Posté en tant qu’invité par strider:
« Ha quel bonheur l’estive dans son chalet, dans le foisonnement verdoyant des alpages! Quel plaisir d’entendre roucouler le ruisseau au bords des patûres! Et de contempler les hautes cîmes , là où jamais la main de l’homme n’a mis le pied!! »notable bernois du 19ème siècle
-P*#§¤§ de merde! Non mais t’as vu la facture??!!
-Oui, je sais, elle est salée.
-Ca se voit que c’est pas lui qui paie!
-Et encore, c’est seulement la troisième de l’année que nous envoie la commission des refuges…
-Je n’en peux plus, je ne sais plus quoi faire de ce type, il va bientôt faire couler mon CAF si ça continue! Un problème de plomberie cramée, de plomberie cramée, bordel, un gardien de refuge qui fait pas la différence entre une gouttière et un fil électrique, t’ as déjà vu ça toi? Et c’est quoi cette histoire de renard- fantôme qui terrorise les clients?
-Il était probablement ivre comme d’habitude…
-Non écoute y en a marre de ses conneries. Faut envoyer ce vieux schnoque aviné à la retraite. T’es le trésorier, donc tu peux contacter un gars de la commission des refuges pour qu’il l’exhorte à demissionner, OK?
-Bon je vais voir ce que peux faire, président…et pour son remplacement, comment on fait?
-Ha c’est vrai que j’avais pas pensé à cela! Le désastre!
-La saison vient juste de commencer pour ce refuge, l’équipe est là, faut une reprise sur le champ!
-Bon écoute démerdes-toi, la seule chose que je veux, c’est que cet alcoolo irresponsable soit renvoyé du plancher des vaches.
-Je crois que j’ai une idée.
Dring!!
-Allo?, répondit Albert Miépreux
-Albert, c’est toi?
-Oui, c’est moi.
-Salut, c’est Justin Doubri, de la commission des refuges du CAF de *****. Si j’ai bien compris t’as passé le relai du refuge du Crocodile en haute montagne et là tu cherches un nouveau refuge pour la saison qui soit en alpage?
-Ouais mais on m’en propose un nouveau et encore au délà de 3000m.
-Ecoute j’ai un super plan pour toi!!
-Ha bon?
-Ouais, ouais, tu verras, l’i-dé-al. Tu vois le vieux Roger du refuge de Prébaveux? Hé ben il vient de démissionner pour prendre sa retraite.Il laisse vacant le gardiennage de ce refuge superbe dans les alpages où tu sais, tu vois le Mont Blanc, la Verte et tout…
-Il a démissionné en tout début de saison, comme ça, par un coup de tête?
-Non, disons qu’ on l’a aidé à démissionner, il n’arrivait pas à régler quelques petits problèmes internes au refuge et comme on sait que t’es un gars d’expérience…
-Quels problèmes?
-Bah disons qu’il paraît qu’il y aurait un fantome, ou encore un renard, voire les deux…en tout cas une chose qui fouterait le bordel dans le refuge mais bon comme le vieux Roger est un peu alcoolo, c’est probablement des fadaises, tout ça, donc pas de souci, hein?
-Si tu le dis…
-C’est ok pour toi?
-On prend rendez-vous pour en discuter.
-Le plus tôt sera le mieux, faut reprendre le refuge au pied levé!
Albert Miépreux, gardien de refuge depuis 20ans, est le genre de type qui a roulé sa bosse dans le métier.Il en aura vu des chose en 20ans! Les réveils matinaux avec des têtes enfarinées d’alpinistes , les touristes en tennis à la mi-journée, le service à diots du soir, les ronfleurs à 80 décibels sans parler du ballet des casse-pieds qui fouillent dans leur sac toute la nuit et qui font miroiter la lumière de leur frontale dans ta tronche. Et malgré cela il était toujours attaché à son sens de l’accueil, jamais offert à la tête du client. D’ailleurs, il était du genre consciencieux. Avec le temps, il avait développé une intuition infaillible du profil d’un client de refuge : il pouvait deviner en moins de cinq minutes s’il avait affaire à un touriste du dimanche, un cafiste à vin rouge, un alpiniste à terrain à chamois ou un grimpeur-gymnaste qui va encore te trouver des nuances entre le 6c+ et le 7a-. Cette intuition avait taillé la réputation d’Albert Miépreux. Son dernier refuge en date, celui du Crocodile, perché à 3400m au-dessus d’une barre de séracs qui grogne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avait fini par le lasser au bout de dix ans. Ras le bol d’entendre couiner les piolets, se fracasser les cubes de glaces, rouler des blocs de granit aussi gros que son refuge, ras le bol de devoir crotter dans la caillante au petit matin.
Début avril. Albert Miépreux était sur le sentier de son nouveau refuge escorté d’un paysan qui faisait paturer ses bêtes à proximité.
-L’r’fuge est juste au-d’sus de la limite des neiges en ce moment!
-C’est quoi la fréquentation? Skieur, raquettistes?
-Ha bah les deux, mon bon m’sieur!
Ha le renouveau du printemps! Ces odeurs de fleurs fraîches à l’orée des alpages! Ses neiges pures au parfum d’altitude!!Albert emplie ses narines de ce qui semblait être les dons les plus généreux de la nature.
-Tiens qu’est-ce que c’est cette odeur? Pouah!!!
-Ha bah c’est le vieux bouc qu’est crevé! Trop vieux, trop froid, pas pu redescendre, crevé à p’tits feux.
-La pauvre bête! Elle pue maintenant.
-Déjà que ces bêtes-lô ça cogne quand c’est vivant, mais alors quand c’est crevé, vains dieux!!
-Vous allez quand même l’enlever j’espère, demanda Albert en se bouchant le nez
-Pas la peine, mon bon m’sieurs, il est d’jà trop décomposé! La s’maine dernière, il était tout gonflé, il a laché les gazs il y a deux jours et le gypaète et les asticots vont finir le travail!
-En effet!, se retourna Albert, dégouté.
-V’là la neige, juste au-d’sus!
Quelques frémissements de raquettes plus tard, le refuge apparu sur son petit promontoire. La vieille batisse de bois encore un brin enneigée sentait la poussière et le vieux chiffon mais apparamment cela n’empêchait pas les gens de venir. Les trois employés de l’équipe du refuge faisaient nonchalament la sieste sur la terrasse, grillant au soleil comme des cotelettes d’agneaux.
-Quelle vue sur le Mont Blanc!, se dit Albert
Que dire d’autre?Le seigneur des Alpes était auréolé de ce vent rabattant qui prolongeait délicatement ses crêtes dans le firmament.
-Bonjour!
-Bonjour, je suis Albert Miépreux, votre nouveau gardien, je remplace Roger au pied levé.
-Super! C’était pas trop tôt, quand le vieux schnoque s’est barré hier, ça faisait des vacances!
-Hep, hep, respect du gardien, les gars!
-Je crois que ce gardien-là, on va bien l’aimer, souffla Sébastien à ses potes Damien et Fabien.
-On vous fait visiter la baraque?
-Avec plaisir mais attention! On ne dit pas la « baraque », les gars, on dit « le refuge » c’est plus professionnel.
-Ok, chef!
Albert entra dans la cuisine.Une bonne surprise pour lui, c’était propre et bien rangé.
-On l’a lavé ce matin exprès pour vous!
-Ha bon et c’était dans quel état avant?
-Ben disons que c’était truffé de cadavres de beaujolais et de vinasse renversée. Le vieux Roger qui…heu…
-Ok, j’ai compris, dit Albert
Albert entra dans le dortoir principal.
-C’est quoi ce bordel!
Des polochons entremélés, des couvertures à même le sol, des matelas renversés, bref, un vrai foutoir.
-Pas possible!, dit Damien, on a tout remis en ordre ce matin!
-Moi je sais qui est derrière tout ça, dit Fabien
-C’est quoi, un client?, supposa Albert
-Non c’est le fantôme, dit Sébastien
(à suivre…)
[%sig%]