Posté en tant qu’invité par nico:
Le tourisme en montagne est aujourd’hui une réalité importante. Pourquoi ? Il semblerait que la montagne se soit d’abord auto-protégée des pratiques humaines grâce à des caractéristiques qui lui sont propres (climat, accessibilité, morphologie…). Mais actuellement, elles sont particulièrement convoitées par l’homme car c’est là que l’on y trouve encore des reliquats de nature. Et c’est ce point particulier qui va nous intéresser ici. L’aménageur se doit d’abord de s’interroger sur cette relation entre l’homme et la nature pour ensuite promouvoir son territoire, avec une optique choisie suivant sa propre conscience.
Alors qu’est-ce que la nature ? La réponse est d’autant plus délicate qu’elle pose la question du rapport de l’homme à la nature. Ce qui est certain, c’est qu’il y a en fonction de chacun une multiplicité de réponses à cette question. Les images qui représentent l’idée de nature pour un esprit occidental ne manquent pas. Globalement, ce qui est le résultat d’une intervention humaine ne semble plus considéré comme faisant parti de la nature. Mais déjà là se pose une question : y a-t-il encore, dans les Alpes, des portions naturelles de territoire ? Tous les paysages de nos montagnes ont été plus ou moins façonnés par l’homme. A première vue, oui, il est possible de croire qu’un paysage est naturel. En réalité, il ne le sera jamais vraiment. La limite naturelle de la forêt a été modifiée par l’homme il y a plusieurs siècles déjà, les pratiques agricoles conditionnent la morphologie d’un alpage… Quant à la haute-montagne, si très ponctuellement elle peut être considérée comme authentique, l’échelle utilisée viendra anéantir de manière générale une telle affirmation. Dès lors qu’il y a une trace laissée par l’homme, une montagne n’est plus naturelle. Bien sûr, l’alpiniste qui prétend aller faire une voie sur un versant sauvage se trouve dans l’illusion : tout d’abord, au moment précis où il s’y trouve, le versant n’est plus sauvage et par ailleurs, le versant est-il vraiment sauvage dans la mesure où l’alpiniste va y trouver pitons, sangles ou tout autre élément placé par la main de l’homme ? Même si ce raisonnement est poussé à sa limite et qu’on pourrait le lui reprocher, cela montre qu’il y a une nature uniquement par la perception que l’homme s’en fait. Un paysage est « naturel » pour un visiteur malgré le fait qu’il y ait un chalet car il est perçu comme magnifique et bien intégré dans son environnement. Mais ce même paysage n’est plus naturel si l’on y construit au même endroit un immeuble de 5 étages en béton. De cette différence de perception naquit l’idée qu’il fallait retrouver l’équilibre perdu de cette nature, la protéger puis ensuite la préserver.
Pourquoi aujourd’hui la nature est-elle vue comme un équilibre à préserver alors? Petite question : en quoi le rejet par les activités humaines de CO2 dans l’atmosphère se distinguerait-il du rejet de méthane par les bovins, rejet tout à fait naturel ? La quantité, certes, mais le méthane est un gaz particulièrement plus néfaste que le CO2 si l’on parle d’effet de serre… ! Il semblerait en fait que l’espèce humaine aurait franchi une limite. L’homme, petit à petit, aurait dépassé le seuil de tolérance de la nature qui l’a fait naître. C’est l’hypothèse que je retiens en tout cas. Mais cela est probablement concomitant avec un changement récent de mentalité : l’écologie serait-elle une maladie occidentale ? La réponse par l’affirmative me semble sauter aux yeux. Sans en nier le besoin, les occidentaux tentent par ailleurs d’imposer leur vision aux pays du Sud alors que comme le souligne Henry Sigayret, « envoyer les gosses à l’école est quand même prioritaire ». Cela veut dire que notre vision s’applique à nos pays mais qu’effectivement, au Népal par exemple, la scolarisation, l’éducation à la santé et à l’hygiène sont des chantiers autrement plus importants pour ces pays touristiques dans un premier temps. Par ailleurs, l’instrumentalisation de la remise en l’état de l’environnement semble rendre plus ou moins douteuses certaines démarches (l’association Dhaula Guéri n’a-t-elle pas gagné plus d’argent par la vente de ses livres et autres produits qu’elle n’a rendu service à l’environnement dans la mesure où les déchets sont descendus à Kathmandou qui n’a pas la possibilité de les traiter… ? ; les chinois sont-ils véritablement sincères en nettoyant en grande pompe le camp de base de l’Everest pendant qu’ils commettent leurs exactions sur les derniers foyers de vie tibétain y compris au sein du territoire népalais ?). Ces deux actions ne sont pas comparables en soi mais elles sont des exemples parmi tant d’autres de l’argument marketing qu’est devenu « la protection de l’environnement ». Et si cet argument est tant mis en avant, c’est parce qu’il faut que l’homme perçoive un territoire naturel, quitte à ce qu’il ne le soit pas ! Il y a en ce sens une véritable « idée » de nature chez l’homme.
Il me semble qu’aujourd’hui, la nature est totalement instrumentalisée : elle permet d’abord l’assouvissement d’un désir, le besoin d’évasion, de chasse à l’ennui, du citadin notamment. C’est là notamment l’objet d’un Parc naturel Régional (PNR) qui s’appuie sur ses « villes portes » pour se développer. Mais l’étude des comportements de l’homme face à ce qu’il perçoit comme la nature implique de faire état de l’intuition qui sert de référent à ces comportements. La nature est comme un instrument pour assouvir les (nombreux) besoins de l’homme. L’apport de l’étude des chaînages cognitifs est également très enrichissant (D. Kréziak, thèse de doctorat en sciences de gestion intitulée « Les motivations de la consommation verte : une approche par les chaînages cognitifs », 1998). Les résultats sont parfois surprenants ! Par exemple, il y a un lien entre l’action et une pensée indirecte, les motivations ne sont étonnamment pas toujours liées à l’environnement. Le consommateur évoque un ensemble de raisons sur la beauté de la nature afin d’en profiter, il a une relation fusionnelle avec la montagne. On note par ailleurs le problème de la mobilisation suivant la proximité avec l’espace concerné. Seulement, au fur et à mesure du progrès technique, l’homme, qui dans le même mouvement se distinguait toujours plus de « sa nature », a dû mesurer la portée de ses actes. Ceux-ci semblent altérer l’équilibre ancestral de son milieu. Posant même le problème de sa survie dans cet environnement. Il y a là la naissance d’un conflit. Un conflit entre l’homme (ses actions) et son environnement. L’explication a un grand rôle, elle joue sur le sentiment d’appartenance. Aujourd’hui, il y a une forte sensibilisation sur le fait que cette cohabitation (entre l’homme et la nature) ne se fait plus sans séquelles, particulièrement dans le cas des territoires touristiques de montagne. Alors à travers la protection de la nature, c’est de son propre avenir que l’homme prend soin. La protection devient alors un outil. Il y a cette prise de conscience, qui connaît chez le grand public un très fort engouement depuis ces quelques dernières années, de la nécessité de préserver l’environnement. C’est une forme de réaction inversement proportionnelle au gâchis des décennies passées : plus la nature a été détruite, plus on veut protéger ce qu’il en reste. C’est d’ailleurs confirmé par la création des parcs nationaux en France au moment où émergeaient les stations de ski de la troisième génération. « Ce grand monde, c’est le miroir où il nous faut regarder pour nous connaître de bon biais » (Montaigne). Si l’homme perçoit cet environnement dégradé, c’est qu’il s’est auto-aliéné par ses propres actions. Cette volonté de protéger serait donc le contrecoup postérieur à la prise de conscience qui se répand, selon les principes dictés par le développement durable, de cette aliénation. Aujourd’hui, mettre en valeur un environnement préservé et protégé est un argument marketing, certes. Mais c’est aussi probablement le moyen le plus satisfaisant de maintenir en vie les vallées de montagne, notamment l’agriculture et les paysages traditionnels grâce au label PNR.
NATURE, voilà un mot si ordinaire que tout le monde semble s’accorder sur le sens qui lui est attribué. Et pourtant, que de contresens il contient… L’usage courant définit le rapport de l’homme avec la nature d’un point de vue moral dans un rapport de force où l’homme n’est pas grand-chose face à cette nature perçue comme si puissante. D’une manière générale, nous définissons la nature par la contemplation. Nous lui attribuons un rapport esthétique qui la place au niveau de l’Art. Ce qui nous séduit dans la nature, c’est sa beauté apparente. Un beau paysage est assimilé à une œuvre d’art qui s’offre à notre vision. Cette beauté est bien l’élément moteur pour la venue d’un visiteur. En souvenir, c’est cette œuvre que l’on immortalise par une photographie. Mais une œuvre grandiose, elle, reste gravée dans la tête de l’homme qui l’a perçu, à jamais. Ce qui frappe, c’est l’immensité incommensurable des montagnes. La nature se donne à voir, pas à vivre. Le public s’extasie devant les plus hauts sommets de la planète, mais bien peu de gens se donnent les moyens de vivre cette aventure qu’est l’ascension de l’un de ces sommets. On attribue au paysage une reconnaissance par l’émotion qu’il soulève, et non par la justesse de ce qu’il représente. La nature ne fait pas appel à la beauté en tant que telle, mais à ce qui la transcende. D’ailleurs, on ne saurait définir ce qu’est la beauté autrement que par la nature des goûts dont est pourvu chacun de nous en fonction de la culture qu’il a reçue. Mais la beauté tient trop de la mode pour être évoquée avec sérieux lorsqu’on veut parler de la nature. L’Art, comme un paysage magnifique, c’est ce qui fige l’esprit dans l’instant, comme un coup de foudre, et non l’appréciation de tel ou tel goût. Naturellement la sensibilité de chacun interférera sur le choix de telle ou telle forme particulière de paysage magnifique, de nature exceptionnelle. Préférer ne signifie nullement que l’un est meilleur que l’autre, mais simplement que la sensibilité que l’on ressent est plus forte. Ceci intervient inconsciemment dans ce moment qui nous fait préférer ce choix, pour les motifs les plus divers qui n’ont pas nécessairement de rapport à la nature. Cela vaut aussi bien pour quelconque œuvre faisant appel à la sensibilité. L’homme est l’intelligence et la sensibilité réunies, malgré la grossièreté que l’on rencontre partout. Lorsqu’on évoque la nature, on évoque un idéalisme, mais non un rapport réel. L’absolu est ce qui existe par lui-même et qui garde toutes ses valeurs quel que soit le système dont on use pour en rendre compte. C’est quelque chose que l’on ne peut pas nommer, puisque sitôt nommé, ce système perd ses caractéristiques objectives. Etant nommé, il devient comparable. Dans l’absolu, la montagne est belle. Mais dire que le Cervin est moins beau que le K2 n’a pas de sens, même si les deux sont comparés pour leur forme pyramidale quasi parfaite. Il n’y a pas de morale là-dedans, seule la sensibilité de chacun peut trancher.