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Dans la version de Premier de Cordée produite il y a quelques années (par la TSR je crois), c’était le bouquetin qui était chassé au lieu du chamois car beaucoup plus facile à filmer (évidemment il n’y avait du côté de Chamonix pas un bouquetin à l’époque du roman).
Sur la chasse du bouquetin en Suisse lire ceci :
Safari mexicain dans les Alpes
Tous les ans, une cinquantaine de chasseurs venus de l’étranger, ou de cantons voisins, déboursent entre 8000 et 15000 francs pour avoir le privilège de tirer un bouquetin parmi les plus âgés. «Le Temps» a participé à l’une de ces traques passionnées.
Laurent Nicolet
Samedi 22 octobre 2005
«Ne te fais pas de souci, mon pote, tu seras très bien à Mexico.» Gustavo Ayala murmure à l’oreille du bouquetin qu’il vient d’abattre. Une seule balle aura suffi, tirée depuis un rocher de l’arête du Bel-Oiseau, au-dessus du lac d’Emosson. Le chasseur mexicain essuie la bouche de l’animal, un mâle de 12 ans, et enfonce dans ses naseaux des mouchoirs en papier pour éviter tout écoulement de sang.
La loterie aux trophées
La traque avait commencé deux jours plus tôt, sur les hauteurs d’un autre lac, celui de Tanay, en compagnie de Philippe Dubois, le garde-chasse responsable d’un secteur allant du lac Léman à la cascade de la Pissevache. Ayala fait partie de ces chasseurs, une cinquantaine par année, qui viennent du monde entier ou d’autres cantons tirer un bouquetin en Valais, moyennant une somme comprise entre 8000 et 15000 francs suivant la longueur des cornes.
Cette opération commerciale a également un but régulateur: «Il s’agit de stabiliser la population des bouquetins, en constante augmentation, et d’équilibrer la pyramide des âges, selon un plan de tir agréé par l’Office fédéral de l’environnement», explique Philippe Dubois.
Les chasseurs valaisans ont droit, par un système de loterie, à tirer 200 bouquetins par année, toutes catégories confondues, les trophées des vieux mâles de plus de 11 ans étant cependant réservés à ces chasseurs de l’extérieur, souvent fortunés.
Passion pour le bouquetin
Gustavo Ayala, lui, n’est pas vraiment un homme riche. Ingénieur en électronique à Mexico City, il a économisé sou après sou pendant une année pour se payer son bouquetin. «Ma femme ne sait pas combien ça me coûte et, si elle savait, elle me tuerait.»
Ayala appartient à une association internationale de chasseurs spécialisés dans les mouflons et les 14 espèces de bouquetins recensées de par le monde. Il est allé tirer des animaux en Chine, en Mongolie, en Alaska, en Colombie-Britannique.
La chasse, explique-t-il, il l’a «dans le sang»: c’est en faisant une fugue à l’âge de 14 ans qu’il tire son premier animal, un cervidé local. Il rapporte la tête et la peau. Commentaire paternel: «C’est quoi cette merde? Fous-moi loin tout ça.»
Rien à faire: depuis, tout son temps et son argent y passent. Pour pouvoir lire les revues internationales de chasse, Gustavo apprend l’anglais. «C’est la seule chose de bonne que la chasse t’ait apportée», lui a dit son père.
La découverte du Valais
Le bouquetin, version alpine, il a fait sa connaissance il y a cinq ans, chez un ami, tombant en arrêt devant un trophée. Après s’être renseigné, il lui est vite apparu que seul le Valais offrait la possibilité de le chasser à un prix comparativement raisonnable. Le chasseur mexicain submerge alors le Service valaisan de la chasse de téléphones, fax et autres mails, car la liste d’attente est longue. «Je mettais mon réveil à 2 heures du matin, pour les avoir au bout du fil à la première heure en Suisse.»
Supplice et martyre
Gustavo Ayala aime expliquer ce qu’il a appris au cours de ses différents voyages. En Mongolie, par exemple, les chasseurs lui ont fait la démonstration de l’excellente vue des bouquetins: «Ils lui ont enlevé un œil, puis retiré le cristallin, qu’ils ont posé sur une lame de couteau. On remarquait bien que ça fonctionnait comme une puissante loupe.»
Lors de la première journée de chasse, il sue pourtant, souffre et peine à hisser ses 110 kilos sur les hauteurs. Pire, il y a des bouquetins partout, mais aucun qui corresponde au profil autorisé. La traque s’apparente alors au supplice de Tantale. «Ils sont incroyablement beaux, j’adore ces animaux.»
Pourquoi, alors, tuer ce qu’on admire tant? La réponse fuse, très mexicaine: «La mort d’un animal, c’est un peu chaque fois comme la passion du Christ. Qui se souviendrait du Christ sans la mort qu’il a connue? On tue un animal pour le garder près de soi, pour toujours.» La maison de Gustavo Ayala, à Mexico, abrite près de 80 trophées ou animaux entiers, naturalisés.
La deuxième journée sera encore plus épuisante. Après trois heures de marche, il faut bien constater, au col du Bel-Oiseau, que les bouquetins attendus ne sont pas au rendez-vous. Ne reste plus qu’à longer l’arête: un troupeau est censé y avoir ses quartiers, tout à l’autre bout, au lieu-dit Fontanabran, mais la progression, dans la caillasse, est difficile, surtout à une allure mexicaine.
La tremblote du tireur
Le garde-chasse Dubois et son auxiliaire François Gay-des-Combes, un vétéran de 70 ans aux 39 permis, sont pessimistes: «A ce rythme on n’y arrivera pas avant la fin de la journée». Mais soudain, un ixième coup de jumelle révèle la présence en contrebas d’une dizaine de mâles, parmi lesquels un individu de 12 ans. La distance est évaluée grâce au télémètre de Gustavo: 180 mètres.
Le garde-chasse interroge le chasseur: «Tu peux tirer à cette distance?» Ayala affirme qu’il n’y a aucun problème. Dubois est dubitatif. Il a connu quelques déboires avec certains clients: «Ils se prétendent tous les meilleurs tireurs du monde. Mais dès qu’ils voient le bouquetin, ils se mettent à trembler d’émotion, ils doivent s’y reprendre à plusieurs reprises pour atteindre la cible.»
«Moi je ne tremble qu’après le tir», rétorque sobrement le pistolero mexicain. Avant d’ajouter: «Tout ce voyage, tous ces efforts, voilà, c’est seulement pour les deux minutes qui vont venir.»
«Un coup magnifique»
Deux minutes qui dureront en fait deux heures. Gustavo s’est allongé, il tient le bouquetin dans son viseur. Le garde-chasse est à ses côtés, où il a installé un télescope: on voit la cible couchée au milieu de trois congénères. On ne tire habituellement pas sur un animal couché. Il faut attendre.
Le garde-chasse glisse une balle dans sa propre carabine. On ne sait jamais. Gustavo, lui, sait. Il lui demande de retirer la balle: «Philippe, si tu tires, c’est toi qui paies.» Dubois fera juste semblant d’obéir.
Deux heures donc à tenir l’animal en joue, sans bouger. Jusqu’à ce que la situation se décante. L’animal s’est levé. Ayala soudain fait feu. Dans son télescope, seul le garde-chasse a pu constater la réussite du coup: «Il est mort, je l’ai vu rouler, j’ai vu les poils s’écarter au moment de l’impact, un coup magnifique, très difficile, bravo.»
L’écorchement
C’est alors que le vétéran François Gay-des-Combes va se révéler être l’homme de la situation: il s’agit en effet maintenant de dépouiller et de dépecer l’animal, opération compliquée encore par le fait que Gustavo Ayala veuille emporter avec lui non seulement le trophée, mais la peau, pour naturaliser son bouquetin en entier.
Or, François Gay-des-Combes n’est pas que chasseur, il est aussi maître boucher et taxidermiste. Il regrette seulement de ne pas avoir de crochets pour lever la bête: «Avec des crochets, je lui enlève la peau d’un coup, comme le pyjama à la femme.»
Le lendemain, c’est lui qui, à son domicile martignerain, lavera la peau et fera bouillir la tête. Pour l’heure, à pleines mains, il sort les intestins, qu’il jette en contrebas pour le plus grand délice du renard, du gypaète, du grand corbeau, de l’aigle royal, du chocard.
Epreuves d’amour
Gustavo s’étonne: «Il ne sent pas. Celui que j’ai tiré en Mongolie avait une odeur épouvantable.» «C’est parce qu’il était en période de rut», explique Philippe Dubois. «Les bouquetins sont en rut à fin décembre, c’est leur cadeau Noël, et dès novembre ils sentent très fort.»
Gustavo Ayala est reparti, il y a deux jours, pour Mexico City, avec sa carabine, son trophée et la peau de l’animal. Face aux reproches probables de sa femme quant aux côtés légèrement envahissants d’une telle passion, il a une réponse prête, toujours la même: «Je te souhaite de trouver dans la vie quelque chose que tu aimes autant que j’aime la chasse.»
© Le Temps, 2005