Posté en tant qu’invité par l’Urbain:
« En amour comme à la guerre, il s’agit de cogner d’abord, et, éventuellement, s’il y a des survivants, de discuter ensuite »
Obélix Urbain.
J’ai toujours parcouru les montagnes dans un esprit de liberté.
Qu’est-ce que la liberté ?
C’est une bonne question, je vous remercie de me l’avoir posée. Ce qui ne m’empêchera pas de ne pas y répondre.
Définir la liberté participe de la même ânerie que d’enfermer les animaux sauvages pour les préserver : en les enfermant, ils ne sont plus sauvages, mais deviennent maniaco-dépressifs ou neurasthéniques, pour le plus grand bonheur de nos chères têtes blondes, qui peuvent ainsi jeter des cacahuètes aux tigres sans craindre de se faire bouffer.
De la même façon, définir la liberté revient à l’enfermer dans une petite boîte. Elle cesse donc d’être libre. Et qu’est-ce qu’une liberté pas libre ? Heu, c’est une question nulle, vous pouvez vous la garder.
Autant on ne peut pas définir la liberté, autant on peut toujours dire ce qu’elle n’est pas.
Quand on manie des concepts, on en est loin.
Quand on définit des pratiques, on en est loin.
Quand on fixe des règles, on en est loin.
Quand on applique à l’ensemble de l’humanité ses propres convictions, on en est loin.
Mais l’homme est un esclave, qui ne peut s’empêcher de manier des concepts, définir des pratiques, fixer des règles, et appliquer ses propres convictions à l’ensemble de l’humanité. Je vous entends maugréer, aussi m’empressè-je d’ajouter : moi le premier.
Où se trouve le dernier espace de liberté ?
Parmis mes connaissances, ils sont nombreux à y avoir répondu, qui en se jetant sous un train, qui en sautant du 7ième étage d’un immeuble albertvillois, qui en s’aspergeant d’essence quelque part au dessus de Vizille, qui en déchargeant le fusil de chasse paternel sur son abdomen. Rien que pour vous emmerder.
Après bien des hésitations, j’ai opté pour d’autres solutions.
J’ai toujours parcouru les montagnes dans un esprit de liberté.
« Les montagnes », c’est un concept. Ça n’a aucune réalité. Encore un mot creux dont les dictionnaires sont pleins. Le massif Armoricain est-il un massif montagneux ? A partir de quelle altitude est-on en montagne ? 2000 m ? Donc, à 1999,99 m, je suis en plaine ? Où commence, où finit la montagne ?
Voilà que je me prends les pieds dans mon propre tapis.
Corrigeons.
J’ai toujours marché sur la terre dans un esprit de liberté.
Ha !
Non, la terre n’est pas un concept, c’est une réalité. Ne mélangez pas tout. Et puis, la beauce, c’est très beau, aussi. Faut pas être angoissé quand le soleil tombe, c’est tout.
Dans ma prime jeunesse, faute d’avoir du relief sous la main (le relief n’est pas franchement une spécialité solognote), il m’a fallut utiliser tout un tas de substituts.
Le compteur éléctrique se transformait en paroi, les arbres en pics, les toits des maisons en faces glaciaires (à 45°), les nuages en lointaines montagnes népalaises.
Je vous jure que la vision d’un ciel sombre, piqué des premières étoiles, pouvait m’émouvoir aux larmes. C’est que, voyez vous, du fin fond de la sologne aux champs de neige alpins, c’est le même ciel.
Mes premières instructions en matière d’alpinisme m’ont été données par Whymper. Les reconnaissances qu’il fît, seul, au Cervin, m’ont particulièrement marqué. J’en retirais une définition simple de l’alpinisme : gravir une montagne à l’aide d’instruments élémentaires (jambes, bras, coeur et tête pleines de grandes aspirations, yeux vides qu’il s’agit de remplir de célestes visions, corde éventuellement, à condition de trouver un autre pauvre type à attacher).
Si j’avais lu plus attentivement, j’aurais compris que, en montagne comme ailleurs, l’homme emporte avec lui son orgueil et sa mesquinerie. Guéguerres avec Carrel, baston au retour de l’aiguille verte, larcins et mensonges en tout genre. Etre le premier, toujours être le premier, la fin justifiant toujours les moyens, aussi dégueulasses soient-ils.
En attendant d’avoir du poil au menton, je me contentais de longues randonnées, seul de préférence - mais c’était ça ou rien -, et loin des sentiers si possible.
A la montée, j’étais capable de longs détours, juste pour m’essayer à l’escalade d’un bout de cailloux moisis. Combien de fois me retrouvais-je, ambitieux que j’étais, tremblant, ne pouvant plus ni monter ni descendre, au milieu d’un passage rocheux où, c’est sûr, nul homme n’avait jamais posé le pied, faute d’y trouver un quelconque intérêt ?
A la descente, je choisissais invariablement les pierriers, névés et sentes à chamois, terrains propices à d’éffrénées glissades. Mes descentes étaient d’autant plus rapides que, passé un certain degré d’isolement, je commence à me sentir mal. Autant, à la montée, je suis omnubilé par le sommet, autant, dès que j’ai le malheur d’y parvenir (ce qui est, heureusement, très rare), me reviennent à l’esprit les nombreux obstacles qui me séparent de la table familiale. Une sourde angoisse m’étreint alors, et je n’ai plus qu’une idée en tête : descendre au plus vite. D’où une rapidité jamais égalée dès qu’il s’agit de retrouver plancher des vaches et lasagnes bolognaises de maman.
Puis vint le temps de mes premières incursions au pays des glaciers. Après des années à implorer les valeureux alpinistes de m’emmener avec eux (demandes auxquelles on me répondais invariablement par le mépris, étant affligé de défauts insurmontables : jeunesse, inexpérience, et surtout, parigot de naissance), je fût enfin accepté, moyennant finances, à un stage d’initiation. 13 ans. Ça porte malheur.
J’en retirais cinq dures réalités :
- Un sac avec tout le matériel moderne dedans, c’est lourd. D’ailleurs, plus c’est moderne, plus c’est lourd.
- Les guides sont, hélàs, des hommes.
- Les diverses manipulations de corde sont d’un compliqué pas possible.
- La fatigue, l’altitude, le froid, ça change tout. Ça change notament pas mal les sacro-saintes cotations.
- L’alpinisme, ça coute cher…
C’est avec le cinquième point que j’eû le plus de mal.
Les histoires de pognon ne sont pas vraiment compatibles avec les histoires de liberté.
Il faut me comprendre : pour me payer le baudrier, la corde, les chaussons, les dégaines, le casque, le shunt (pour grimper seul), les chaussons encore, heu… enfin, bon, j’avais plus trop de fric. Je vous rappelle que tous ces objets encombrant dans une chambre orléanaise, je me les suis payés avec mon argent de poche d’adolescent. Deux cents francs par mois. Il m’a fallut plusieurs années. Rien que pour me dégotter un guide pour l’éperon Migot, il m’aurait fallut économiser 2 ans. Sans fumer. Argl. Elle est loin, la liberté…
Alors, parce que c’était plus pratique, je décidais que j’étais prêt pour de belles courses en toute autonomie. A l’ancienne. Peu de matériel, et encore moins d’aptitude à savoir s’en servir.
Tout se passa bien, voire même très bien.
Et puis, fatalement, ce fût le drâme.
[%sig%]