Comment est-il possible de commettre d’aussi grosses erreurs en montagne ? J’ai du mal encore aujourd’hui, alors que ce monstre hante chacune des minutes de mes journées, à comprendre ce qui nous a poussé à descendre ce couloir sachant qu’on allait se mettre sérieusement en danger au retour. La connerie ? Je vais avoir 42 ans et j’ai fait ma première sortie en ski de rando à 14 ans. Mes parents ont failli être emportés par une avalanche de fond sous le refuge de Chabournéou dans les années 80. Je connais les risques au printemps et j’ai toujours respecté les horaires. Pas mercredi.
D’abord on a été très lent et on est sans doute partis trop tard. On a perdu beaucoup de temps pour trouver l’entrée du couloir, pour nous décider à y descendre, pour installer un relais qui tienne, pour désescalader sous le rappel. La remontée à la brèche de Charrière a été très pénible, on enfonçait presque jusqu’au genoux dans une neige pourrie en train de regeler. On a tout essayé : à pieds, avec les skis, puis à pieds. Cette remontée a été interminable. Si bien qu’on s’est retrouvé en haut de la brèche à 17 h 30. Oui, 17 h 30 ! Et il fallait descendre un versant SW compliqué, baigné de soleil, avec deux verrous plus raides dont celui du bas très exposé aux avalanches, un jour où le BRA annonce risque 4 l’après midi. Là encore on aurait pu faire demi tour, rentrer par Villard d’Arène, tant pis pour la voiture. Non, on est descendu dans le Clot de la Somme en s’appliquant, en essayant de minimiser les dangers, en évitant certaines zones, en skiant l’un après l’autre, en se protégeant quand on pouvait. Chaque virage dans le verrou du haut déclenchait des petites coulées qui venaient mourir sur le replat dessous. Sous le verrou le ski était même presque bon. On se sentait presque rassuré car des coulées moyennes qui se déclenchaient spontanément dans les raides pentes ouest de la Tête Sud de la Somme venaient s’arrêter sur le glacier. Le verrou du bas a été un peu difficile à descendre : recherche d’itinéraire, déchaussages, …
Sous les dernières barres, alors que j’entamais la dernière traversée nous ramenant dans le vallon de Bonne Pierre, j’ai entendu un grondement sourd. Thierry, trente mètres derrière moi a crié : « Attention Olivier ! ». J’ai levé la tête : une énorme masse de neige est restée comme en suspend au dessus de moi. J’ai fait un virage et j’ai essayé de m’échapper latéralement. J’ai pris le maximum de vitesse. L’avalanche était tombée, le bruit était de plus en plus fort. L’air s’est brouillé, de petites boules de neige m’ont dépassé. Elle était juste derrière moi. Je ne me suis pas retourné. Devant moi une sorte de mini moraine non enneigée faite de blocs rocheux allait m’empêcher de fuir. J’ai pensé que je devais la traverser ou je mourrais. Le contact avec les rochers a été rude. Les skis se sont tout de suite bloqués et n’ont évidemment pas glissé. Je suis tombé. J’avais encore un ski. Je me suis retourné : une large chute continue, charriant des blocs rocheux, sautait la barre. Je me suis mis en boule. Un souffle a aspiré mon chapeau. Je recevais des petits fragments de neige. J’ai cru que c’était fini. Mon ski à deux mètres de moi a été emporté par le bord de la coulée qui est venue lécher le pierrier. Une deuxième vague presque aussi forte est arrivée. Je me suis relevé, j’ai franchi le pierrier un ski au pied et je me suis éloigné.
Tout s’est joué à une poignée de secondes. Une petite hésitation à essayer de traverser ce pierrier à ski et j’étais emporté.
La fin de la descente a été très difficile avec un ski dans un manteau complètement pourri. Il a fallu traverser deux fois le champ de la coulée. En prenant du recul on a pu observer qu’une partie du versant ouest sous la glacier de la Somme est descendue. Une cassure bien nette large de 100 à 200 m était visible vers 2900 m. L’avalanche a traversé la trace de montée de la Brèche de la Somme et s’est arrêtée dans le ruisseau de Bonne Pierre vers 2000 m.
Je n’avais jamais vu d’avalanche de fond. Je ne mesurais pas la puissance que cela pouvait dégager et ne pensais pas qu’un versant entier pouvait partir spontanément.
Nous n’avons pas vu avec Thierry la course dans sa globalité, focalisés sur ce couloir difficile qui était notre objectif. J’ai du penser en m’engageant : « Le retour, on verra bien… ». J’ai honte de moi. Il faudra sûrement du temps pour que j’oublie.