Mon expérience, mon opinion, sur un cas forcément différent. Il m’est arrivé de perdre mon coéquipier dans la descente à ski du Mont-Blanc (peut importe pourquoi, je vous assure que ça peut arriver plus facilement qu’on ne le pense), au niveau du Grand Plateau, et de déambuler seul dans le brouillard et la neige, au milieu des débris de séracs, des traces confuses, des crevasses, avec qui plus est personne derrière moi (en fait si, il restait un groupe, équipé de GPS). Comme le passage où je pensais me trouver ne ressemblait en rien à ce que j’avais connu, et que je connaissais en revanche le danger de partir trop à droite, j’ai préféré appeler le gardien du refuge des Grands Mulets. Celui-ci ne m’a pas été d’une grande aide (quoique…) puisqu’il m’a conseillé de descendre, peu importe la direction, pour minimiser mon temps d’exposition aux séracs, m’avouant qu’il ne connaissait pas l’endroit. Mais là n’est pas la question. Je pense avoir bien fait de l’appeler, pour plusieurs raisons. L’une est que mes collègues n’étaient pas joignables. L’autre, qu’il me semble important de donner sa position pour faciliter d’éventuelles recherches en cas de suraccident (chute en crevasse par exemple). La dernière relève de l’idée que j’ai de l’entraide montagnarde - du sommet j’avais appelé le PGHM pour une chute en crevasse et étais allé à leur demande prendre des nouvelles du groupe.
Je ne suis pas un grand fan de la technologie en montagne. Je râle dès que je vois un spit. Je pense avoir une petite expérience de la montagne, pas tellement par le nombre des courses effectuées, mais davantage par la nature souvent exploratoire et autonome de celles-ci. Je suis quelqu’un de prudent, réfléchi, qui prépare ses courses. Je n’ai jamais appelé les secours pour ma cordée. Je suis toujours descendu par mes propres moyens, parfois dans un état pas glorieux. Pourtant je suis content d’avoir eu ce jour-là mon téléphone avec moi et d’avoir laissé mon orgueil de côté pour composer ce numéro. Je me suis senti bête, mais la vie vaut plus que sa petite éthique déjà bien malmenée de montagnard idéaliste. Bien sûr, j’étais effectivement là où je pensais être, et avais très justement pensé que le terrain glaciaire pouvait avoir changé en l’espace de deux ans : je m’en serais certainement sorti seul. Ensuite, entre sauver une vie, fusse-t-elle la sienne, et terminer une ascension, il y a un pas que probablement je ne franchirai pas, à titre personnel.