtout anticiper les besoins et prévoir les crises, ce qui ne peut se faire qu’avec une vision un peu long terme, ce que ne permet pas selon moi une gestion purement financière.
Je pense évidemment aux hopitaux. Attention, je ne dis pas qu’il faut prévoir en permanence 50000 lits de réa « au cas où », ca parait stupide, mais après avoir fermé pas loin de 100000 lits depuis les années 90 (tous ne sont pas de la réa mais on peut imaginer que dans ce nombre il y en a certains qui le sont), on est en train d’essayer d’en ouvrir en urgence 10000. La différence d’ordre de grandeur me laisse à penser qu’on ne serait pas autant en panique si nous en avions plus dès le départ, parce qu’un des vrais problèmes en ce moment c’est avant tout l’engorgement des services de réanimation. Pour rester sur cette crise, même genre de remarques sur les wagons ambulance de la SNCF, dont le nombre a été fortement réduit en 2014 pour des histoires de budget, on voit bien qu’on en est à bricoler en urgence des moyens de transfert alors que nous les avions à disposition il n’y a pas si longtemps. J’ai plein d’autres exemples si besoin. Alors oui ca coutait un peu cher, mais on voit que finalement ca pouvait être utile, et même en termes purement financiers, on pourra après coup se demander ce qui aura couté le plus cher entre arrêter tout un pays pendant 2/3 mois, ou bien avoir maintenu quelques services « au cas où ».
Ce sont des exemples en rapport avec la crise actuelle, mais il y en a plein d’autres (que je ne connais certainement pas d’ailleurs) qui pourraient avoir les mêmes répercussions dans le cas de crises d’autre nature (cf l’exemple donné par Nolan sur le blackout), ou qui ont un tel impact sur l’organisation de notre société et notre avenir que ca ne me parait pas inintéressant d’avoir un certain regard dessus qui soit autre que purement économique, donc privé.
Quant à ta remarque sur les impôts, je crois sincèrement qu’on devrait arrêter de les voir comme quelquechose de confiscatoire, mais plutôt recommencer à les voir comme un investissement pour des infrastructures et services qui nous servent à tous (quitte effectivement à avoir un peu plus de visibilité sur ce à quoi ils sont employés, et s’assurer qu’ils servent avant tout à être réinvestis pour le bien commun), qui sont notre propriété commune, et par conséquent beaucoup plus faciles à mobiliser et à coordonner par l’Etat (nous en l’occurence, toi y compris, nos impôts servent tout le monde, dont toi, pour se payer des services qu’on ne peut pas s’offrir individuellement. La différence avec une assurance ou une mutuelle, c’est qu’on a un droit de regard dessus, ne serait-ce que parce qu’on vote, et qu’on peut donc dans une certaine mesure choisir vers quoi on veut les dépenser) quand il y en a besoin. Est-ce qu’en ce moment on ne se dit pas que finalement, au lieu d’avoir racheté un 5ème téléphone et donné de l’argent à une boite qui ne paye qu’à moitié ce qu’elle doit, on n’aurait pas préféré que cet argent serve, par exemple, à ouvrir un lit, ou stocker des masques, ou avoir une chaine logistique plus performante, ou prendre correctement en charge les personnes qui n’ont pas notre chance matérielle?..
Il me semble que ce qu’on voit actuellement c’est que face à des événements de cette nature et de cette ampleur (et encore, sans vouloir minimiser la gravité de la situation, je suis persuadé que des crises autrement plus dramatiques nous attendent si on ne change pas de cap), malgré l’individualisme qu’on nous/se pousse à adopter, et bien la seule réponse possible c’est une réponse commune, pas individuelle, et c’est aussi une réponse anticipée, pas du dernier moment, que ce n’est pas en mode « marché » qu’on règle le problème, que ce n’est pas en mettant la pression sur la demande que l’offre d’urgence augmente par magie si elle n’a pas été anticipée. En l’occurence, quand la demande en question c’est principalement le minimum qui permet de vivre, personnellement je préfère que l’offre soit gérée, au moins en partie, par nous via nos impôts que laissée à des intérêts particuliers, qui n’ont pas a priori comme ligne directrice le bien du plus grand nombre (je ne dis pas qu’ils ont le « mal » du plus grand nombre comme horizon, mais simplement qu’ils ont comme horizon l’argent, qui dans certains cas se confond avec l’intérêt public, dans d’autres cas non. Quand il s’agit de téléphones ce n’est pas bien grave, quand il s’agit de santé/eau/électricité/… ca me parait déjà plus discutable ).
Et encore, quitte à parler d’argent, je ne me suis placé ici que sous l’angle du « service » que l’on s’offre par toutes ces infrastructures et services. On peut aussi se poser la question, comme cela a été mentionné dans le fil, de la stratégie qui vise à privatiser des services rentables (autoroutes, AdP, …). Alors certes ca fait une injection ponctuelle importante de cash, mais quid de ce choix dans une stratégie moyen/long terme qui devrait aussi être une grande part du rôle de l’Etat? (en tout cas tant qu’on s’accorde à dire qu’il faut un Etat, ce qui semble être ton cas, tu ne m’as pas l’air de proner l’anarchie ).
Edit: texte tronqué!