[quote=Francois]Il me paraît intéressant de comparer deux outils indispensables à l’homme moderne, jeune, dynamique, performant, efficace et productif, âgé de moins de quarante ans et promis à un bel avenir jusqu’à ce que la cinquantaine le jette sur le pavé glissant de la rue.
J’entends l’Opinel et le couteau suisse.
Mais attention, le VRAI couteau suisse Victorinox Officier Suisse Stainless Rostfrei ou Wenger Delémont Switzerland Stainless l’arbalète de Guillaume Tell etc… mais c’est pareil depuis ce 26 avril 2005 où Victorinox a pris le contrôle de Wenger. Attention aux imitations, notamment espagnoles, bien que je n’aie quoique ce soit contre nos amis d’outre Pyrénées, mais enfin, quand il s’agit d’un sujet aussi brûlant…et puis, une imitation reste une imitation. Ne pas confondre avec une contrefaçon, qui est une copie conforme.
Avant de pousser plus loin cette pénétrante analyse, permettez-moi, chères lectrices, de revenir sur cette histoire d’arbalète qui m’a empoisonné la vie pendant un certain temps. J’avais d’abord pris cette gravure pour un parapluie ou une ombrelle, tant elle était peu explicite. Et pendant longtemps, j’ai retourné cette question dans tous les sens :
- Mais quel diable de rapport peut-il bien exister entre ce foutu parapluie et un couteau suisse ?
Sans trouver de réponse, naturellement.
Puis un jour… éclair ! illumination ! fulgurance mystique !
Alors que, assis sur le sommet ruiné d’un pic de l’Oisans - si je puis risquer ce pléonasme sans choquer les puristes - j’avais entrepris, tel Noé au Mont Sinaï, de trancher dans le vif d’un saucisson Justin Bridou, la révélation m’aveugla, m’éblouit malgré mes lunettes noires…
- Bon sang ! mais c’est bien sûr ! m’écriais-je in petto, couteau suisse ! Guillaume tell ! la pomme ! l’arbalète !
Tout s’éclairait !
Ce n’était pas un parapluie ! c’était une arbalète. L’arbalète de Guillaume Tell !
La vérité sortait enfin nue du puits.
Remarquez qu’au lieu de l’arbalète, ils eussent pu graver une pomme… il est vrai qu’une pomme est un fruit qui, si l’on en croit les textes, a valu pas mal d’ennuis à un certain nombre de gens, dont Guillaume Tell… et puis finalement, pour un couteau, l’arbalète, plus viril, plus guerrier, l’arbalète, c’est finalement mieux… finalement.
A quoi reconnaît-on une imitation ? Ce qui saute aux yeux, pour celui qui a déjà eu le privilège de tenir en main cet instrument mythique voire mystique, c’est que la forme de la croix est différente. Ensuite, il n’y a pas toutes les petites gravures que j’ai causées Victorinox etc… Le couteau suisse est fabriqué en Suisse, à moins qu’il ne soit délocalisé en Chine ou en Corée et fabriqué par de petits zaziatiques qui travaillent quatorze heures par jour pour des queues de prunes, mais toujours sous contrôle Confédéré, c’est important.
La caractéristique principale du couteau suisse Victorinox Officier Suisse Stainless Rostfrei ou Wenger Delémont Switzerland Stainless l’arbalète de Guillaume Tell etc… (pour alléger le texte et pour me simplifier la vie, j’écrirai désormais : « le couteau suisse ») la caractéristique principale du couteau suisse, dis-je, est que le temps n’a pas de prise sur lui, le temps glisse sur lui comme de la pluie sur un canard. Que vous en soyez l’heureux propriétaire depuis un ans, dix ans, trente ans ou plus, il reste toujours aussi brillant, net, propre, neuf, toujours aussi désespérément neuf que si vous l’aviez acheté avant-hier au quincaillier du coin. Tellement neuf que c’en est chiant. On dirait un couteau de débutant (bien que je n’aie quoique ce soit contre nos amis débutants; j’ai moi-même été débutant).
Parmi les innombrables accessoires que propose le couteau suisse à votre sagacité, certains sont utiles, d’autres, on se demande à quoi ça peut bien servir, d’autres encore que l’on découvre, avec stupéfaction, des années plus tard (râpe à fromage, par exemple…) d’autres enfin qu’on ne découvre jamais et dont l’existence, confidentielle, n’est connue que du seul spécialiste. Tout ce petit monde nickelé, chromé et brillant est soigneusement rangé dans son enveloppe rouge foncé, frappée de la croix suisse, propre, net, lisse, rien qui dépasse. Cependant, remarquons que, quand tout ce petit monde est de sortie, l’instrument ressemble étonnamment à un porc-épic en fureur. Ca fait désordre. Mais le cas est assez rare et n’a lieu que si l’engin doit faire l’objet de sérieuses études universitaires dans des laboratoires spécialisés.
Après avoir tourné autour, parlons maintenant de l’utilisation quotidienne du couteau suisse par un montagnard normal. J’entends par là quelqu’un qui n’a pas fait de suffisamment longues études pour évoluer avec élégance et sécurité parmi les arcannes labyrinthiques et les circonvolutions méandreuses du couteau suisse.
En fait, c’est un peu une loterie. Quand on tire sur un truc grâce à la petite encoche astucieusement disposée par le fabriquant sur le flanc nickelé du truc en question, on ne sait pas trop ce qui va surgir : une grande lame ? un petit dé à coudre ? une cage à oiseau ? la collection complète des « 100 plus belles… » ?… mystère… Cette incertitude est pour beaucoup dans le charme du couteau suisse.
Incertitude et charme entretenus par l’astucieuse petite encoche. Car enfin, après avoir placé de façon judicieuse l’ongle adéquat (pouce ou index, les autres ne fonctionnent pas) dans l’emplacement prévu à cet effet, que va-t-il se passer ?
La méthode expérimentale montre qu’il va se passer de deux choses l’une :
- Soit on se retourne un ongle, mais les pragmatiques et helvétiques concepteurs ont installé de quoi soigner : ciseaux, lime à ongle. C’est le cas le plus probable, à moins d’avoir des ongles d’une résistance à toute épreuve. Ou des ongles suffisamment courts auquel cas on ne pourra pas les introduire dans la fente, et le combat cessera faute de combattants.
- Soit on a de la chance, on ne se retourne pas un ongle (ou plusieurs suivant le nombre de tentative) et on extrait, par exemple, la pelle à tarte… alors qu’on avait besoin de l’évide-trognon.
Pour en finir sur ce chapitre du couteau suisse, citons une dernière mais néanmoins assez ennuyeuse caractéristique, pour un couteau (même suisse), c’est qu’il ne coupe pas. Comment le voit-on ?
C’est très simple : les pragmatiques et talentueux concepteurs n’ont pas cru utile de prévoir, dans leur outil, de trousse de première urgence.
D’ailleurs les suisses emmènent toujours (en cachette) un Opinel de secours.
La transition est toute trouvée et donc, si vous le voulez bien, si vous le souhaitez, je vous parlerai, la prochaine fois, de l’Opinel.[/quote]
François Grémillard
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