Souvenirs Matheysins :"Pâpo, Jean, Mélie"...V

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

« Il pleut dehors il pleut,
Et c’ est tant mieux,
Car s’ il pleuvait dedans,
Je ne serai pas content »

Henri Dès ( on peut pas toujours citer Goethe !!! )

" De l’ étonnante vertue des bocks de bière "

Un sac, c’ est jamais bien lourd.
C’ est ce qu’ on met dedans en sentiments et en émotions qui fait de grand poids.
On l’ enfile comme une veste.
Comme elle, il a gardé notre souvenir d’ homme, comme une ombre.
On le sent autour de nous, le sac, c’ est un morceau de nous qu’ on a laissé et que l’ on retrouve intact, avec bonheur.

Pour la bavante, je suis champion.
La daï, c’ est mon affaire à moi, on me la laisse, on discute pas, pas de soucis.
Un peu de mise en train, et puis ça roule des genoux.
Le pas, le même depuis un temps déjà.
Je sue comme une mule, mais ça marche à tous les coups.
On me fait confiance, c’ est mon ministère.

"-Faï pas caou !!! ( le Jean )
-Humm… ( l’ Alban )

Toux de fumeur, rhum matinal, crachat…

Les neurones reprennent leur place, leur activité normale, mais, ce matin, tout est trop lent.
Je suis encore dans les limbes, entre la Mélie, les vaches de Pierre-Châ et la Swan.

Pourtant, il faut s’ enthousiasmer, on est parti, allez Alban, profite !

La sente, je ne la prends pas, je tape tout de suite en direction de la barre au dessus, après ce sera le pierrier, interminable.

Par deux fois déjà, je suis venu ici, pour repérer le meilleur tracé.
Jean, il me suit docile.
Il l’ a enfin bouclé, c’ est pas trop tôt, aujourd’ hui, je ne suis pas du matin…
Ça ne démarre pas.
Je trébuche, deux fois de suite, c’ est mal barré.

"-Bon, on s’ arrête et on recommence ( moi )
-Comme tu veux ( lui ) "

Je me cale les mains aux hanches, et puis non, je m’ assois.
Au dessus, il y a quelques belles pavasses qui ont eu le bon-sens de finir leur course avant le pierrier, ça fait de bons fauteuils.
Donc, assis, on tend le museau du côté où doit se trouver le sommet, qui se découpe quand même un peu, noir sur noir.

J’ ôte et je remets mon bonnet, alternativement.
Le barbu, il gratte sa barbe, bruyament.
"-Putain, ça gratte, qu’ il lache…

On vit un instant dégoulinent d’ ennui dand la caillante matinale.

Un clope, allez, Camel, briquet…

Dans le globe lumineux qui nous étreint, je vois la grosse tronche de cake, là, souriante.

Jean :
"- Au fait, bon anniversaire ! "

Alban :
"-Ah ! t’ es trop con ! ah putain, merci vieux !!! "

On s’ embrasse, on se tape sur les épaules, on se marre…

"- Bon, on y passe pas la nuit ! ( le copain )

  • Allez, zou !! à tout seigneur tout honneur !! ( l’ autre copain ).

Ça caille, ça serre, ça pince mais qu’ est-ce-que c’ est bon.
Tout de suite, on prend pied sur le clapier.

La Swan, je l’ avais laissée hier soir, dans mes pensées.
Je la retrouve, tout pareil, ce matin, en boquillonnant dans ce merdier du Peyron.

L’ autre, l’ Alpin, j’ ai plus trop la ringue contre lui.
On s’ est revu, lui et moi, une fois à Fontaine, vite-fait, une autre, à Guillestre, vraiment par hasard.

Là, on a pris le temps de parler.

Avec une bière et un peu de jujotte, les hommes arrivent toujours par s’ arranger entre-eux.

C’ est d’ailleurs ce qu’ on devrait faire avant de se foutre des bombes sur la gueule, pour des idéologies raciales préhistoriques ou des prophètes à la con, barbus ou non.

On a parlé surtout de la suite, de notre manière qu’ avait à nous arranger avec les absents comme avec les présents.

Bien sûr, il avait appris pour Jean, il avait appris pour Le Miou, il savait, comme moi.

On a pas échangé nos numéros, on s’ est serré la main.

Il redescendait à L’ Argentière, là, il avait un truc.
De mon côté, je montais au Queyras, avalé quelques temps par une solitude aussi amère que salvatrice.

Le premier soir, à la Swan, on a monté le " cercueil " vite fait.
On a tout foutu dedans, et on a gardé nos godasses.

Il faisait un froid de canard, ça sentait vraiment pas bon, le truc.

" Le ciel était gris de nuages,
il y passait des oies sauvages,
qui criaient la mort au passage,
au dessus des maisons des quais "

Sauf que là, l’ Aragon, il ne se serait pas allongé " dans les hoquets du piano las ".
Un méchant zéphir nous mordait les lèvres, ça brouffait dur, mais les sommets se dégageaient bien, ils étaient à bonne distance…

"Ça fera pas d’ orage, que je lui ai dit, t’ as vu, elles se sont pas " rapprochées "
-Ouais, on voit " en haut " .
-Par contre, si ça tombe, ça va rincer dur.
-Putain, faudrait pas… "

Les " phénomènes " , on connaissait, les montagnes trop près, les sourdes, les grains trop francs, on avait donné, merci.

Au Pic Turbat, un orage apocalyptique avait atomisé mon insouciance, j’ étais devenu bien méfiant, mais on ne peut pas tout prévoir, surtout quand c’ est le pire.

C’ est bien ça, le vice.
Du coup, l’ autre, on l’ avait un peu oublié.

Le soir, on parla de tout, du beau temps et du beau temps, mais surtout pas de la pluie, ça, interdit, fallait conjurer coûte que coûte, on en avait la bouche pleine de frousse.

On priait, en douce, entre les dents.
Ça devait bien s’ élever plus vite, la prière, si loin du sol!

Je me suis éveillé à quatre heures.

Ça faisait du brouillard dand la tente.
Le vent était tombé, il nous avait laissé un sacré cadeau.

On avait pas assez prié, assurément, ou il manquât de la ferveur, on aurait dû conjurer plus, amener, je ne sais pas, du sel et un poussin, un chat noir ou une échelle…

Les fers à chevaux, on en trouve pas au Coin Charnier et la farouch des turfistes, elle pousse pas sur la Pointe Swan.

Ça flottait donc, obstinément.
On était foutu, c’ était décidé.

Il ne fallut pas attendre longtemps avant que le jour ne vint éclairer ce triste tableau.

Hélas, c’ était pire que tout.

Une catastrophe acqueuse.

Des ruisseaux avaient poussé de partout.
Des cascades par poignées.

Ça pissait comme jamais, sans haine, avec une patience d’ horloger, et tout ce joyeux bazar, agrémenté ça et là de brumes montantes, vous savez, celles qui ressemblent à des fantômes, tant on leur trouve des gestes humains, foutait par terre les derniers de nos espoirs.

Toute la vallée s’ était travestie en rideau de douche.
Ça luisait de tous côtés.

On était marri, jusqu’ au trognon.

Pourtant, on avait espéré, on aurait bien essayé le vaudou, si au moins on avait pu.
La martingale, c’ était pas la bonne, pas ce coup-ci tout au moins.

On en revenait pas, ébaubis qu’ on se retrouvait.

Mais, des fonds de notre cervelle liquéfiée, un vague éclair nous ramena à cette lancinante question :
" Et qu’ est-ce qu’ on fout maintenant ? "

Une lueur nous rappela qu’ on attendait quelqu’ un, ici, et que c’ était pas Gonod.

Mercredi dans l’ après-midi, qu’ on avait convenu, avec le singe.

On avait pas la télé ici, Gicquel, il n’ allait pas nous annoncer le retour du beau temps sur les Alpes du Sud, il fallait qu’ on se décide.

" -On a qu’ à attendre, que j’ ai sorti, professoral…
-Putain, quelle merde, ça fait chier, qu’ il observa très justement, Jean.

Là dessus, je ne pouvais lui donner tort.

On a parfois des éclairs de génie qui nous laissent pantois.

On a pas eu faim de la journée…

A cette époque, j’ avais des jumelles, des russes en plus, ça, c’ était pas ordinaire.

Dans des jumelles soviétiques, on voit la vie en russe.

Je vous jure que c’ est vrai.

Elles étaient d’ une précision incroyable, ces jumelles, mais on aurait dit qu’ elles gommaient les couleurs, qu’ elles les avalaient en fait, ça rendait des paysages en noir et blanc, comme dans un vieux film, et puis, au milieu, une visée en abcisses et en ordonnées, une véritable lunette de tir, comme à Stalingrad en somme.

Jean, il les voulait tout le temps, les jumelles, je mettais de la buée sur les lentilles, qu’ il prétendait, l’ hypocrite.

A force d’ insistance, il les avait obtenues, moi, je suis allé roupiller un moment.

Journée blème.

16 heures…

Le barbu, il s’ était fabriqué une espèce de bunker avec son poncho ( américain, lui ) et son sac.

Calé au sec, il dévisageait la vallée, sans un mot, Commandeur patient, attendant son Don Giovanni, pour l’ heure du règlement des comptes…

"- Alors ?, je lui fait, éloquent…

  • Nada !!!, viendra pas…

Les heures roulaient comme des billes, on avait l’ air malin, tous les trois, là-haut, Jean, la pluie et moi.

Entre les jumelles russes et les ponchos US, on avait amenait la Guerre Froide à plus de 3000, il était grand temps que ça cesse, demain, on plie.

à suivre

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par Flo:

merci, très très beau texte!!!

Posté en tant qu’invité par jc:

J’ai encore rien lu (je reviens à l’instant de montagne) mais je te dis déjà BRAVO car I, II, III et IV étaient excellents… (comme mes radis!!)
A plus.
jc

Posté en tant qu’invité par jc:

Ca y est, j’ai tout lu. Bon, ben, la suite quoi… on ne va quand-même pas en rester là. oui je sais, les lecteurs sont exigeants de nos jours…

Posté en tant qu’invité par l’Urbain:

Ça y est, on est encore laissé en pleine panade. En plus, depuis le temps, va falloir que je relise le début. Tu vas voir, le plus simple, ça va être de tout imprimer. Et la forêt, tu y as pensé ?

Oui, bon, fallait bien un râleur de service.

Posté en tant qu’invité par pierre:

Bravo, joli texte …L’inconvénient, c’est qu’on s’habitue, qu’on devient dépendant, et donc qu’il faudrait monter la dose (ou la fréquence des doses …).

Bon, une petite précision (pas un reproche, hein !) :
Ce n’est pas :« dans les hoquets du piano las », mais : « dans les hoquets du pianola ».
Le pianola est une sorte d’instrument à clavier jouant de manière automatique, une espèce d’orgue de barbarie branché sur le secteur, en somme.

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Ah, mon cher Pierre, excellente remarque, mais, j’ ai pris l’ habitude de m’ arranger avec mes poètes, ils ’ en accomodent très bien, ceci- dit !!

Pour moi, ça restera toujours " je venais m’ allonger près d’elle, dans les hoquets du piano las ", simplement parce que ça me parle plus…

L’ Aragon, il a dû bien se marrer en écrivant pareille rime !!!

Ça le fait souvent, chez ce voyou !!!

" je chante pour passer le temps,
petit, qu’ il me reste de vivre,
comme on dessine sur le givre,
comme on se fait le coeur con( tant) !!! "

Ça te parle ???

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

" quand on scie un arbre, j’ ai mal à la jambe et à la littérature " Léo Ferré

Bon, la prochaine, j’ envoie gros !!!

Posté en tant qu’invité par Flo:

Tu as raison piano las, c’ est beaucoup plus joli que pianola, il faut savoir jouer avec les mots, parfois.

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

C’ est bien vrai, d’ ailleurs, quand on s’ arrange avec les poètes, on rajoute toujours un peu de nous, de notre charge émotionnelle et c’ est bien…

Moi, j’ aime la poésie, avec ou sans contrainte, elle est toujours libre !!!

Posté en tant qu’invité par pierre:

AlbanK a écrit:

Pour moi, ça restera toujours " je venais m’ allonger près
d’elle, dans les hoquets du piano las ", simplement parce que
ça me parle plus…

Eh !!! Pani pwoblème, Doudou !
Simplement, si tu veux bien te rappeler que le pianola fonctionne avec un système pneumatique, les « hoquets » prennent un sens beaucoup plus précis et signifiant. Parce que, franchement, qu’est ce c’est que les hoquets d’un piano ?
En outre, le pianola eut une diffusion des plus confidentielle, et dans un bordel des années 30, on voit bien plus ce genre d’instrument qu’un piano …à queue (ouais, désolé, pas pu m’empêcher…).
Donc il me semble que pianola te met (me met !!) bien mieux dans l’atmosphère « ad hoc ».
Bref : vive la poésie !

" je chante pour passer le temps,
petit, qu’ il me reste de vivre,
comme on dessine sur le givre,
comme on se fait le coeur con( tant) !!! "

Ça te parle ???

Tu parles, si ça me parle : par cœur, tout l’Aragon, que je te récite, si tu veux !
Enfin, en ce moment, je suis plutôt sur cette longueur d’onde…affaire de tempo, sans doute.
« Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l’unisson
Ce qu’il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu’il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n’y a pas d’amour heureux. »

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Eh bien, ils ne sont légion les hommes qui avouent leur penchant " pouètesque " !!

Aragon, j’ adore, et Maiakovski, celui-là, il te parle aussi :

" Un froid soleil réchauffait les coupoles " !!!

C’ était tout de même une sacrée époque et une drôle d’ équipe !!!

Aujourd’ hui, il nous reste Bonnefoy, que j’ affectionne en particulier…

A+, Amitiés, AlbanK

Posté en tant qu’invité par AlbanK:

Encore une chose : je tiens à saluer ta culture, bravo, mais une chose m’ interpelle, pourquoi n’ y aurait-il pas d’ amour heureux ( du moins en ce moment, si j’ ai bien compris ) ???
Ou bien est-ce trop personnel ???
Enfin, tu en as trop dit, ou pas assez…