Posté en tant qu’invité par Francois:
Le Promontoire était à moitié plein (ou à moitié vide, c’est selon). Un guidos et deux clients, un barbu avec une fille et quelques autres.
- Et vous allez où , demain ?
C’est le barbu qui pose la question. Des cheveux partout, de la barbe partout, à peine si on voyait les yeux. Il est con, celui-là ; où veut-il qu’on aille, en partant d’ici ? - On va à la Barre…
Le barbu se vexe et nous fait la gueule. Sûrement un prof, pontifiant et qui se prend au sérieux.
On se marre…
De tout ce qu’on avait lu sur la Meije, les topos, la littérature, les exégèses diverses, il ressortait que « la première fois qu’on fait la voie normale Meije, on se perd ».
Or, on n’avait pas envie de se perdre.
On avait donc réfléchi sur la question, avec Bernard, et la solution nous est apparue dans son éblouissante et biblique simplicité :
« Pour ne pas se perdre dans la voie normale de la Meije, il suffit de ne pas faire la voie normale de la Meije ».
Et hop !
Génial ! me direz-vous…
Oui, oui, en toute modestie, j’admets que.
Et puis quoi…
Nous ? la voie normale ?
Ha-ha !
Je ricane
(Parfaitement, nous ricanons)
La voie normale… avec la populace ? les alpinistes normaux ?
Non, mais… vous m’avez bien regardé ?
La Meije mérite autre chose qu’une voie normale.
(Sous-entendu : nous aussi)
Et puis, je vous l’ai dit, on n’avait pas envie de se perdre. Et pour ne pas se perdre, il faut suivre un itinéraire évident. Par exemple, le fil d’une arête.
- Nous, annoncé-je à la populace, on va faire l’arête Ouest.
Résultat : on s’est perdu.
Et on est arrivé à l’Aigle, qui n’était pas gardé à cette époque, à onze heures du soir. Heureusement qu’il y avait la lune.
La populace était descendue depuis belle lurette et devait dormir dans son petit lit douillet, réchauffée par la copine, tout émoustillée d’avoir un homme « qui a fait la Meije ».
- Dis donc, pas terrible, ton idée, me fit aigrement remarquer Bernard.
(Quand ça merde, c’est toujours « mon » idée) - Comment ça, « mon » idée ? on était d’accord, si tu te souviens bien… d’ailleurs, t’en avais une meilleure ?
- Ben, y’avait un guidos, suffisait de le suivre, et voilà ! d’ailleurs, chuis sûr que les autres on fait comme ça.
- Et voilà, et voilà… dommage que tu n’y aies pas pensé plus tôt…
Et Bernard conclut : - Ouais, finalement, pour une idée à la con, c’était une idée à la con…
On a commencé à s’engueuler, puis comme on était fatigué, on s’est endormi.
Morale de cette histoire : il vaut mieux se perdre dans une face sud et chaude que dans une arête ouest et glaciale.
Morale bis : quand on a un guidos sous la main, faut lui coller au train.
[%sig%]