Posté en tant qu’invité par Thierry VE:
Voici un article que je prépare actuellement sur la sécurité en cascade de glace, destiné à être publié dans le journal de mon club d’escalade. De plus en plus de membre de notre club s’initient à cette activité. J’ai trouvé utile de faire un point à l’attention des débutants, aussi réaliste que possible. Avant de publier j’aimerais vos avis,critiques. Merci à ceux qui pratiquent la cascade de me dire ce que vous en pensez. NB : soyez indulgents quand même c’est pas un cours de l’ENSA ! juste 2 ou 3 tuyaux pour des copains débutant
Comme toute activité hivernale, la cascade est avant tout exposée au principal risque objectif spécifique à l’hiver : les avalanches. Que ce soit lors de la marche d’approche, à la descente ou dans la cascade elle-même, certains sites sont particulièrement exposés. L’équipement spécifique à ce type de situations, ARVA(1), sonde et pelle à neige sont donc indispensables, sauf par enneigement pauvre. Le risque de se genre d’équipement est de donner au grimpeur une impression illusoire de sécurité. En effet l’ARVA, même s’il représente un facteur de sécurité important, ne garantit pas que vos compagnons de cordée sauront vous localiser et vous sortir dans un délai suffisamment court. De plus il n’apporte aucune protection contre les chocs et traumatismes subit lors d’une avalanche. La prévention la plus efficace réside encore dans le choix du site. Par enneigements important, ou après des chutes de neiges récentes, certains sites sont à proscrire : cascades directement exposées sous de grands champs de neige, ou dont la marche d’approche nécessite de traverser des pentes à la stabilité aléatoire. On privilégiera alors des sites moins exposés, forêt ou faces raides sans accumulations neigeuses. On peut généralement trouver de bonnes infos auprès des grimpeurs locaux ou de certains site Internet spécialisés dans l’information sur les conditions des cascades (2)
En cas de doute ou de chutes de neiges trop abondantes et s’il n’existe aucun site protégé, il reste toujours de bistrot du coin ….
Autre danger : la chute de glace. Le risque objectif le plus présent est la chute de glace provoquée par les autres grimpeurs. Même chez les grimpeurs les plus fins la progression du glaciériste ressemble rarement à celle d’une ballerine et le planté répétitif des piochons dans la cascade entraîne souvent des chutes de glaçons plus ou moins gros. Dans le cas d’une cordée de bûcherons, ce sont de vrais frigos qui déboulent. S’engager derrière une autre cordée représente donc toujours un risque. Il peut être limité, dans le cas d’une cascade suivant un cheminement diagonal et comportant des plates-formes enneigées suffisamment larges pour arrêter les blocs et leur éviter de dévaler toute la cascade. Dans ce cas, à moins d’être dans la même longueur que la cordée du dessus le risque est mineur. Mais c’est rarement le cas.
La prudence incite donc à ne pas grimper sous une autre cordée et à prévoir un objectif bis si des grimpeurs ont été plus matinaux que vous et occupent déjà la cascade que vous convoitiez.
Malheureusement cette règle est de plus en plus difficile à respecter compte tenu de la fréquentation croissante des sites. Cela incite donc à faire preuve d’imagination dans l’itinéraire et à éviter les cascades archi connues et sur-fréquentées.
Une autre astuce à laquelle nous avons parfois recours, moyennant certaines précautions, consiste à grimper en horaires décalés. Il nous arrive fréquemment d’attaquer des cascades à une heure volontairement tardive et à sortir à la frontale. Tranquillité et ambiance garantie ! Evidement nous pratiquons cela sur des cascades que nous connaissons bien, avec une marche d’approche courte et une descente évidente. Terminer à la frontale une cascade inconnue à 4 heures de marche de la voiture et à la descente aléatoire est un jeu totalement différent …
Enfin, le dernier risque objectif réside dans ma chute de glace liée aux conditions de la cascade elle-même, principalement lors des périodes de redoux, pouvant aller jusqu ‘à l’effondrement de la structure. Un simple coup d’œil sur l’aspect de la cascade suffit généralement à donner une bonne estimation du risque. Une cascade généreusement fournie en glace, reposant sur une base large et solidaire du rocher, ne présentera pas de risque d’effondrement. Attention quand même aux stalactites, mêmes petits qui peuvent pendre en haut de la cascade et se détacher sous l’effet des premiers rayons du soleil.
Les risques d’effondrement concernent surtout les cascades non solidaires du rocher : cigares (structures tubulaires se formant en cas de rochers déversant elles sont attachées par le haut et reposent au sol) et « free-standing » (comme un cigare mais ne repose pas au sol et pend dans le vide). Ce sont principalement des cascades dures et ce danger menacera donc plutôt les bons grimpeurs que les grimpeurs débutants ou de niveau moyen.
Une fois pris en compte les différents aléas naturels liés au milieu spécifique de la cascade, reste à gérer le risque inhérent à toute activité de grimpe : la chute, et donc à placer correctement les points d’assurage.
Brocher représente toujours un effort. Contrairement à l’escalade en falaise, ou les gentils équipeurs ont fréquemment tendance à placer les spits là ou on les trouve rassurants (juste avant le pas difficile, là où la chute est probable), brocher dans le crux d’un mur de glace n’est jamais une partie de plaisir. C’est pourquoi il est préférable de toujours anticiper et repérer les points de repos (bonnes marches dans la glace, vires, sections moins raides, …) propices au brochage plutôt que d’attendre d’être au taquet pour sortir la ferraille.
Ceci explique que les cotations de glace prennent en compte la difficulté du brochage. En rocher un passage en 6a restera toujours côté 6a, que la voie soit spitée ou qu’il faille équiper sur coinceur. Reste au grimpeur à connaître son niveau en voie sportive et en terrain d’aventure et à adapter ses objectifs en fonction.
En glace la cotation intègre le brochage comme faisant partie intégrante de la difficulté technique. Par exemple, une longueur de glace intégrant des passages verticaux mais également de nombreuses sections moins raides où il est aisé de brocher ne dépassera pas le 3 ou 4 techniquement. La même longueur de glace, sans point de repos côte tout de suite 5.
Autre élément problématique en cas de chute : la solidité des points. L’assurage sur broches à glaces procure rarement le même niveau de sécurité qu’une ligne de spits bétons. Globalement une broche de dimension standard (18 à 19 cm) vissée jusqu’à la garde dans une épaisse couche de glace de bonne qualité est sensée procurer une résistance d’environ 15 KN (équivalent 1,5 tonne) soit une solidité quasi équivalent à celle d’un spit. Cette résistance est largement suffisante, puisque c’est la valeur garantie par la plupart des équipements d’assurage (baudrier, sangle de dégaine, etc…). Donc : bonne broches + bonne glace = pas de flip.
Le problème vient de la nature changeante du terrain. En glace fine il sera pratiquement impossible de placer une broche de 18 cm. Dans ce cas deux solutions: soit l’utilisation de broches courtes (de 11 à 13 cm) prévues pour les glaces fines (il est souvent utile d’en avoir une ou deux à la ceinture), soit le cravatage. Le cravatage est utile lorsqu’on ne possède que des broches longues. Si la broche ne peut être totalement vissée faute d’épaisseur de glace, on passe une sangle autour du tube de la broche (au ras de la glace) en faisant une tête d’alouette. Ainsi en cas de chute la traction s’exerce à la base de la broche et non à son extrémité. Toute traction exercée sur la tête de la broche aurait pour effet de briser la glace et de sortir la broche à cause de l’effet levier.
Dans les deux cas la résistance offerte est largement inférieure à celle d’une broche standard et il est préférable de brocher plus rapproché, sauf si l’on a envie d’engager la viande.
De même lorsque la broche touche le rocher le grimpeur ne doit jamais forcer, au risque de décoller la plaque de glace du rocher. Dans ce cas autant brocher dans de la barbapapa….
Dans certains cas, il est intéressant de chercher des points d’assurages naturels autres que la glace, comme des branches d’arbres à proximité de la cascade, pour passer des sangles et obtenir ainsi des points bétons, ou des fissures dans les rochers (un friend et 1 ou 2 pitons ne pèsent pas bien lourd à la ceinture et peuvent rendre de grands services). Après tout la glace est classée « terrain d’aventure » c’est ce qui fait parti du jeu et donc du plaisir .
Au delà des conditions de la glace, reste à placer les broches aux bons endroits. Par exemple ne jamais oublier de brocher la sortie des murs ou des cigares, juste avant une plateforme ou une section de pente douce. En effet, la neige qui s’accumule dans les parties de faible inclinaison a tendance à pourrir la glace située en dessous, qui devient cassante et friable. Il est donc fréquent, à la sortie d’une section verticale d’avoir à faire un réta sur une plateforme, avec les deux piochons mal ancrés dans un mélange de neige et glace pourries et sans consistance. Dans ce genre de configuration si la dernière broche est située quatre mètres plus bas, le grimpeur de tête peut avoir à vivre un grand moment de solitude !
Reste à intégrer le fait que, quel que soit le brochage, la chute du premier de cordée est dans la majeure partie des cas plus problématique qu’en rocher, entre autres à cause de l’usage des crampons. En escalade rocheuse, nous avons tous dans notre entourage des exemples de grimpeurs ayant subit une entorse à la cheville suite à une mauvaise réception lors d’une chute. En cas de chute en cascade ce type de blessures est en plus fréquent : lorsque le grimpeur touche la glace à la fin de son vol, l’accroche brutale des crampons est un facteur important de fracture ou d’entorse de la cheville.
En conclusion, La cascade de glace pratiquée à un niveau difficile, lorsqu’il faut progresser sur des structures fragiles, est une activité qui présente un risque indéniable. Prétendre le contraire relèverait d’une certaine hypocrisie.
Par contre, pour ceux qui pratiquent à un niveau modeste sur des structures de glace assez stables, ce n’est pas une activité extrême – A condition de respecter un certain nombre de règles de bon sens : éviter de s’entasser à plusieurs cordée dans des goulet étroits, éviter les sites avalancheux et toujours garder la tête froide en sachant relativiser le niveau de la cascade convoitée à son propre niveau technique.