Posté en tant qu’invité par strider:
suite du récit…
Peu après le repas du soir, alors que la clameur dans la salle à manger résonnait très fort dans la cuisine, Albert sortit dehors pour ranger les quelques transats que des clients avaient laissé sur la terrasse.
Un frémissemment sur la surface de la neige attira son attention. Quelque chose déséquilibrait le silence de la montagne.Une chose qui se mouvait. Un être.
Albert s’avança, bien décidé à percer ce mystère
Voyons voir si Clément pointe son nez, pensa-t-il
Le frémissement se rapprochait prudemment. L’être semblait compter ses pas.Si près…si près…
C’est le moment de faire le coup de théâtre
Albert sorti soudainement de sa planque.
-Bouh!!, cria-t-il
Il vit un renard prendre la poudre d’escampette le long d’un névé. Il y avait de quoi rire et Albert ne s’en priva pas.
En tout cas force est de constater que Jean Loup avait raison, pensa-t-il
Il entra dans la salle à manger sans trop rien dire mais avec un sourire malicieux.
Au fur à mesure que la nuit avançait, augmentait exponentiellement le nombre de ronfleurs et de décibels produites.Albert s’était retiré dans ses quartiers, c’est à dire la petite pièce du gardien dont il avait peine à faire disparaître les relents acres de beaujolais.Il ne restait plus que deux silhouettes mystérieuses dans la salle à manger. Elles s’éclairaient avec la lumière rouge de petites bougies posées sur la table, à côté de cadavres de mondeuse.
-Le Jean Loup, il nous réveille à quelle heure?dit un des gars
-5 heures, je crois, dit l’autre
-Quoi?!! Nous mais il est fou, moi je me lève à 11heures le dimanche!
-C’est bien connu, les montagnards se lèvent tôt!
-Hé dis-donc t’as vu on a fini la potion magique, il y a plus rien!!
-Il me faudrait un truc pour arriver à dormir, je risque d’avoir la gorge sèche.
-T’as pas vu, l’gardien, il est parti pioncer…Il y aura pas de grog, ni de génépy, tu te rends compte?
-Je sais ce qu’il nous reste à faire!
Une des deux silhouettes partit vers le dortoir, montant les escaliers dans le noir. A peine la porte du dortoir ouverte, le choeur des gorges raclées se fit entendre avec cette ferveur que l’on connait.
-P*#§¤§ que ça ronfle, la dedans!, gloussa le gars
Au cantique des cantiques se méla bientôt ce bruit famillier d’un sac plastique trituré de tous les côtés suivi de « clings » bouteilleux qui annoncèrent fièrement les objets convoités. Le bonhomme revint triomphant dans la salle à manger, brandissant ses trophées à la douce lumière des bougies.
-Bon et maintenant au travail, hé, hé!!
Tchou!!!
Glou, glou, glou, glou, glou…
-A la tienne!
Cling!
-A la tienne.
Minuit allait bientôt sonner.Des braillements résonnaient sourdement dans la salle à manger, toujours plongée dans une lumière rouge très feutrée.
-Beuh, dis-don’…t’as vu…celle-ci, hé ben…hé ben…elle est…elle est à moitié vide!
-Euh…j’crois que je suis bourré!
-Ah bon, t’es sur?
-Faut j’ailles dormir!
-Moi je suis bien ici, il faut finir, faut jamais gacher, c’est pas bien de gacher!
-Ho et puis merde! Je reste aussi!
-Hé ben? Elle est parti où la bouteille?
-Laquelle?
-Celle qu’était à moitié vide.
-Chais pas, j’la vois pas!!
-Tu l’as piqué, salaud!
-Je te dis que non!
-T’as tout bu, t’as rien laissé!
-Je te dis que non!
-Ha, ha, ha, ha, ha!!, fit une nouvelle voix
Un silence pesant s’instaura.
-J’ai cru entendre quelque chose!
-T’as trop bu, mon gars!
Il y eut des grincements de parquets dans la zone d’ombre qui semblait étendre son emprise.
Cling!!
Tchou!!
Glou, glou, glou, glou.
-Ha, ha, ha, ha, ha!!
C’était une voix squelettique des plus glacantes.
-Moi aussi, j’ai entendu un truc bizarre!!
-Ha qu’est ce que j’te disais!
-A la vôtre, messieurs, ha, ha, ha, ha!!!, ricana la voix
-Et si c’était un mirage, hein, t’as bu autant que moi, pas vrai?
-Crois pas!!Vaut mieux qu’on s’tire d’ici!!
Un des gars essaya de marcher mais fit une chute brutale sur la parquet.
-Cht’a, j’crois qu’ mes chaussures sont liées!
-Ho t’as trop bu toi!!!
L’autre gars tomba de la même manière l’instant suivant.
-Moi aussi, nom de diots!
Il se fit soudainement un noir complet dans la pièce. Des bougies avaient été renversées.
-Merde j’y vois plus rien!Peux pas me relever!
-Moi aussi!
Le silence tomba comme un filtre absorbant.
-T’as vu, la voix, hé ben, elle est parti!
-J’crois que vaut mieux pas trop bouger, on sait jamais elle est p’têt encore là!!
-J’crois qu’t’as raison!
Le noir avait avalé les bruits, les contours, les couleurs, les odeurs, les pensées…
4h45 du matin. Albert entra dans la salle à manger en allumant la lumière.
-Houlàlà, non mais quel foutoir??!!
Les mots sont vains pour exprimer un tel spectacle de désolation : des sacs de randos renversés avec tout ce qu’il contenait sur toute la surface du plancher, des cadavres de mondeuse jonchés dégageant une odeur épouvantable, des bougies renversés avec des éclats de cire partout. Une vraie macédoine de tout ce qu’on peut trouver dans un refuge.
Albert perçu de vagues ronflements provenant d’une table dans le coin gauche de la pièce. A peine étonné vu les circonstances, il vit deux gars endormis à même le parquet, un de chaque côté de la table, symétriquement.
-C’est les deux gars du groupe de Jean-Loup!!A en juger par l’odeur, inutile de chercher à savoir ce qu’ils ont fait hier soir, d’ailleurs mes pas sur le parquet ne les ont même pas réveiller…Quel bande de cons!! pensa-t-il
Il vit soudain qu’ils avaient tous les deux les pieds ligotés dans de la cordelette à machard, avec un noeud assez sophistiqué.
Tiens,tiens, impressionnant de créativité
Albert monta les escaliers pour le reveil. Il y avait une très forte clameur dans les dortoirs.
-Où sont passés les sacs??!!
-Je trouve pas le mien!
-Jean Loup, j’ai perdu ma brosse à dent, qu’est-ce que je fais?
Albert ouvrit la porte.
-Je sais où sont partis vos sacs.
-Quoi??!!
Les clients contemplaient le spectacle de la salle à manger.
-C’est une vrai décharge publique, dit Jean Loup, il y a des mêmes des vieilles paires de raquettes!!
-Mon sac, ho et ma brosse à dent, j’ai retrouvé ma brosse à dent!!
Il y eut un vacarme assourdissant, les gens s’affairant à retrouver leurs affaires tout en insultant le ou les responsables.
-Si je retrouve le gars qu’a fait ça, je lui fais avaler tous les cadavres de mondeuse que je vois ici, bouchons compris!!!
-Et moi je lui fais rentrer ma brosse à dent dans le pif!
Bientôt tous les yeux se tournèrent vers les deux malheureux ligotés lamentablement jonchés sur la parquet, tels deux asticots qui n’avaient pas la force de se tortiller. Ils commencaient à peine à se réveiller.
-Heuh, ha, ho…j’ai mal à la tête, dit un des gars, le plus frai visiblement
-C’est vous les responsables!! lança une dame
-Attendez, dit Albert, j’ai retrouvé ces gars-là les pieds ligotés. Comment ils auraient pu faire cela à deux et ce complètement beurrés?
-C’est forcément eux!!
-C’est pas quand on est complètement aviné qu’on arrive à soudoyer des sacs icognito dans le dortoir et à les renverser partout dans la salle à manger!
-Ils l’ont fait avant de se beurrer!
-Impossible, dit Sébastien, comment se seraient-ils ligoté mutuellement de toute manière!Le noeud est hyper complexe!
-Je…me…suis…pas…ligoté!, dit le plus frai des gars
-Ah ça…non!, dit l’autre
-I’ y’avait la voix, elle a ligoté mais…rien senti!!après…chais plus trop!!, dit le plus frai
-Ouais, la voix!, dit l’autre
-La voix?, dit Albert
-L’esprit frappeur, dit Sébastien
-Probablement un parmi nous qu’a voulu faire une sale blague!, supposa Albert
-C’est l’esprit frappeur qu’a frappé c’te nuit, dit Sébastien, c’est tout à fait ce qu’un esprit frappeur est capable de faire. Il a fait un vilain tour à ces deux gars et il a voulu nous faire croire que c’était eux qui l’avait fait.Il ne voulait pas que les deux gars viennent le déranger quand il revient dans la salle à manger pendant la nuit, alors il s’est vengé.C’est pas la première fois qu’il fait ça.
-Ha ça y est, c’est reparti avec la malédiction de Clément, on aura tout vu!Quelqu’un a-t-il entendu quoique ce soit en haut? Personne n’a bougé du dortoir?
Il n’y eut pas de réponse pendant un petit moment.
-En tout cas c’est pas un renard, dit Jean Loup, c’est quoi cet histoire de malédiction?
-Cest la malédiction de Clément, dit Sébastien,et il en entreprit l’effroyable récit, le même, mot pour mot qu’il avait adressé à Albert.
-Je crois que je vais en parler sur c2c !, dit Jean Loup
-C’est quoi, ça…cédeucé?, dit le plus frai des gars
-Ouais c’est quoi?, dit l’autre
-Ne vous inquiétez pas, je relate les faits, je ne juge pas, je ne donne pas de noms, parole de Jean Loup!
Albert ouvrit la porte de la terrasse pour tenter d’évacuer les relents de vitriols qui empoisonnaient l’athmosphère. Dehors, il y avait une impénétrable brume. Le bulletin météo s’était une nouvelle fois fourvoyé. La cime de la Glandouille ne reçut pas de visite ce matin-là sauf peut être du renard, qui sait?
à suivre…
[%sig%]