Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:
Bol.
Le mot dont les alpinistes ne sauraient se passer.
En cabane, leurs journées commencent toujours par un bol de thé ou de café. En chemin, ils prennent un bol d’air. Pour échapper aux divers dangers qui les menacent, il leur faut avoir du bol. Ils en ont parfois ras-le-bol. Et lorsqu’ils arrivent à l’étape, on leur sert un bol de soupe.
L’alpiniste qui n’a pas de bol, n’est pas celui qu’un gardien de cabane rancunier a privé de ce récipient pour avoir passé commande d’un litre de thé à trois francs plutôt que d’une bouteille de Dôle à trente balles. Celui qui manque de bol est, par exemple, le grimpeur qui s’envole avec la prise qu’utilisaient avec bonheur les varappeurs depuis cinq générations. Il a suffi qu’il l’effleure, pour qu’elle se sépare de la montagne et pique vers les abîmes sans fond, lui accroché derrière. Dans ce cas, il se viande salement pour n’avoir pas eu de bol.
Le plus souvent, bol et manque de bol s’associent pour rendre la vie de l’alpiniste vraiment intéressante.
Le fameux guide récemment dramatiquement disparu, Jean-François Rouge dit Rodzet, des Posses-sur-Bex, escaladait la difficile Kingwand, dans les Engelhörner, lorsque le bloc de rocher auquel il se tractait glissa lentement hors de son logement (manque de bol). Rodzet amorça un déséquilibre vers l’arrière et le vide sans fond. Les lois de la gravité firent que, une fois déchaussé, le lourd quartier de roche que Rodzet tenait à bout de bras le retira vers l’avant. Il retrouva son équilibre (coup de bol). Jetant alors un coup d’œil vers le bas avec l’idée d’y balancer le parpaing, par la grâce d’une brève trouée dans les brumes engloutissant la paroi (bol), il constata qu’une autre cordée se trouvait juste à l’aplomb de sa position (pas de bol). Il lui était dès lors impossible de se débarrasser du pavé sans risquer de blesser quelqu’un. Ne pouvant rester figé sur quelques médiocres prises jusqu’à ce que les poules sachent se servir d’un couteau, Rodzet replaça le moellon dans son logement… à charge pour le grimpeur suivant de résoudre le problème.