Posté en tant qu’invité par AlbanK:
" Et à la fin de l’ envoi, je touche "
E Rostand
« éhéhéhéhéhéhéhéhéhéhéh »
moi
Paradigme, entropie et sardines-sauce-tomate
Où l’ on apprend avec stupeur que de l’ accroissement du taux de désordre ne nait pas systématiquement l’ énergie
Il pleut
Il pleut
Il pleut
Il pleut
Il pleut
Il pleut
Il pleut
…Quoi !!!
Persienne
Persienne
Persienne
Persienne
Persienne
Qu’ il a écrit l’ Aragon ( n’ est-ce pas, Pierre ? ) et on a crié au génie, alors :
Il pleut
Il pleut
Il pleut
Il pleut
Tant et si bien, avec un tel acharnement que ça transpire dans à travers la toile du cercueil, "imperméable ", tu parles.
Il finira bien par faire nuit, on se casse, à Valsenestre il y a une cabine à pièces, on appellera et quelqu’ un viendra nous chercher.
On range tout, enfin le peu, on avait rien sorti en fait.
Pour la bouffe, on prend dessus, c’ est des pilchards.
D’ habitude, je m’ enfile un pain entier avec la boîte.
Ce soir, ça ne passe pas trop, j’ adore ça pourtant.
Gamin, la diplomatie, l’ art de la modération, on ne contrôle pas encore :
« L’ autre, putain ( Jean, il râlait ), si on l’ avait eu sous la main, oh putain !,( c’ était reparti ), on lui aurait foutu… »
au moins…
si ?
bon…
Enfin, si on l’ avait eu sous la main, l’ autre, ben, ça voudrait dire qu’ il serait venu ( et toc !!! ), que je lui fait, au yéti.
Du coup, il la boucle et il fait la tronche.
Il ne va pas tarder à faire nuit…
A cette époque, Jean, il avait de la barbe, il en a toujours eu d’ ailleurs, mais là, ça partait dans tous les sens.
Il devait la tailler deux fois l’ an, et encore, à la hache, je vous laisse deviner l’ horreur.
Clône hirsute, vacillant dangereusement entre Raspoutine et le fâmeux Ernesto Guevara ( dit Le Che, Rosario 1928-Région de Valle Grande, Bolivie, 1967, j’ avais trois ans, éhéh !!! )
Lorsque la colère le prenait, il gueulait tout de suite.
Je pense que, dans une autre vie, il avait dû être viking, sûrement qu’ il avait bouffé de chair humaine, certainement des enfants tiens, ceux des voisins qui vous emmerdent avec leurs vélos dans les allées, ceux qui s’égosillent en gueulantes suraigües et incessantes, les sales petits morveux.
Ou alors, il avait des côtés lycanthrope que j’ ignorais.
On a tous nos jardins secrets.
Son regard lointain lui donnait un air encore plus rustique.
En fait, il était miro, comme une taupe.
Il y voyait à vingt mètres à peine, et encore, avec les phares.
Il possédait des montures " sécurité sociale " tellement affreuses qu’ elles auraient fait pâlir d’ effroi Nana Mouskouri elle-même, c’ est vous dire.
Du coup, elles ne trônaient qu’ en de très rares occasions, les châsses.
C’ était dit.
Basta.
Les grandes décisions avaient été prises, il est vrai que ça ne valait plus la peine d’ insister.
On avait une bouteille de pinard sous la main.
Elle fût sacrifiée sur l’ autel humide de la déconfiture, la nôtre, mais, noyé sous la douche, le blanc, il nous parut quand même bien sec.
Huit heures, on est en train, on a pas déjeuné.
C’ est plus de la pluie, c’ est la piscine, olympique de surcroit.
Le barda, plié en vitesse.
Ça dégouline dans la nuque, le dos, et puis sur mes lunettes, fatalement, étant donné que je suis myope, de naissance.
J’ avais bien un vague mouchoir, mais au deuxième passage, il était trempé, tant pis, je m’ arrangerai.
Première erreur.
Finalement, les sacs sur les dos, vaille que vaille, on démarre.
Le mien, de sac, il tirait à droite, méchament.
Je saute sur place, je " rattrappe " à mort, rien y fait, il faudrait le détendre ou le refaire, pas envie.
Deuxième erreur.
Le Jean aussi, il a mis ses binocles, avec le " caoutchouc " ( acheté au stock américain ) pour pas qu’ elles ne tombent.
On avance comme on peut sous les trombes et les ressacs bien décidés à nous liquéfier, à nous dissoudre.
Dans cette noyante aveugle, on devient soluble, poreux, spongieux, perméables.
Les ponchos, ils collent, je crève de chaud sous le plastoc, mes verres embués, je n’ y vois plus rien, pourtant, c’ est moi qui ouvre.
Troisième erreur.
Ça glisse de partout.
A un certain moment, il y a une vraie barre à redescendre, tous les skieurs connaissent.
On passe comme ça, en escargot, putain, ça tire, j’ y vais à croupeton, en ramasse, j’ ai le cul trempé.
Ça descend raide, je tire à gauche pour rattrapper le poids du sac qui bigle vers les tréfonds humides mais bien solides.
Soudain, je glisse.
" Ouèp !!!, qu’ il gueule.
-Noooooooooooooom deeeee Diiiiiiieu !!! "
Je me ramasse comme il faut, le genou, l’ épaule, la tête.
Je me suis bien rétamé, en fait, en glissant, je suis parti en arrière et je me suis cogné sur le côté gauche.
Un bon coup dans le casque ( un idée de Jean : " on garde le casque " ), ça calme.
"Ça va ?, putain, c’te frousse !!!
En fait, c’ est l’ épaule qui a pris, j’ ai franchement mal, le poncho est complètement déchiré, il pend lamentablement sur le devant.
" Tu veux attendre deux minutes ?
-Non non, 'te casse pas …
-T’es sûr ?
- Ouais ouais, c’ est bon, c’ est bon…"
On repart mais je n’ y suis plus du tout.
Je foire complet.
Je roule des yeux, affreux.
J’ ai vraiment la frousse.
J’ ai les cailles.
Plus bas, on passe dans un vrai pas de III, je colle comme je peux, on a pas sorti la corde.
Jean, il suit, ça va.
On s’ en sort, après c’ est raide, plus qu’ à La Muzelle.
Les lames, dans le sens de la pente.
Ça glisse de plus en plus, on nage dans de l’ huile.
La flotte lave et relave.
Les sommets ont disparus, guillotinnés de brumes lourdes.
Ça coule sur mes lunettes, je vis dans ma douleur, je ne suis plus que douleur.
On m’ arrache l’ épaule.
Je ne vois plus rien dans cette merde.
On descend à travers les barres, il n’ y a plus de couleurs, comme dans mes jumelles russes, on ne distingue plus les reliefs.
Je m’ embrouille complètement dans cette patinoire.
J’ envoie trois pas de godille.
" Putain, fais pas le con !!! " qu’il gueule, mais je veux être en bas vite fait.
J’ accélère, il pleut de plus en plus, la pente elle se durcit, plus bas, ça va se calmer, je connais.
Pour l’ heure, c’ est tendu comme une élingue, ça daï, à mort, j’ envoie dans la pente, je lève les genoux, Houch, Houch !!!, j’ en ai marre, trois godilles, Jean, il suit plus, j’ ai les quadri qui tétanissent, je file, je suis la ligne, à vue, deux sauts de bergère, je crache les poumons, j’ accélère encore, Badoum Badoum !!!, à chaque pas, au bord de l’ apoplexie, je fonce, je saute, je m’ asphyxie la bouche ouverte, faut que je m’arrête, putain !!, c’ est plus possible !!!, je mets les mains devant, par instinct, Jean, il voit tout , impuissant, je me mange une caillasse, ça dégadaille, je me marche sur le pied…
" Putain, Al !!! putain !!! Ouèpèpèpèpèp !!! Pâpâpâpâ !!!, qu’ il gueule, matheysin.
Je suis tout parti devant, les mains, la tête, j’ ai roulé, trois fois au moins, je me reçois, en morceaux, je ne sents plus que la pluie sur moi, je râle, je suis en train de creuver, c’ est sûr, je suis brisé, ruiné, ma vie s’ échappe de partout…
Jean, il arrive, tout sur le cul, en fait, ça allait plus vite.
" Oh putain, Alban, Alban, putain, parle, putain, parle, dis-moi qu’ t’ es pas mort !!! "
Moi, j’ en suis à :
" Rhââââ …
-T’ es vivant, putain, t’ es vivant, qu’ il pleure, l’ autre.
Alors que je suis en morceaux, il est là à se réjouir !!!
- Bouge, nom de Dieu, bouge, s’ te plait …
Moi, j’ en étais resté à : - Rhââââ…
- Putian mais bouge nom de Dieu !!! "
Finalement, je bougenomdedieu un peu.
Les sensations reviennent, la douleur aussi, implacable.
La tête, une courge en vrac, j’ ai envie de vomir, de dormir, de mourir.
Je suis glacé par la chaleur qui m’ étouffe.
Soudain, comme un éclair, dans la bras droit, un mal insoutenable.
" Whargg !!!, que je couine, je me suis pété le poignet !!! "
Difficilement, je me rassois, ça tire de partout, mais je suis entier.
Je soulève le bras droit : Horreur !! , au bout de ma main pend un doigt arraché, duquel fuit le sang mèlé de cette pluie terrible…
Ça coule de partout, sur les pierres, sur mon bénard, plein l’ Eider.
La douleur et la vision, c’ est trop.
Une boule me remonte du ventre jusqu’ au front, j’ envoie tout, je dégueule comme un ivrogne, c’ est affreux.
Devant la scène, Jean, il se défrise, il dépose lui aussi, avec emphase, vigoureusement.
Je regarde cette chose sanguinolante, en pleurnichant.
" Oh putain ", je pleure franchement…
Jean, il déballe la boîte-en-fer, on va jouer au SAMU des montagnes.
J’ amène ma main à moi.
Avec soulagement, on s’ aperçoit que, dans les flots sanglants, j’ ai tout l’ ongle du pouce arraché et retourné, pendant lamentablement et toute la paume entaillée, comme une bouche ouverte.
C’ est atroce mais quand même pas si grave.
" Touche pas ! " , que je lui gueule, à mon infirmière privée.
J’ arrive tant bien que mal à refoutre le machin à sa place, mais la paume et le pouce, ça m’ a l’ air bien en mal et bien tordu aussi.
On fait une poupée, ça a de la gueule.
On regarde avec circonspection ce pouce…
" Attends, je vais faire un truc ", qu’ il avance, le Jean.
Il prend mon poignet dans sa main, il a vu Pâpo le faire cent fois.
" Whô !!!, que je lui fait ( interjection matheysine exprimant le désaccord ).
Doucement, il palpe, ça va…
Après l’ articulation, il serre un peu et d’ un coup sec et sûr : Clôk !!!
" Wharrgghh !!, que je gueule, ça me remonte d’ un coup, moi qui me croyais vide, j’ envoie encore une bonne giclée, par la bouche, par le nez, par les yeux, que sais-je, les restes du pilchard !!! incroyable…
Jean, il me fout de la flotte sur la tronche, je pars, dans les vaps’…
Enfin, je reviens, doucement…
Ça va mieux, y’ a pas à dire, un artiste, le con…
Il fallait repartir, Jean, il me tenait, j’ étais bien amoché mais surtout occis, moribond.
Le plus dur, c’ était cette envie de dormir.
Le chemin qui mène au village, il n’ a jamais été aussi long.
Je tricotais sans arrêts, fallait me retenir tous les deux pas.
Enfin, on est arrivé à Valsenestre.
Il pleuvait toujours autant, voire plus.
Je ne voyais plus que la moitiè de ma misère, vu que mes lorgnons, dans la bagarre, ils en avaient pris un sacré coup.
Il n’ y avait plus qu’ un verre, des lunettes toutes neuves, prétenduement incassables, on appréciera…
On a appelé Maman, dans la cabine à pièces, Jean, il cherchait ses mots.
Ça a pas bardé avec Papa, j’ étais vivant, c’ est l’ essentiel.
Des esprits libres, mes parents, je vous dis.
A l’ hôpital, à La Mure, ils m’ ont saucissonés aux rayons X.
Entorses pouce, poignet, une côte félée, leger trauma cranien, c’ était pas cher payé pour un aussi joli ballet.
On allait me recoudre la main aussi.
Là, c’ était moins joli.
A deux, ils se sont mis en tête de m’ endormir la douleur.
On a enlevait la poupée ( ils ont reconnu qu’ elle était bien jolie, cette poupée, quand même ) et puis, comme ça, sans prévenir, ils m’ ont enfoncé une seringue dans le pouce.
Je l’ ai bien sentie passer, la garce, et tout de suite, une écoeurante sensation de chaleur.
" Ah, c’ est pas bien beau" , qu’ il répétait, l’ interne, obstiné…
Enfin, le chef de la tribu fit son entrée.
J’ ai tout de suite compris que c’ était lui le chef à voir la tête qu’ ils ont fait, les deux fiottes.
Lui, le chef, il avait un faciès à la " Yves Robert ", mais Yves Robert ennervé.
Avec une pareille tête, c’ était sûr qu’ il était leur chef, il y avait même pas à réfléchir.
Il a commencé à les engueuler, les deux verdâtres, avec conscience, et puis, il a fourgonné dans les tiroirs, les armoires, sur les étagères…
Finalement, le plus téméraire lui a fait, des grelots plein la voix :
" J’ ai préparé le haricot …"
Il a mufflé, l’ Yves Robert, et puis il s’ est assis près de moi, avec ses gros yeux.
" Bon, qu’ il a dit, en expertisant le désastre, et bien maintenant, y’ a plus qu’ à recoudre …"
à suivre
[%sig%]