Posté en tant qu’invité par pierre:
Bien sûr : vous êtes seul.
L’endroit où vous êtes n’a aucune importance.
D’ailleurs : vous êtes le seul à savoir où c’est.
Il a fallu négocier finement le coup : si vous avez de la chance, certain(e)s se préoccupe(nt) de ce que vous faites.
Ce n’est pas grave : vous leur avez menti.
Et ils (elles) ont fait semblant de ne pas remarquer votre regard fuyant, vos réponses évasives … votre embarras, il faut bien le dire !
Et puis, à la fin, vous leur(s) avez tout simplement monté un bateau : ce n’est pas bien, pas bien du tout de dire : « je serai là », alors que vous savez que vous serez ailleurs.
Bien sûr : personne ne peut vous joindre.
Ce n’est pas que votre portable est éteint, c’est que vous l’avez laissé dans la caisse, plus bas, beaucoup plus bas, dans la vallée. De toute façon, vous avez choisi cet endroit entre autres bonnes raisons parce que, selon toute vraisemblance, ni Orange, ni Bouygues, ni quelque réseau que ce soit ne peut passer.
Bien sûr : il fait froid.
Et alors : à quoi ça sert d’avoir un matos correct ?
Hein ? A quoi ça sert ?
Et de toute façon, votre duvet d’expé, c’est pour cette nuit (et leurs semblables), que vous l’avez acheté … alors : tout est conforme à vos espérances, pas vrai ?
Bien sûr : vous ne dormirez guère.
Vous aurez tout le temps pour dormir, plus tard, en bas. Non, là, vous n’avez rien d’autre à foutre qu’à regarder le ciel. Et franchement : quelle meilleure position que couché sur le dos, je vous le demande !
Ah ça : il fait beau, et vous êtes haut, assez … Loin des lumières des villes et des villages, le plus loin possible. Et la lune ne se lèvera que vers minuit et demi : vous avez encore du temps. Et vous n’avez pas oublié les jumelles.
Alors la nuit est tout simplement incroyable.
A force de vous concentrer, vous finissez par ressentir ce que vous avez lu dans les livres : le ciel n’est pas un toit !
Non, non, non, non !
Ce n’est pas une surface : c’est un volume !
Vous n’avez pas devant vous un plan en 2D : le ciel est en 3D.
Et ça … ça n’est pas « une donnée immédiate de la conscience », comme dirait Bergson. Pour que vous compreniez ce que ça veut dire, que certaines étoiles soient plus grandes, plus lumineuses que d’autres, il a fallut un peu de travail, abandonner la perception tronquée de vos sens …
Si certaines étoiles sont plus grandes, plus lumineuses que d’autres, ce n’est pas qu’elles sont plus volumineuses, c’est qu’elles sont plus proches. Et subséquemment, que les autres sont plus loin.
Ce ciel n’est pas « une voute de velours parsemée de diamants », comme disent les poètes de merde. Le ciel, c’est l’espace.
Et vous êtes suspendu au milieu. Vous flottez dans le cosmos.
Léger vertige ?
Ce n’est pas grave : ça va passer.
De toute façon : étendu sur le dos, vous ne pouvez pas tomber.
Quelle qu’en soit votre envie.
C’est contraire aux lois de la gravitation universelle, alors : pensez si c’est impossible !
U-NI-VER-SELLE, on vous a dit !
Un truc rigolo, c’est de regarder la voie lactée alternativement sans, et avec les jumelles.
Sans les jumelles (mais avec les lunettes, pour les bigleux de mon espèce : vous n’avez qu’à savoir gérer l’espace dans votre duvet pour éviter la buée, enfin !), vous avez l’impression d’une structure plus ou moins linéaire, opaline, assez dense, à bords bien limités.
Avec les jumelles, on s’aperçoit que l’illusion d’un objet « réel » n’est liée qu’à l’augmentation de la densité de toutes petites étoiles, sans limite nette.
Maizalor, maizalor … En extrapolant … l’illusion que j’ai de tenir dans les mains une chose réelle comme les jumelles ne serait donc liée qu’à l’augmentation de la densité des molécules et atomes qui la composent ?
Je tiendrais une sorte de « voie lactée » miniature dans les mains ?
Composée essentiellement de vide ?
Lesquelles mains, en y réfléchissant, n’ont elles même pas de limite bien nette …
Question d’échelle.
Léger vertige, on vous a dit.
Il y a des étoiles filantes.
Et même pas mal. La période commence à être favorable, même si ça n’est pas encore la meilleure.
Tout à coup, vous avez un coup de bol (pour une fois hein, c’est rare, alors vous savez en profiter). Dans le champ de vos jumelles, vous en voyez une, d’étoile filante. Il faut de la constance dans l’observation, et de la chance pour voir ça : l’espace angulaire couvert par une paire de jumelles de grossissement 8 vaut 6,2 °. Sur 180° (vu que vous êtes haut, et si l’on ne tient pas compte de ce sommet, à droite, qui réduit votre champ visuel …).
Ça n’a pas la même couleur qu’une étoile, une étoile filante : c’est plus jaune. Et puis, ça a une trainée.
Et puis surtout, c’est plus près !
Vous l’avez bien vu, dans vos jumelles, c’est tellement près par rapport à l’arrière plan d’étoiles que vous pouviez la toucher. D’ailleurs, vous l’avez touché.
Ou presque : c’est comme si vous l’aviez fait.
Tout d’un coup, vous vous sentez bizarre un peu …
Cette affaire d’étoile filante qu’on peut quasiment toucher, ça vous dit quelque chose, non ?
Les corps célestes, c’est bien, mais vous, vous ne l’êtes pas, céleste.
En tout cas, pas encore.
Malgré vos efforts.
Allez savoir pourquoi le souvenir des étoiles filantes vous emplit désormais d’une mélancolie indicible…