En même temps c’est cohérent : ils ne sont pas hyper clairs, mes messages !
Et, même s’ils l’étaient, je crois que nos petits cerveaux ne sont pas conditionnés pour intégrer rapidement des infos aussi surréelles.
J’vous assure que je vais étoffer le CR et raconter un peu mieux, je crois qu’aujourd’hui de mon côté c’est possible !
Mais que j’ai quand même un peu envie de vous préserver parce que si j’vous déballe ça en mode brut de décoffrage, c’est vraiment trop gore… (Et y a tellement de jeux de mots moisis à caler autour d’un bras en moins que j’ai presque envie de contrôler mon humour à deux balles pour une fois …)
Alors j’aimerais trouver le bon compromis pour vous décrire la joie de croiser la gardienne de refuge enthousiaste de cette 1ère ascension de la Cassin de l’année, la promesse de lui envoyer des photos des condis pour les suivants (à défaut de la tenir on leur a laissé 3 crampons, deux paires de gants, et des bonnes traces rouges tout le long !).
Le plaisir de remonter ce glacier, d’en passer enfin à la partie rocheuse, notre spécialité…
Mais, avant même d’avoir fini d’ôter nos crampons, l’improbable barrouf venu du ciel… Qui me fera longtemps pleurer toutes les larmes de mon corps à chaque orage je pense, tellement ce bruit est désormais associé pour moi à une totale impuissance avant une pluie de missiles…
La pluie, donc, sans rien pour se protéger. Une pluie à laquelle nos petits organismes ne sont pas étanches.
Les cris de l’Ami qui semble se jeter dans la rimaye entre le glacier et le caillou pour se protéger mais putain y a pas de fond là-bas au fond on n’en sortira jamais s’il fait ça…
Les cailloux qui visent le bras, bim. Je censure les 3 prochaines phrases parce que le film est interdit aux moins de 25 ans, et même plus : aucun être humain ne devrait assister à ça.
Une micro perte de connaissance, le temps de me dire « Cool j’ai perdu beaucoup de sang je vais mourir là ».
Un réveil de suite, la vision d’horreur du membre en lambeaux, la décision : « Ok finalement suis toujours vivante alors c’est parti pour se sortir d’ici et poursuivre avec un bras en moins ».
Le putain de vaillant Guillain qui tente d’allumer les tels qui ne captent pas, qui suit mes sauvages directives : « Ok tu prends ce tee-shirt tu le serres fort autour de l’épaule, tu emballes tout ce qui pend dans ma doudoune et tu me moulines, on descend chercher du réseau ».
Guillain qui arrive à ne pas vomir, à remettre un crampon, à me mouliner dans la pente, à m’arrêter quand ça devient trop raide, à me motiver à me remettre debout quand il s’agit de remonter un peu pour contourner une crevasse trop profonde…
A se blottir finalement contre moi pour me réhydrater, me réchauffer quand je n’ai vraiment plus d’énergie, m’offrir la douceur de sa peau quand j’ai un tel besoin d’humanité…
Et à tester le tel qui passe enfin, à guetter avec moi l’hélico, à les rappeler sans cesse pour que je garde confiance, à répondre à ma demande couillonne de prendre des photos parce que je sais que j’aurai bientôt, ou plus tard, besoin de ces images.
A rester seul au milieu de ce glacier quand je m’envole suspendue à mon filin, seul, putain, alors que lui ne m’a jamais lâchée. A vite me rejoindre sur la terrasse du refuge où je suis déjà perfusée, à me relever les jambes pour éviter l’évanouissement…
Un vol jusqu’aux Urgences où, 3h de bloc plus tard, la Vie pourra reprendre.
Finalement y avait des mots à sortir ce soir, et pas trop de pincettes : censurez ce qui vous semblera nécessaire !
J’vous raconterai bientôt la douceur et la compétence des chirurgiens locaux, les opérations quotidiennes pour refermer couche par couche et les anesthésies locales pour ne pas laisser la douleur s’installer tout en préservant l’organisme de ces drogues qui ne m’attirent pas… Les sourires des infirmières, les bricolages des infirmiers pour rendre toutes les machines qui sortent de mon corps transportables avec la bouche ou l’autre épaule… Et pis toutes les petites découvertes du quotidien quoi, comme quoi pour finir un yaourt c’est ‹ achement moins easy à moins d’aller lécher au fond, comme quoi c’est décidé c’est trop chiant des cheveux partout, j’vais aller chez le coiffeur pour la 1ère fois de ma vie couper tout court et colorer en rouge (ou bleu ? ou violet ? Je ferai un sondage vous me direz), comme quoi en fait la vie n’est même pas si galère à une main, en fait, elle est juste différente ; ça tombe bien, j’aime pas trop les acquis, les habitudes, alors c’est l’occas › de les bouleverser un peu !
Et comme quoi, les amis, les gens qui comptent et pour qui tu comptes, bé t’as beau le savoir qu’ils sont la base de ta Vie, clairement tu sacrifierais volontiers un bras pour garder leur Amour et leur présence (si j’pouvais garder le reste ça m’irait bien, mais après tout qu’importe, tant que vous êtes près de moi, la Vie sera douce).
J’vous aime fort.
Me lisez pas hin, j’dois etre saoûlante, c’est juste pour moi que j’écris comme d’hab’ !
Prenez-soin de vous !
Lu