Yvan

Posté en tant qu’invité par l’Urbain:

didididip didididip didididip didi PAN !

Non mais !
4h, t’es pas fou ?
On verra dans une heure.
Et puis, j’ai pas finis mon cauchemar.
Foutu chagrin d’amour.

« Qu’est-ce qu’on fait, on y va pas ? »
« Non, on verra dans une heure. »

Yvan est un être conciliant. Il ne pose pas de questions. Une heure de rab, ça lui va bien aussi. Il vient d’arrêter de fumer. Chacun sa croix. Pendant que je pense à mon infidèle, il crache ses poumons en maudissant Samson, Drum, Interval et compagnie.

Le cauchemar devient intolérable.
Finalement, faire sa trace dans la poudreuse, ça pourra pas être pire.
D’autant que, dehors, on dirait bien les pemières lueurs de l’aube.
Alors, il a jarclé où, ce maudit réveil. Entre les matelas, ça m’aurait étonné.
6h10.
Houlala, on est à la bourre.

« Yvan ? »
« Mmmm »
« Il est plus de six heure, je me lève. »
« mmm »

Zut.
Il est complêtement dans le coltar.
Tout à l’heure il était en pleine forme.

Le petit déjeuner est maussade.
Foutue nana. Et son nouveau mec, ha ha laissez-moi rire.
Yvan met vingt bonnes minutes à émerger, puis refuse de petit-déjeuner. Il n’a pas encore trouvé de substitution au café-clope.

Quand j’ouvre la porte du refuge, je me rend compte que je n’ai pas envie, mais alors pas envie du tout, d’aller faire un tour en montagne. S’il y avait un téléphone, je l’appellerais. Pour entendre sa voix. Et puis, qui sait, je pourrais peut-être tout arranger ? Non ?
Non.
Bon, allez, on y va.

frrrrouc frrrrrrouc frrrrrrouc

Pour le lever de soleil, c’est raté. J’ai horreur d’avoir cette sensation d’être en retard alors qu’on vient de partir. Je ne suis pas dans de bonnes dispositions. Sans compter qu’il nous faut tout d’abord traverser tous ces lacs, d’une platitude désespérante. Dans deux heures, on aura fait 400m de dénivelé. Et encore, avec cette poudreuse, ça n’est même pas gagné. Pour transpirer ma mauvaise humeur, j’allonge le pas. Teuheu teuheuheuheu. C’est moi qui fume, mais c’est Yvan qui tousse. Ses poumons grenoblois s’habituent mal à l’air pur. Bon sang, pour Yvan non plus, c’est pas gagné.

Au deuxième lac, on commence à s’initier au vide.

Un lac, c’est plat. En dessous, c’est blanc, au dessus, c’est bleu. Simple, comme paysage.

[i]...fumer une clope.... et puis d'abord elle me méritait pas ....[/i]

Les pensées s’espacent, s’aèrent,

[i].... fumer une copine...[/i]

			s'arrêtent enfin, mais pas pour longtemps : on sort des lacs.

Le début de la montée nous replonge brutalement dans de basses considérations matérielles.

Déjà, le plat, en raquettes dans la poudreuse, on peut pas dire que c’était reposant. Mais si en plus, ça monte !
A la fois, si on veut pas avoir emmené les planches pour rien, il va bien falloir qu’on se décide à monter à un moment ou à un autre.
Donc, on monte.

frrrouc frrrouc

C’est long.
Yvan a bien le temps de se demander ce qu’il fout là.
Un plombier, un dimanche, à 8h du matin, dans la combe qui mène au glacier de St Sorlin. Avec les raquettes pour se mouvoir péniblement, un sac de (très) mauvaise qualité, et la vieille planche lourde en travers. Sans compter qu’il n’est même pas sûr de réussir à tenir dessus à la descente.
Il en oublie de respirer.
Et, fatalement, sur le glacier, à 2900m, juste avant la pente soutenue qui mène au col, c’est l’asphyxie. Un fumeur hors de son bocal. Pause apocalyptique. Essaie de gerber. N’y arrive pas. Vire au blanc pâle. S’affaisse.
Je suis impitoyable. En attendant qu’il se remette, je m’en grille une.

Ainsi donc, cette deuxième tentative à l’Etendard se solderait par un échec…
L’Etendard. 3400m et des minutes. Du refuge, tout juste 1000m de dénivelé. Côté F, ou Fc+/PDa-(M0-) selon les conditions.
La dernière fois, pas de chance, on s’était trompé de sommet. Par beau temps.
Oui, mais la dernière fois, j’étais pas cocu.
Si ?
Foutue nana.

Petits conciliabules entre compagnons de cordée (le secret professionnel m’empêche de les divulguer).
Finalement, il est convenu que je poursuivrais seul, mais sans jamais qu’on se quitte des yeux, puisque la configuration du terrain s’y prête.

Je poursuis donc seul.
Seul.
Je ne sais pas si c’est le bon moment pour se promener seul dans toute cette solitude.
Petit-Moral, le dieu des amants éconduits, s’abat sur moi tel l’aigle sur sa proie.
Très vite, je ne vise plus le sommet, ni même le col, mais des points situés 5m au dessus de moi. Je progresse ainsi, de petites satisfactions en petites satisfactions. Ca occupe l’esprit.

En bas, Yvan commence à bouger. Il doit se dire que, quand même, monter aussi lentement que moi, il en a bien la force nécessaire.
Affolé à l’idée qu’il me rattrappe, j’allonge le pas. Je progresse maintenant par bonds de 5,40m.
( … )

Deux épaves, au col.
Qui n’osent même plus se regarder.
Comme d’habitude, il y a du vent. Comme d’habitude, il fait froid.
Comme d’habitude, faire une pause dans ces conditions, c’est encore plus fatiguant que de continuer à marcher.
Alors, comme d’habitude, on renonce au sommet.

Pour moi, la journée est terminée. Pour Yvan, il se peut qu’elle ne fasse que commencer.
Il retire la planche des bretelles du sac à dos avec beaucoup de précautions. La regarde dans le blanc des yeux.
Entre Yvan et sa monture, les relations sont plutôt conflictuelles.
Pas une de leurs rencontres qui ne se soient terminées en engueulades et autres menaces de rupture définitive.
Mon coeur en est affligé : je n’ai pas sû choisir les lieux propices à l’éclosion d’une belle histoire. Chamechaude, Grand Colon par l’entonnoir… ce ne sont pas là des descentes qui incitent le débutant à se détendre. Sans doute eussé-je dû l’emmener d’abord en stations, ces lieux maudits et onéreux, où l’on passe 1h à attendre une benne qui vous mettra en 15 minutes en haut d’une pente qui se descend en 10 minutes.
Enfin, ça se discute.
Disons que, pour un nouveau-né, la rando-snow, ça fait un peu beaucoup.

Yvan met dix bonnes minutes à en finir avec ses fixations. Avec autant d’aisance qu’un Jesus en train de se fixer lui-même sur la croix.
Une petite prière pour nous, Yvan.

Notre Père qui êtes aux cieux ce que la carpe est à l’étang,
Vous nous avez quand même pas mal soumis à la tentation ces derniers temps.
On vous pardonne vos offenses parce que vous êtes un bon copain, mais je remarque que pour ce qui est de nous délivrer du mal, on a dû improviser.
Bénissez nous, pauvres alpinistes,
Car si nos tords sont aussi grands que nombreux,
Il me semble que nous méritons tout de même notre peuf quotidienne,
amènes.

Et Dieu fût satisfait, et la neige fût divine, et Yvan trouva la clé de la porte des secrets de la glisse.
Là, tout n’était que beauté, luxe calme et volupté.
D’ivresses en ivresses, nos âmes s’épanchèrent, à en suspendre le temps.
Nous bûmes le calice jusqu’ hallali.
(…)

Yvan referme la porte de la voiture.
Me roulerait bien une clope.
Foutue nana.

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par unCplus:

une fois de plus je te félicite : une belle histoire qui change un peu des autres mais sympa quand même.
cordialement. @+

Posté en tant qu’invité par Flo:

merci, encore une belle histoire drôle et très bien écrite. On attend la suivante.
à+

Posté en tant qu’invité par lisa:

encore, encore.

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Mieux vaut être seul que mal accompagné…

Posté en tant qu’invité par Invertébré:

T’as un style très urbain. On dirait Bukowski à la montagne maugréant sur son sort.

Continue …

Posté en tant qu’invité par oussama:

Mieux vaut être mauvais accompagnant que de n’y aller jamais…Si,si!

Posté en tant qu’invité par Invertébré:

Je suis d’accord j n demande q ça lol

Posté en tant qu’invité par l’Urbain:

Confusion…
Alban parlait sans aucun doute de cette foutute nana.
Ou de cette foutute clope, au choix.

Posté en tant qu’invité par marco:

toujours au top l’Urbain ! (ps: moi, j’aime bien, le paragraphe avec la nana, quand on se dit: mais qu’est ce que je fous là, je serai bien mieux en bas, avec elle…)
Mais comme à chaque fois, on y retourne quand même

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Les vertiges ( ou plutôt , les vestiges ) de l’ amour ne font pas bon ménage avec les expés en TA !!

( Les histoires d’ amour finissent mal, parait-il… )

A+ ! AlbanK, qui se prépare à un p’tit wk-end enneigé !!! ( déjà 5cms à Chambé !! Youhou !!! )

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par oussama:

mais c’est vrai pour la nana …comme pour le reste!