Je n’adhère pas, croyez le bien, au ton de supériorité de cette lettre extraite d’Obermann, de Sénancour. Mais il me semble que je ne dois pas être seul à randonner pour éprouver des sensations romantiques, hélas menacée ou détruites par certaines marques humaines.
Le romanesque séduit les imaginations vives et fleuries ; le romantique suffit seul aux âmes profondes, à la véritable sensibilité. La nature est pleine d’effets romantiques dans les pays simples ; une longue culture les détruit dans les terres vieillies, surtout dans les plaines dont l’homme s’assujettit facilement toutes les parties.
Les effets romantiques sont les accents d’une langue que les hommes ne connaissent pas tous, et qui devient étrangère à plusieurs contrées. On cesse bientôt de les entendre quand on ne vit plus avec eux ; et cependant cette harmonie romantique est la seule qui conserve à nos cœurs les couleurs de la jeunesse et la fraîcheur de la vie. L’homme de la société ne sent plus ces effets trop éloignés de ses habitudes, il finit par dire : Que m’importe ? Il est comme ces tempéraments fatigués du feu desséchant d’un poison lent et habituel ; il se trouve vieilli dans l’âge de la force, et les ressorts de la vie sont relâchés en lui, quoiqu’il garde l’extérieur d’un homme.
Mais vous, que le vulgaire croit semblables à lui, parce que vous vivez avec simplicité, parce que vous avez du génie sans avoir les prétentions de l’esprit, ou simplement parce qu’il vous voit vivre, et que, comme lui, vous mangez et vous dormez ; hommes primitifs, jetés çà et là dans le siècle vain, pour conserver la trace des choses naturelles, vous vous reconnaissez, vous vous entendez dans une langue que la foule ne sait point, quand le soleil d’octobre paraît dans les brouillards sur les bois jaunis ; quand un filet d’eau coule et tombe dans un pré fermé d’arbres, au coucher de la lune ; quand sous le ciel d’été, dans un jour sans nuages, une voix de femme chante à quatre heures, un peu au loin, au milieu des murs et des toits d’une grande ville.