Posté en tant qu’invité par AlbanK:
Lettre à un ami
" Les vallées, on a vite fait de les traverser.
En voiture, en autocar, en train, il faut filer, toujours plus vite, tracer, pas de temps, plus rien à foutre, la daï, quoi…
Les chemins sont devenus des routes, les routes des autoroutes.
On coupe en deux les collines, on perce les montagnes, on canalise les torrents, on rectifie les vallées.
Quand c’ est bouché, on passe dessus ou dessous, pourvu qu’ on passe.
Enfant, quand tu venais " chez nous ", tu devais bien te douter déjà que tout n’ était pas si simple.
Tu vois, ça n’ a pas changé.
Les axes, alors, il n’ y a plus que ça .
C’ est une sorte de maladie qui s’ empare des vallées, ça monte très vite, très loin maintenant et très profondemment auusi, comme la gangrène.
Dans le contrefort des massifs, les sentiers s’ élargissent, saisons après saisons, inéluctablement.
Ces vallées, tu les connais bien, elles gardent leur splendeur, mais, regarde à tes pieds s’ ouvrir la sente, s’ éffondrer le GR.
Tout est tracé, mètré, topographié, à l’ extrème.
Au Vallon des Etages, des milliers des marcheurs, le Pré de Madame Carle, des millions de pas, comme au supermarché.
Où sont-elles, les vallées libres, dans Les Alpes ?
Et bien elles sont là où les voitures restent loins, où le dénivelé s’ accentue, là où le silence est d’ un autre ordre et d’ une autre densité.
Je te disais l’ autre jour, tu te souviens, je te parlais de cet ami, Jean.
Je voulais te dire et je voulais me taire.
Jean, c’ est une grande blessure.
Enfin, il faut savoir ne plus se taire.
Il existe des vallées, tu y entres, personne…
C’ est le fond intime des montagnes.
Ces vallées, elles sont traversées de sentiers, mais souvent elles sont un peu délaissées, c’ est notre chance, à nous, qui avons des yeux faits pour nous émerveiller comme pour pleurer.
Donc, Jean et moi, nous étions tombés amoureux de la même : la vallée du Haut Bérenger, dans Les Ecrins.
C’ est une vallée extraordinnaire, à mes yeux, la plus belle et certainement , une des plus sauvages qui soit…
J’ y allais déjà très jeune, à dix ou onze ans, en camp, avec le curé de la paroisse du Villaret, le Père Bonnet.
C’ était un curé Rouge, acharné à la rédemption des âmes ouvrières et infatiguable marcheur.
Puis, d’ autres camps de jeunes, avec le CES des Trois Saules, à La Mure.
Quand je pris finalement mon essor, j’ y suis retourné seul, ou avec mes amis.
Enfin, il y eut Jean.
Le désespoir, le vrai, c’ est lorsqu’ on décide de se tourner le dos, c’ est l’ âge, le mensonge et l’ oubli.
Quand on aime plus, ça, c’ est le vrai désespoir.
Il faut savoir réveiller les morts, les faire revenir à nous et reparler, ensembles, comme avant…
La philosophie de ces temps a bien résisté, vois-tu …
La vision, l’ approche de la montagne, l’ amour qui nous animaient, rien n’ a changé.
Cette vision existe encore.
J’ ai encore ce pas.
En vingt ans, il n’ a pas changé.
L’ amour que je porte en moi est un monument en airain, rien ne l’ entame.
« Exigi monumentum aere perennius »
On sortait beaucoup, à deux, à quatre, à plus…
Les Ecrins, les Ecrins et les Ecrins encore.
Le Gioberney, Turbat ( un classique ! ), le Vallonet et puis La Meije orientale, et une vision toute autre, une approche différente, juste Jean et moi.
Au premier coup, ça avait marché.
Alors, on a poussé plus loin, dans le Queyras, entre-autre.
Mais chez nous, c’ est là : dans Les Ecrins…
Je t’ ai parlé du Clapier du Peyron…
Partis tôt.
Laissé la voiture à Valsenestre ( je venais d’ avoir le permis !!! )
On remonte le Bérenger, aux Carrières, on traverse, c’ est parti !!! côte 1635…
Etage après étage, on quitte le plancher des vaches.
On se tait.
On regarde pas trop à droite : La Pointe Swan nous rappelle un but monumental, un échec bien véxant, c’ est vache, la montagne…
Finalement, au Ramu, on se pose, enfin, pas trop tôt !!!
C’ est ouvert " en bas ", Versailles !!! pas besoin d’ escalader la fenêtre d’ en haut, c’ est toujours ça de pris !!!
On est bien ici, le ciel est neuf.
C’ est l’ automne de la montagne, nous sommes le 8 septembre, demain, c’ est mon anniversaire…
On apprend la carte, rien de neuf :
…Cabane du Ramu…2185
…Pic du Clapier du Peyron…3169
…Et puis quoi ?
Et ben, rien…
Les jumelles :
Là-haut, c’ est l’ embouteillage ! , des gendarmes partout !!!
" Mort aux vaches !!! " qu’ il lâche, le Jean.
" Les gendarmes, y’ en a que deux sortes : les Courts et les Longs ", que je lui balance !!!
On se marre !!!
Nescafé-lait concentré, soupe en sachet, Tortellini " au vrai jus de rôti ( !!! ) ", barre chocolatée et puis un kil de blanc.
J’ ai toujours aimé le pinard, même à vingt ans, on a les Pérou qu’ on peut…
Planqué dans le "rabbiot ", un torchon enveloppant deux Ponskis;, beignets polonais au zest d’ orange, saupoudrés de sucre ( merci Maman ).
On s’ enfile ça comme des morfals, on a les doigts en sucettes, Jean, il a du sucre plein sa barbe.
On rigole comme des baleines !!!
Une Camel, deux Camel ( quelle merde quand j’ y pense ) et hop !, boulevard des allongés ( qu’ on disait ).
Ça a tapé dur, mais on sort quand même les " sakaviandes ".
Demain, on fera moins les marioles…
La nuit tarde.
Sonnailles de barbéou…
Ça descend.
On tourne le dos à la nuit.
Combes noires, crépuscule agonisant.
L’ obscurité dévore La Muzelle.
Une tache de soleil résiste encore au sommet de La Swan, puis cède, enfin…
C’ est la nuit.
à suivre
[%sig%]