Posté en tant qu’invité par Nico:
Neige artificielle : raisons et déraisons
Agnès Biau*, Audrey Ducros**, Jacques Pulou***
Cet article prolonge celui de la lettre eau de décembre 2004 [1]. Comme la plupart des articles sur le sujet, celui-ci utilise notamment les données de [2] renouvelées par celles plus récentes issues de [3]. Nous présenterons quelques éléments quantitatifs tant à l’échelle nationale qu’au niveau de quelques territoires des Alpes du Nord. Une nouvelle dimension sera explorée ici, celle des conséquences d’un équipement complet des domaines skiables, perspective que le réchauffement climatique probable crédibilise. Enfin, cet article ne traitera que des impacts physiques sur la ressource en eau et sur la consommation énergétique, écartant l’impact sonore des « enneigeurs » et les conséquences sur le milieu naturel et le paysage.
Introduction
La fabrication de neige artificielle a des exigences particulières de température et d’hygrométrie, conditions réalisées de 6 à 700 heures par an selon les professionnels. Les consommations d’eau et d’électricité se concentrent sur un petit nombre d’heures durant lesquelles s’exercent un fort appel de puissance électrique et un grand prélèvement d’eau. L’équipement exhaustif des domaines skiables aboutirait à multiplier par 5 leurs besoins actuels en eau et en énergie.
L’eau
La demande
En France, la fabrication de neige artificielle mobilise de 10 à 15 Millions de m3 (Mm3) d’eau par an. Dans la perspective d’un équipement complet, ce volume ne dépasserait pas 100 Mm3. Il resterait comparable aux volumes d’eau alimentant quelques réserves hydroélectriques des Alpes du Nord situées à l’altitude des stations. Le tableau suivant montre que même en se limitant aux seuls apports d’eau hivernaux (novembre à mars) une marge existe.
Réserve Hydraulique Altitude en m Apports annuels d’eau en Mm3 Apports de novembre à mars en Mm3
Grand’Maison 1565 105 > 10
Roselend 1500 385 50
Chambon 980 264 35
On pourrait conclure à un faible impact de la neige artificielle comparé à l’hydroélectricité .
En réalité, chaque cas diffère suivant le lieu, la quantité et le moment des prélèvements. Peu de captages bénéficient d’apports tels que ceux de Roselend, de Grand’Maison ou du Chambon. Ils s’effectuent généralement dans un cours d’eau, plus rarement à une source ou sous terre (dans les zones noyées des karsts ou à leur résurgence comme à Villard-de-Lans et, bientôt, à Autrans). Ils s’effectuent en hiver durant l’étiage des cours d’eau. Le débit appelé est de 5 à 15 litres/seconde par canon, quelques dizaines suffisant largement à assécher les maigres eaux d’un torrent de montagne en hiver.
La demande en eau est telle que certaines stations puisent dans le réseau d’eau potable. En 2001, la dégradation de la qualité de l’eau potable dans une commune de Haute Savoie a forcé l’arrêt des enneigeurs. En 2005, Megève et le Grand Bornand ont manqué d’eau.
Les retenues collinaires
Les retenues d’eau permettent de s’affranchir des débits naturels et de limiter les impacts sur les cours d’eau. En l’absence de lac (comme à l’Alpe d’Huez, à Tignes ou à Orcières) on aura recours à des retenues artificielles dites collinaires.
L’effet des retenues est triple :
- Report des fortes eaux de printemps et d’été en montagne sur la période hivernale,
- Etalement des prélèvements dans le milieu naturel,
- Sécurisation par indépendance des débits en rivières.
Si l’on considère un domaine skiable de 20 pistes de 5 ha chacune (largeur 50 m longueur 1 km), l’élimination de tout prélèvement direct hivernal réclamerait des retenues de plusieurs centaines de milliers de m3 alors que les volumes habituels sont de quelques milliers à quelques dizaines de milliers de m3. Ces volumes sont incomparables avec ceux des retenues hydroélectriques qui comptent en dizaines de millions de m3, mais des volumes de 300.000 m3, pour les Deux-Alpes et de 240.000 m3, au lac de la Vieille en Savoie, sont en projet.
L’extension de l’enneigement artificiel entraîne l’accroissement des besoins en eau en altitude et donc la création de retenues de plus en plus élevées (le projet des Deux-Alpes mentionné ci-dessus se situe à 2750 m). Avec l’altitude, l’eau liquide se raréfie l’hiver et l’augmentation des précipitations sera largement compensée par la diminution de la surface des bassins versants et l’augmentation des périodes de gel. Cela conduit à la multiplication des retenues et à l’augmentation de leur taille, retenues alimentées par pompage depuis l’aval, ou gravitairement par la fonte.
Impacts et risques des retenues collinaires
Les retenues limitent l’impact sur les cours d’eau et évitent le recours aux réseaux d’eau potable. Cependant, les retenues se localisent préférentiellement sur les dépressions, en détruisant souvent des milieux naturels remarquables (zones humides, tourbières,….). Ce risque augmente avec la taille et le nombre des retenues : un compromis est à trouver entre ce risque et la pression sur les cours d’eau. De forme rectiligne et au fond recouvert d’une bâche, les retenues collinaires montrent une intégration paysagère limitée et une absence de renaturation. Berges en pentes douces et fond en terre permettraient la recolonisation par la végétation lacustre et la faune correspondante. Des efforts sont tout de même réalisés, comme dans la station de la Clusaz où un bois de résineux cache une retenue. Elles demandent aussi d’importants ouvrages connexes comme les pistes d’accès pour les engins de chantier et la maintenance. Enfin se posent des questions de sécurité: rupture ou glissement de terrain auraient de graves conséquences. Valmorel a abandonné le remplissage d’un bassin, suite à une amorce de glissement de la digue.
L’électricité
Un rapide calcul montre que la consommation énergétique des enneigeurs est d’environ 100 GigaWattheure (GWh) . L’extrapolation à un équipement total aboutit à 500 GWh soit 1/10ième de réacteur nucléaire et à un peu plus de 0,1% de la consommation française. C’est considérable ! Cependant les 3890 remontées mécaniques françaises doivent consommer entre 3 et 500 GWh. Le chauffage électrique, très répandu dans les stations de ski avec une consommation encore supérieure, complète le tableau. Ces trois types d’usages renforcent les pointes de consommation pour partie assurées par des centrales à combustible fossile. L’enneigement artificiel augmente donc vraisemblablement les émissions de CO2. C’est en réalité le modèle énergétique des stations d’altitude qui est ici mis en cause, les enneigeurs n’apportant qu’une contribution de plus !
Chiffres clés de l’enneigement artificiel en France
4283 ha de pistes enneigées soit 15% de la surface des pistes, dans 188 stations françaises ; 4000 m3 d’eau/ha enneigé, En 2004/05 : 55% de l’eau consommée provient des retenues, 30% des cours d’eau et 15% du réseau d’eau potable ;
8000 m3 de neige produite/ha (0,80 cm de hauteur de neige) ;
Énergie consommée : 25.000 kWh/ha de piste/an. 70 retenues existent en Isère, Savoie, Haute Savoie et Hautes Alpes et une vingtaine sont projetées;
Saison 2004/05 : Budget de la neige artificielle > 8% du budget de la station.
Conclusion
A grande échelle, l’impact de l’enneigement artificiel paraît faible par rapport à d’autres usages. Même si les consommations globales sont moins importantes que celles des centrales hydroélectriques, elles ajoutent une consommation supplémentaire. Ces consommations sont discutables pour une activité de loisirs, alors même que ces ressources font défaut pour des usages et des populations peu favorisés. Par ailleurs les impacts locaux peuvent être importants. La faiblesse récurrente de la police des eaux et de la surveillance réglementaire incite à la prudence d’autant que l’hiver ne facilitera pas les contrôles. Il en est de même pour les risques liés aux retenues. Le développement des enneigeurs ne doit plus être mené de façon anarchique, au coup par coup, sans tenir compte des effets cumulatifs mais doit être accompagné d’une vision globale durable, dans le respect maximal des milieux naturels et de l’alimentation en eau des communes.
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Références
[1] Quête de l’or blanc : les milieux naturels de montagne payent le prix fort !
Delphine Grelat, Lettre eau N°29-Décembre 2004
[2] Etude de l’impact de la production de neige de culture sur la ressource en eau en hiver, en montagne, rapport de l’ ECOLE NATIONALE DU GENIE DE L’EAU ET DE L’ENVIRONNEMENT DE STRASBOURG, 2002
http://www.eaurmc.fr/documentation/files/impact-canon-neige.pdf
[3] Les chiffres clefs du tourisme en montagne, Orientation, Développement et Ingénierie du Tourisme en France http://www.odit-france.fr/les_chiffres_cles_du_tourisme.405.0.html
[4] http://www.afsse.fr/index.php?pageid=716&parentid=424
http://www.afsse.fr4
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