Timpuri sa schimba

« Times are a changing » comme le chantait Bob Dylan. Non pas que je sois un docte connaisseur de sa production, mais quelque chose me plaît dans celle-là : elle s’épanouit librement au gré de la récitation. Pas de « deux mesures sur cet accord-ci et quatre sur celui-là et six sur le troisième » avec la même rengaine tout les couplets. Non des fois il y a une mesure de plus, une de moins, on s’en fout la poésie est toujours là…
« Timpuri sa schimba » dirait-on en Roumanie. Évidemment, on pourrait dire plein de choses sur les temps qui changent là-bas.
On pourrait parler de l’asphalte qui est enfin arrivé jusqu’au village, des jeunes du même village qui, dès qu’ils ont gagné un peu de sous tentent de s’offrir un des modèles les plus récents de chez béhème, ôôdi ou d’autres. Des routes de plus en plus encombrées, mais ça n’a pas grand-chose à voir avec la montagne.

On pourrait aussi parler de la « baraque à Laszlo Bölöni ». Il avait fait construire une villa en haut d’une butte au dessus de la route nationale dans un village à la sortie de Târgu Mures. Tout ce qu’il y avait à l’époque c’était ça et trois-quatre garages et ateliers de réparation de pneus sur la route et c’est tout. Aujourd’hui la bourgade est devenu un faubourg de la ville, il y a une dizaine de concessionnaires sur la route, trois-quatre hôtels et la villa de Bölöni, qu’on voyait comme le nez sur la figure est maintenant planquée par des lotissements et autres villas de parvenus…
Mais tout ça ne fait pas trop montagne, m’objecterez-vous encore…

Tiens…

Harghita Madaras, çà, c’est la montagne. Bon… De la basse moyenne montagne, mais 1800 mètres c’est pas rien non plus…

Quelques années que je n’y étais pas allé. Les souvenirs sont quand même un peu vivaces. Au point que la photo faite là-haut avec ma chérie il y a ggggnnnnn… 7 ans me sert toujours d’écran d’accueil sur mon téléphone.

J’ai pas une grosse journée devant moi et deux heures de voiture au moins depuis mon camp de base, n’étant pas du matin (ça, ça n’a pas changé) je me résoud à monter là-haut depuis Izvoare (Ivó en hongrois) et à gentiment me promener autour de la petite station. Dans mon souvenir c’était un chemin forestier, on y allait à nos châssis et périls, mais ça passait. À la sortie de Ivó, c’est encore le cas. Devant moi, un touriste venu de la région de Timisoara n’ose même pas passer la seconde, moi et les locaux de Harghita, si, on le double. Deux, trois kilomètres et… Ô surprise ! Du goudron ! Les temps changent… La montée se fait ensuite tranquillement. Il est loin le temps où, montant à pieds je me délectais du spectacle de ces conducteurs qui se tortillaient le cul à défaut de pouvoir plus tortiller le volant afin de ne pas esquinter leurs amortisseurs. Arrivé à la station, la maison forestière est toujours là, de même que le petit abri de la Salvamont la Cabana Harghita Madaras et les trois autres pensions aussi mais aussi, mais aussi… C’est bien simple, en sept ans que je suis venu ici pour la dernière fois, il a du se construire des petites résidences et autre pensions à raison d’à peu près une par an. Comme c’est un peu planqué par les arbres, ça fait pas un trop gros choc. Mais il y a beaucoup de voitures, impeccablement garées, ça change du temps où il y montait tellement moins de monde qu’on se fichait un peu de la façon dont on se parquait…

Le chemin vers le Madaras est toujours là. Tiens, ils proposent maintenant une petite balade vers une petite cascade. Cet itinéraire existait à peine il y a sept ans, ça me changera. Le sentier est maintenant traversé à par un chemin qui mène aux nouvelles résidences… Les temps changent. À mi-chemin, juste avant d’arriver au petit épaulement qui mène au Madaras, nous vient une odeur de grillades, un bistrot vient de s’ouvrir, il s’appelle le Famedve « l’ours en bois ». Comme si on avait besoin d’un arrêt-restau pour quarante minutes de montée. Je sais pas si les ours apprécient beaucoup les grillades, ce qui est sûr, c’est que la proportion d’humanoïdes qui se trimballe dans le coin doit les inciter à aller se faire voir ailleurs…

Je descends vers la cascade. Le Tânovul Seche est fauché. Je l’ai toujours vu en hautes herbes où paissaient quelques moutons gardés par un chien acariâtre, heureusement surveillé par un berger qui l’était nettement moins. Mais bon, après tout, un pré, c’est aussi fait pour être fauché. Je descends un peu plus bas dans le bois puis remonte un peu, je devine le torrent mais aussi que je suis un peu trop bas, je retrouve le sentier c’était pourtant simple : il y a une pancarte. Le coin est rafraîchissant, une petite table et des bancs, bon endroit pour casser la croûte. Mais là aussi, il y a du monde qui arrive, il n’y aura pas de bancs pour tout le monde.

Au retour, je croise une petite famille hongroise (papa, maman, fifille).

  • C’est loin la cascade ?
  • Non, une demi-heure maximum, vous allez sur environ trois cent mètres et puis vous suivez à gauche il y a
  • La ligne bleue ? (balisage de la traversée des monts Harghita)
  • Oui et des poteaux aussi
  • C’est pas vous le Français avec une Sandero blanche ?
  • Heeeuuu si (nom de nom comment y sait ça, lui…)
  • Vous étiez dans les gorges de la Vârghis hier…
  • Vous aussi ?
  • Oui, on était garé derrière vous. Vous êtes seul ?
  • Oui et non
  • Où sont les autres ?
  • Ils sont restés au village…
    -Ah c’est malin…
    Ou quelque chose comme ça… Il y a sept ans, j’aurais à peine pu avoir une telle conversation en hongrois. Les temps changent.

Remontée vers le Madaras. Les sapins ont poussé depuis le temps. Ils offrent un brin d’ombre appréciable, mais la vue sur le plateau de Harghita en est un peu dérobée. Aujourd’hui, il faut être au sommet pour l’apprécier réellement. Les temps changent. Petit appel à ma copine pour lui dire où je suis, elle a vu une photo que je venais de partager sur un rézeausocial. On prend des nouvelles. Au sommet, je prends quelques cailloux et refait quelque chose que je faisais déjà il y a sept ans, écrire son surnom, faire la photo sur fond des kopjafa plantés ici par dizaines.

Le Harghita Madaras est depuis longtemps consacré comme montagne sainte des székely (Sicules). Tout groupe qui monte là-haut y plante une croix ou un de ces piquets traditionnels. Ça confère au lieu une petite ambiance particulière. Était-il par contre indispensable d’y installer un pilier surmonté d’un aigle ? Le drapeau Sicule, je dis pas. Après tout, bretons basques et savoyards le mettent bien partout où ils le jugent opportun. Mais ce machin surmonté d’un aigle ? Bof… Les temps changent…
Côté Nord et Sud, deux tables d’orientation, ça aussi c’est nouveau.

Ben je vais tenter du nouveau. Descendre côté Nord (le gros des promeneurs arrive côté Sud) et repasser à flanc pour rejoindre la station. Le sentier Nord est beaucoup plus calme un chouia plus raide aussi. Ceci expliquant peut être cela. Théoriquement, je dois rejoindre le sentier des crêtes (la fameuse ligne bleue) et tranquillement revenir de là où je suis parti. Ouimaisouimaisouimais… C’est que ça a l’air d’être une bonne rallonge ça, en plus le temps qui se couvre… Bon vaut p’tet mieux rentrer au plus court. Finalement je vais pas au bout de mon idée. Ça c’est pas nouveau…

Retour à la station, c’est à ce moment-là que je réalise à quel point ça a construit. J’en viens à imaginer le moment où les trois tire-culs qui font office de remontés mécaniques ne satisferont plus la demande, un abruti passera là pour proposer une extension du domaine… Le cauchemar ! Un télésiège au Madaras ! Je me rassure en pensant qu’il se trouvera bien quelqu’un de haut placé chez la communauté Sicule suffisamment vindicatif pour ne pas qu’on touche à leur sanctuaire…

Retour au refuge. La première fois que je suis venu, c’était vraiment un refuge, j’étais monté à pieds depuis Izvoare, cueilli par une grosse rabasse comme sait nous en concocter le ciel transylvanien, je me suis précipité là-dedans sans plus de cérémonie. L’entrée donne sur un petit bar et un grand réfectoire. Ça faisait refuge. J’y avais pris une bière et une saucisse-frites en attendant que ça se tasse.

« Rhôallez! » Me dis-je « je vais m’y boire une bière ». Le réfectoire est toujours là, mais les tables ont changé. Ça fait plus propret. Le bar n’a pas changé, je commande la bière, une Harghita, bien évidemment. La feuille usée qui faisait office de carte à laissé la place à de gros tableaux disposés sur un mur du réfectoire. Le temps d’un coup d’œil, le gardien me fait comprendre que la cuisine n’est pas ouverte pour l’instant

  • C’est pas grave, juste… Je suis venu ici il y a sept ans et… (je cherche mes mots)… Les temps changent.
  • Oui, ça a changé…

Lui aussi d’ailleurs…

Il y a sept ans, ce n’était pas le même gardien…

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Joli récit. Les temps changent… Même si je n’ai pas d’exemple en tête, je suis à peu près sûr qu’on a la même chose dans nos montagnes.

C’est pas comme si il y avait des aménagements dans nos stations qui se font à coup de promotion immobilière avec des gros sabots…
Ça a pour l’instant un côté humain, ces constructions successives.

Pas faux… J’étais en train de chercher un exemple ou ça se monte « ex-nihilo ».

Ca aura réellement changé quand tu te sentiras obligé de changer de pseudo!

Il y a quand même quelques trucs sur lesquels on ne se refait pas…

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