Souvenirs Matheysins : Tectonique des claques

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Moi, j’ écris des histoires, pas courtes, pas longues, pas des salades mais des histoires, simplement.
Je parle des gens, ça me plait, mais je ne rends hommage à personne, jamais.
Les Grands, dans ce monde, ils ne m’ intéressent pas, les petits non plus, d’ ailleurs.
Mais les petits, ils ont une histoire, une histoire à eux, méconnue, cachée, inédite, mystérieuse et intime.
Contrairement aux Grands, les petits, ils nous étonnent et nous ressemblent affreusement.

De la montagne, on pourrait en parler des heures : " l’ important n’ est pas d’ avoir fait beaucoup de courses, l’ important c’ est de beaucoup en parler " , qu’ il a dit Livanos…

Des gens, c’ est pas pareil…
Des fois on préfèrerait les oublier vite, ou bien ne jamais les avoir connus ou mieux : qu’ ils n’ eussent jamais existés…

Le passé c’ est comme ça, trop peuplé.
Quand ça revient, on se prend une claque bien appuyée au beau milieu de la face.
Le passé, ça ne discute pas, c’ est hermétique, on ne peut plus rien en changer, trop tard…

La montagne, c’ est beau et c’ est haut.
Elle est pleine de nuances, la montagne et des mystères bien profonds aussi.
Les Braves qui montent sur la montagne, ils en ont bien de la chance.
Ils en reviennent, toujours humbles et tout auréolés de gloire , les Braves, comme des petits Jésus.
Et puis, il y a ceux, parfois, qui ne reviennent pas.
Alors, on est bien triste et l’ on pleure longtemps et sincèrement.

Enfin, il y a ceux qui y vivent, à la montagne, là, au pied et qui ne monte jamais.
Ceux-là, ils connaissent les hivers de six mois, les maisons froides et les pieds mouillés.
Quand les autres ils partent, eux, ils restent.
Ils ne connaissent pas la grande joie des autres.
Ceux-là qui vivent dans la cité minière, borgne et sale.

Je suis de là, moi aussi, de la cité du " charbon des montagnes ", du pur ! camarade !
Anthracite !!!
Anthracite !!!
Qu’ il gueulait l’ ingénieur! 98% de carbone ! le plus pur de France !
Ah ! la bénédiction de la montagne !
On avait les yeux bien ouverts et on ne comprenait pas grand-chose…
La mine !
La mine !
Qu ‹ ils psalmodiaient tous…
J › y suis né, là, à la montagne, je l’ ai eu toute ma vie devant le nez.
Dans les années 70, on voyait les choses autrement, moins retordes et plus crues…
La montagne, ça nous travaillé dur, déjà.
A l’ école, on nous montrait un peu la " chose ", avec des noms dessus : Lachenal, Rebuffat, Terray…
Elle nous faisait pas peur, elle nous étourdissait plutôt.
Pendant la récré, on regardait en l’ air.
De Nantizon, on la voyait bien la motagne, devant, derrière, de partout, des beaux amoncellements, bien épais.

On connaissait les " titres " et les " appellations ", l’ altitude, la hauteur, on ne savait pas.

Ce qu’ on savait par contre, c’ est que quand on y montait, avec le Père Bonnet, notre curé rouge, on devenait tout autre.

Dans la classe, notre institutrice, elle nous montrait le Mont Blinc ( on a l’ accent Matheysin en Matheysine ), les Grindes Jôrâsses ( ça nous faisait marrer ), le " Monte en l’ air " , qu’ on disait, et on se faisait joyeusement enguirlander, entre les chromos et la topographie.
La mère Treppo, elle était dure et tendre, mais elle nous foutait des sacrées beignes parfois.
A l’ école de Nantizon, on était de bons petits ânes bien joyeux.
C’ est joli Nantizon…

La montagne ouvrère, elle, elle n’ existe pas.

En bas, c’ est la misère et la bourbe, dans la noria infinie des camions charbonniers.

Le Peychagnard, Le Crey et surtout La Centrale, rognon ouvrieux, noir, collé à la montagne comme un kyste, pleine bise, plein Nord.

Cité crasseuse, coincée entre le four sécheur et les " raziers " du schlamm pulvérulent.

C’ était la montagne pourtant, il s’ y compressaient des troupeaux de gosses hagards, aux yeux blêmes, qui poussaient comme ils pouvaient, entre les gueulantes hystériques des mères perpétuellement engrossées et des pères taiseux et cognards, toujours imbibés, même la nuit.
C’ était là, le pays des " équipes ", de ceux qui " descendent au fond à 20h ".
A La Centrale, les gosses c’ était les pires.
Quand on allait à la pêche à l’ étang du Villaret, court-bouillon vaseux où infusaient des poissons-chats, ils guêtaient les pontons, les minots.
Il fallait payer un tribut, une pochette d’ hameçons, un flotteur ou des " bleues ", celles-là mêmes que je piquais à mon Papa, celles-là, les salopes, qui lui préparaient sournoisement les deux infarctus qui le laisseraient bien pantois.
Ils étaient pas gros, les lardons, mais nombreux et bien vicelards aussi.
Maman, elle n’ aimait pas trop qu’ on aille traîner là-bas, " que des ivrognes ", qu’ elle disait.
Pourtant, c’ était des gosses de la montagne, ils la vivaient aussi, eux, comme les beaux alpinistes.
On en parle pas trop, de ceux-là, ils n’ alimentent pas la chronique.
La misère ouvrière, en montagne, on préfère l’ oublier, ça fait pas vendre, c’ est pas porteur.

La Corinne, qui s’ en souvient ?
On montait au " silo " avec elle.
Elle, douze ans, en CM1, on ne s’ embarrassait pas de préjugés, au Rectorat.
Elle prenait la position de l’ accouchée et elle nous montrait tout : les plis, tous les mystères du Mille-Feuilles, le martyre à venir…
On pouvait regardait longtemps, son cousin , il veillait les " communaux ".
On touchait pas, on s’ ahurissait, on s’ émerveillait, on s’ âbymait en somme.
On redescendait du " silo " avec plus de questions que de réponses, ça nous coutait un franc et des clopes… 10 ans, qu’ on avait, au mieux.

En montagne, la misère ouvrière et la même qu’ ailleurs, avec le froid comme cadeau.

Je l’ ai vue, je l’ ai connue, j’ ai bu dans la gourde le vin noir du peuple rouge, j’ ai bouffé le " fayots-cervelas "des mineurs de fond, ébahis et silicosés, " gueules-noires " de l’ Internationale Communion.

Le Villaret, c’ est là aussi que j’ allai, à 14 ans, esquisser les premiers pas d’ un ballet vertical.
Enfant, j’ avais un ami, un double, râblé et crêpu, moi, long et maigre…
Rikiki et Roudoudou, qu’ on nous appelait.
Adolescent, les sacs de farine sur mon dos calmeraient ma stupide croissance, ça partirait en largeur…
A14 ans, c’ était Papy Socrate et Finottu, souvenir Corse, taffoni, aquarelle azurée, odeurs chaudes.
La " Carrière " du Villaret allait nous voir décoller du sol, nous tendre sur le caillou…

Le " Pilier " allait accueillir notre premier solo, la " Dalle " , notre premier 6, au " Dièdre " , on prendra notre premier but.
Plus tard, aux gorges du Drac…

On nous a mis des ailes, on s’ envole d’ en bas, on quitte le sol, la cave, la crasse…
On s’ élève vers un soleil nouveau, c’ est la montagne qui nous l’ offre…

La " Centrale " , aujourd’hui, ils l’ ont rasée.

A la place, il y a des lotissements, pires encore…

La cité du Villaret, rasée aussi, le lavoir, monstre vibrant, Babel grelottante, rasé…

De la passarelle aérienne, du four sécheur, des raziers, il ne reste plus rien, sinon le chevalement du puits, cathédrale métallique attestant de la douleur des masses.

Les mineurs, ils sont loins, vieux ou morts…

Tous souffreuteux, catarrheux, bouffés d’ acides, brûlés par le cancer, innéluctablement, poussière de charbon, Gauloises, Gitanes, Maïs, drogues nationales.

La montagne, ils n’ en ont pas profité, eux.

Un peude chamois, pour les plus riches, bartavelles, tétras.

L’ Obiou, ils l’ ont pourtant regardé tous les jours…
Ils n’ y sont jamais allés, ils n’ ont pas connu la gloire du retour, l’ ivresse du sommet.

Pourtant, ils étaient tous montagnards, comme moi.
Les monts et les pics les ont-ils fait rêver ?
Les falaises et les précipices, ont-ils louchés dessus ?

Moi, mon histoire commence là-haut, au milieu de cette bruyante peuplade, dans ce berceau de montagnes qu’ est la Matheysine.

Les histoires, on me les a apprises: " la vieille aux pierres bleues ", "le Démon malicieux " , "les huit assasssinés " , " le prêtre fantôme " , " les jeunes-mariés noyés "…
Des histoires lointaines, que l’ on, murmure à peine…
Les noms, les mots, je les connais: " la glaneuse de craous " , " l’or de la Combe Simane " , "l’ invasion des jarious "…

Je les garde, ces histoires, je les tais, parfois, je veux bien lâcher un peu de mou…

Alors, approchez-vous, approchez…

Causons…

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par Flo:

Ben, ça valait le coup d’ attendre 1 mois pour avoir une histoire!!! Extra!!!
Finalement t’ as raison il vaut mieux la qualité que la quantité, si tu nous sors un récit comme ça, par mois, on s’ en contentera.

Posté en tant qu’invité par l’Urbain:

Flo a écrit:

si tu nous sors un récit comme ça, par mois, on s’ en
contentera.

Tssss… Quel manque de psychologie.
Tu vas en avoir un tous les ans, de récit.
Non non, faut le booster l’Alban, lui demander l’impossible, la lune, avec une piste d’attérissage pour la navette stp.

Allez Alban, demain, la glaneuse de craous.

Posté en tant qu’invité par jc:

Chez Flammarion, collection Matheysine, tome 1…
A quand le tome 2 ?

Posté en tant qu’invité par visse:

Salut Alban K,
d’abord félicitation pour ce morceau de « sociologie montagnarde »
Sinon j’me permets de m’ incruster pour te demander si tu n’avais pas quelques photos de ta belle région : j’compte bien trainer mes guetres du coté du Dévoluy, du Valjouffrey, du Valgo et du coté de Chantelouve
Merci bcp

Posté en tant qu’invité par J. de Zèlache:

Dis-donc c’est du Zola ton machin ! Tu vas nous foutre le cafard ! C’est bien écrit, mais t’es en dépression ou bien ?

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Non non, pas du tout…

C’ est au contraire plein d’ optimisme.

J’ ai eu une enfance extraordinaire, entre la montagne et les copains.

On vivait dans une insoucience heureuse, nos parents avaient du travail, nous, on était habitué au froid, à la grisaille du paysage des cités minières.

Mon père était responsable "du jour ".
Son travail consistait à faire en sorte que la mine ne manque jamais d’ électricité…
C’ était le " chef " des " électro-mécanos " , reconnu par sa hiérarchie comme par ses subordonnés pour ses qualités de coeur…

Maman n’ a jamais eu besoin de travailer, on vivait au Villaret, au bout du village, dans une immense maison.
C’ était un lieu privilégié par rapport au reste de la commune, nous le savions.

Nous avons grandi dans un joyeux mélange de montagne, pêche, champignons, sorties « nature », forêts, longues promenade au clair de lune, tantôt français, tantôt polonais…

Mes parents étaient très « cool » …

Mais pour d’ autres gosses, en particulier dans les villages que je nomme, la vie n’ était pas rose…

Nous en avons toujours eu conscience aussi, mes parents m’ ont appris ça…

Celà reste malgrè tout un texte dédié à la montagne, car c’ est là où nous avons grandi, libres et heureux…

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Envoie-moi plutôt un mail, qu’ on ne pollue pas le forum.

A+, AlbanK.

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par Humo:

un seul mot: bravo !

Posté en tant qu’invité par sergio:

bonsoir
bravo !!! toute mon enfance!!
mais un peu plus heureuse

Salut l’Albank, ça fais plaisir de te relire… c’est dur de faire « passer » la notion du bonheur…hein ?

Posté en tant qu’invité par invité05:

Un grand bravo et un grand merci pour ce texte.
j’ai des copains en matheysinne, qui ont bien l’accent, et qui m’ont brièvement évoqué ce passé pas si lointain. et ça fait du bien de rappeler qu’avant d’être un terrain de sport, la Montagne c’était un lieu de vie, de travail, dans des conditions souvent plus rudes que dans les vallées. Et qu’un Montagnard, c’est un habitant de la Montagne, pas un alpiniste. Nuance qui a plus ou moins disparue aujourd’hui.

Fred