C’est clair, parler nivologie ce n’est pas parler de prévention du risque. C’est un peu comme si un automobiliste s’intéressait au procéder de vulcanisation du caoutchouc avant d’acheter un jeu de pneus. Il reste juste que les connaissances de base en nivo permettent de comprendre le BRA où des termes techniques sont utilisés mais l’erreur est de vouloir jouer le nivologue sur le terrain (c’est mon combat de cette saison :P), pas besoin de comprendre le mécanisme physique de cohésion des grains pour être capable d’identifier les situations à risque.
Question d'ordre nivologique
Plusieurs choses dans cette discussion, du bon, du moins bon et quelques belles âneries
J’ai un peu la flemme de répondre à tous les aspects, mais déjà je voudrais lever une ambiguïté entre les différents types de givre. Il y a bien :
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Le givre de profondeur (aussi appelé « gobelets », mais le plus souvent à tort car chez nous c’est rare d’en avoir de vrais, ceux qui connaissent les manteaux arctiques comprennent ce que je veux dire). Celui-ci se forme en effet dans des conditions de fort / très fort gradient de température, donc le plus souvent en début de saison chez nous car après l’épaisseur de neige est telle que le gradient diminue mécaniquement. Effectivement, le givre de profondeur qu’on retrouve en base du manteau a donc été enfoui après sa formation au cours de la saison et ensuite n’évolue que très peu.
Cette couche peut parfois servir de plan de glissement pour une plaque à vent, mais les deux choses sont indépendantes, ne pas confondre. -
Le givre de surface. Celui-ci se forme en surface du manteau neigeux (vraiment la surface, pas une couche de qqs centimètres d’épaisseur), il est éphémère (disparait le plus souvent en journée) et ne présente aucun danger pour nous. Plus de précisions sur cette page du CEN de MF : http://www.cnrm.meteo.fr/cen/Col-de-Porte/Cristaux/Page_givre%20de%20surface.htm
Regardes mieux la prochaine fois
Surtout le matin, avant que le Soleil ne touche la neige, on a de magnifiques cristaux bien anguleux posés sur la surface en une couche unique (ils ne se superposent pas), voire même parfois des aiguilles de toute beauté. Et si tu as de la chance, au printemps, tu verras aussi des « feuillets de radiation »… c’est très intéressant la surface de la neige même si totalement insignifiant pour le risque d’avalanches.
Les deux types de givres se forment de la même manière par migration de vapeur d’eau, sublimation/recristalisation. Dans le cadre du givre de profondeur, pour répondre à la question initiale, OUI, toute la couche est concernée, pas seulement sa partie haute.
J’ai manqué de précision en écrivant « grains anguleux », je ne voulais pas parler du givre de surface qui comme son nom l’indique se forme en surface, ça évidemment je connais.
Par « grains anguleux » je voulais parler des faces planes et gobelets et là je n’ai toujours pas ma réponse : commencent-ils par se former en surface comme le givre de surface, la couche devenant de plus en plus profonde ou commencent-ils par se former un peu sous la surface pour finir par atteindre la surface ?
J’avais plus ou moins deviné, d’où la présence d’un smiley dans mon message
Ils se forment en même temps sur toute l’épaisseur de la couche concernée, si l’on se place dans l’hypothèse d’une couche homogène (plein de cas particuliers sinon et la notion de « couche » perd de son sens). Si on essaie de faire simple (pas sûr d’y arriver) :
*La base de tout métamorphisme « sec », c’est la pression de vapeur saturante.
*Cette pression de vapeur saturante détermine si un cristal va se sublimer ou au contraire si la vapeur d’eau présente dans l’air va condenser dessus (donc croissance cristalline).
*Différents facteurs influent sur cette pression saturante, notamment la température et le « rayon de courbure » du grain.
*Quand on a en début de saison une couche de 20 cm de neige, un sol à 0°C et l’air sus-jacent à -20°C, on a un gradient de température de 100°C / m, ce qui est un très fort gradient.
*Dans ce cas, ce fort gradient de température va créer un gradient de vapeur saturante et donc le métamorphisme va se mettre en route : vers le bas de la couche, l’air est en sous-saturation, il y a donc sublimation d’un bout de cristal. L’air contenant cette vapeur supplémentaire va migrer vers le haut… où il va se retrouver très vite en sur-saturation (car l’air froid en capable de contenir moins de vapeur d’eau que l’air chaud) -> condensation sur le cristal du dessus. Et ainsi de suite. Il faut bien voir ça comme des petits « sauts de puce » et pas comme le cristal du bas de la couche qui perd de la matière et le cristal du haut de la couche qui en gagne, c’est continu sur toute l’épaisseur de la couche.
*Maintenant, pourquoi on forme des gobelets, c’est tout de même bizarre comme forme!?
*C’est là que le rayon de courbure intervient!
*En gros, les zones d’un cristal à faible rayon de courbure (donc les angles) sont plus vite en sur-saturation par rapport à l’air environnant et donc se subliment plus vite -> le métamorphisme fait disparaître les angles de manière générale, c’est bien connu (disparition des dendrites quelques heures après la chute de neige même sans vent ou tassement, par exemple).
*Et par contre, quand on recristalise on forme des faces planes anguleuses.
*Si on reprend notre vision microscopique du manteau neigeux avec des petites grains empilés qui se transforment en gobelets, on comprends que le haut des grains se sublime et donc s’arrondit et que cette vapeur va faire croître le bas des grains sus-jacents en leur donnant leurs belles faces planes.
On peut donc obtenir parfois des chaînes de gobelets comme ceci :
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J’en ai vu dans des manteaux neigeux Arctiques qui faisaient 10 cm de haut constituées de cristaux d’1 cm, c’est là que le terme gobelet prend vraiment tout son sens!
Voilou, je répond à la question?
Ca me semble peu probable parce qu’il faudrait que la couche soit homogène en tout point. A tout autre facteur égaux (gradient, humidité, etc…) il y aura (quasiment) toujours une différence de température marquée entre la base de la couche concernée et son sommet (c’est ce qui fait le gradient). Imaginons donc une couche de 20cm (je parle d’une couche à l’intérieur du manteau), -10°C à la base, -15°C en haut ce qui fait un gradient de 25°C/m, je ne sais pas si c’est à -10°C, à -15°C ou entre les deux mais j’ai du mal à croire qu’à même gradient il n’y a pas une température pour laquelle les conditions sont optimales et où va débuter la transformation et donc l’apparition d’une couche de grains anguleux à l’intérieur de la couche initiale.
[quote=« J2LH, id: 1456931, post:25, topic:128731 »]
Ca me semble peu probable parce qu’il faudrait que la couche soit homogène en tout point. A tout autre facteur égaux (gradient, humidité, etc…) il y aura (quasiment) toujours une différence de température marquée entre la base de la couche concernée et son sommet (c’est ce qui fait le gradient). Imaginons donc une couche de 20cm (je parle d’une couche à l’intérieur du manteau), -10°C à la base, -15°C en haut ce qui fait un gradient de 25°C/m, je ne sais pas si c’est à -10°C, à -15°C ou entre les deux mais j’ai du mal à croire qu’à même gradient il n’y a pas une température pour laquelle les conditions sont optimales et où va débuter la transformation et donc l’apparition d’une couche de grains anguleux à l’intérieur de la couche initiale.[/quote]
En vérité je pense que vous avez tout les deux raison. Effectivement la métamorphose se produit sur toute la couche concernée, mais compte tenu que le flux de vapeur est plus important à température plus chaude (car la saturation est plus importante donc la cristallisation qui s’en suit aussi), on peut effectivement penser que les gobelets plus profonds seront plus gros. Si je ne me trompe pas, passer de -15 à -30 n’a pas le même effet que de passer de 0 à -15, et pourtant le gradient est le même.
Et pourtant…
Si tu veux vraiment aller au fin fond des choses, à mon sens, le processus va s’initier en bas de la couche car c’est là que la température est la plus élevée et donc que l’on va passer en premier la limite de pression de vapeur saturante… Ou alors au niveau des grains ayant les angles les plus prononcés… Ou…
Bref, je suis d’accord qu’il y a un instant « t » où le processus se met en place quelque part, mais là bien malin celui qui te donnera la réponse absolue! Je suis convaincu qu’elle n’existe pas. Ce que je te dis moi c’est que si tu as formé du givre c’est que le processus de transfert de vapeur d’eau s’est mis en route à une échelle macroscopique dépassant l’échelle du grain et a perduré un bon moment. Et cette échelle macroscopique on appelle ça la couche de neige, je peux pas te dire mieux. Et dans cette couche mon avis est que l’on peut considérer que tout se fait simultanément. Je vais jeter un oeil mais je ne pense pas qu’il y ait d’avis contraires de spécialistes.
Ce qui me fait aussi dire ça c’est que sur toutes les chaînes de givre que j’ai pu observer, il n’y avait pas de gradation significative en terme de taille entre le haut et le bas. Et comme le métamorphisme de fort gradient est le plus souvent stoppé brutalement (par une nouvelle chute de neige, par exemple) pour toute la couche, ça semble indiquer que toute la couche a subit le métam. pendant la même durée donc que le différentiel dont tu parle est négligeable ; sinon certains grains seraient plus gros que les autres.
Dites les gens, il serait pas du genre à couper les cheveux en 4 ce cher J2LH?
(en partie grillé par lebomb74. Merci pour le lien, intéressant, et on retrouve le fameux schéma de formation des gobelets qui correspond à mon charabia. Par contre, encore une fois, je ne crois pas que les cristaux du bas soient significativement plus gros que les autres. ceci dit, il serait intéressant de faire des mesures… qui s’y colle?).
Peut être qu’ils ne sont pas comparables à ceux qu’on trouve en artique mais ils semblent qu’ils jouent quand même un sacré rôle dans la stabilité du manteau neigeux non ?
[quote=« FloD, id: 1456920, post:24, topic:128731 »][/quote]
Merci pour les précisions dans les explication c’est plus complet et clair que ce que j’ai posté plus haut.
Du coup on peut dire que le gradient de température a deux rôles : créer un gradient de vapeur saturante ET créer un mouvement d’air du haut vers la bas étant donné qu’il fait plus froid en haut et que l’air chaud mo nte ? J’ai juste ?
Tout à fait d’accord. Mais cela devrait supposer la connaissance préalable de beaucoup d’autres trucs concernant la prévention du risque. Or en discutant rapidement avec les gens en montagne, on voit et on entend pas mal de conn**ies (monstres groupes serrés sous des pentes dangereuses, regroupement juste sous un goulet ou autre endroit exposé…) et ensuite lesdites personnes nous expliquent la vie des gobelets…
Voui voui, toutàfait! C’est clairement un facteur important dans la stabilité du manteau neigeux.
Je voulais juste dire que chez nous on atteint assez rarement le stade du vrai bon gros gobelet car le gradient est souvent pas assez fort et ne perdure pas assez longtemps. Mais on atteint largement le stade des « faces planes », lesquelles constituent déjà une couche « roulement à bille à faible cohésion » de 1er choix. C’était juste une précision, aucune contradiction là-dedans par rapport au discours habituel!
Tout à fait d’accord aussi avec ça, il faut savoir dissocier la connaissance nivologique des processus physiques avec l’appréciation du risque d’avalanche, ce n’est pas la même chose. Toute la difficulté réside comme d’habitude dans le fait d’acquérir une vision d’ensemble avec assez de recul… très difficile ça! :rolleyes:
Un des problèmes c’est que les formations ont en général deux grandes parties : la nivologie et l’appréciation du risque. Les gens retiennent mieux la première partie que la seconde, c’est toujours comme ça quand on traite de plusieurs sujets, l’attention baisse. Peut être faudrait il inverser l’ordre.
ou faire 2 sessions
Bien éloignées alors. Mais je pense qu’il est possible de s’intéresser à l’évaluation du risque avant de regarder la nivologie plus finement.
Bien d’accord avec ça.
Je suis allé récemment à une conférence de Mr Bolognesi, spécialiste des avalanches blabla le monsieur a un gros CV. (je vous laisse vous renseigner si ça vus intéresse). Il a pas parlé une fois de flocons de faces planes, de gobelets de plaques à vent etc…
en gros il a 3 consignes quand ça craint et qu’on arrive pas à comprendre le risque, ou alors qu’on arrive pas à le gérer :
- pas de groupes ou alors membres du groupe éloigné
- pas de pente supérieure à 30°
- attention aux ruptures de pente, relief ( thalwegs collectent les avalanches et les masses de neige)
et si tout le monde respectait ça en cas de risque marqué ou fort ça enlèverait beaucoup de victimes (selon lui, je en me rappelles plus exactement combien !) Sns rien y connaitre à la neige et aux jolis petits flocons !
Par contre quand on se retrouve dans des situations plus nuancées avec un risque limité ou un risque marqué, et qu’on veut s’amuser quand même il va être très utile d’avoir en tête les grandes lignes des facteurs de stabilité d’un manteau neigeux afin d’éviter au mieux les zones instables. Mais cela suppose une expérience minimale et les connaissances qui vont avec. Il faut aussi êter conscient qu’on joue à l’apprenti sorcier en faisant de la sorte, et que plusieurs erreurs (2 ou trois suffisent) peuvent conduire au pire ! (oups, désolé pour le laïus de ma vision perso de la gestion du risque)
Et merci pour les réponses !
@FloD : du coup le double rôle du gradient thermique ce que j’ai dit est juste ou ? (gradient thermique = gradient de vapeur saturante + mouvement d’air du bas vers le haut ?)
Sans doute parce que c’est rassurant de connaître quelque chose de concret : ça donne l’impression de dominer le sujet.
:lol: ben oui, et ils ont l’impression qu’ils s’y connaissent super bien.
C’est vrai que l’appréciation du risque, le choix de la trace, c’est moins « mathématique », c’est plus compliqué, il y a beaucoup de paramètres en jeu.
Il faut dire que l’appréciation du risque est plus dur à débattre sur un forum. Bien entendu c’est beaucoup important, la nivologie c’est, en tout cas pour mon cas, juste une curiosité, je ne compte pas rédiger de BRA. Malgré tout c’est une bonne base pour comprendre la conduite à tenir, même si on peut faire sans. Pas besoin de savoir comment fonctionne une voiture pour savoir conduire, tout le monde en convient.
[quote=« grimpzen, id: 1456657, post:8, topic:128731 »]A priori pas forcément. Si il y avait une couche plus imperméable empêchant le transfert de vapeur de se faire vers le haut il y a donc un gradient de vapeur plus grand , le métamorphisme constructif (formation des faces planes puis gobelets) est d’autant plus fort (vapeur en plus grande quantité). (Je lis à l’instant dans un cours de physique de la neige :
" These layers (depth hoar layers [ndlr]) form at the base of the snowpack, on the underside of ice layers, near rocks and trees, on snowpack surface (anywhere there is a strong vapor gradient)! "
je traduis : ces couches (qui auront tendance à se transformer en gobelets[ndlr]) se forment à la base du manteau neigeux, sur le côté inférieur d’une couche « gelée »(plus dense, croûte de regel par exemple[ndlr]), près des rochers et des arbres, et la surface. (partout où il y a un fort gradient de vapeur).[/quote]
C’est possible qu’une croûte soit un facteur favorisant, mais si la couche est fortement enfouie, il ne peut pas en général pas y avoir fort gradient de température donc pas de gradient de vapeur et de transfert.
Le gradient minimal est de 0,2°C par centimètre. Si on extrapole à 1m, ce qui n’a aucun sens vu qu’on a quasi jamais un fort gradient homogène sur une telle épaisseur, ça fait du 20°C/m.
A 350kg/m³, ça va vraiment pas aller vite !
[quote=« grimpzen, id: 1456657, post:8, topic:128731 »]
Lequel ?[/quote]
La température : A gradient égal, la métamorphose est plus rapide à température proche de 0°C qu’à basse température.
Ingrédients parfaits pour faire des gobelets très rapidement : petite couche de neige légère reposant sur une neige humide (donc à 0°C) + beau temps en hiver (sauf pente plein sud qui sera trop chaude en journée).
[quote=« grimpzen, id: 1457006, post:28, topic:128731 »]Merci pour les précisions dans les explication c’est plus complet et clair que ce que j’ai posté plus haut.
Du coup on peut dire que le gradient de température a deux rôles : créer un gradient de vapeur saturante ET créer un mouvement d’air du haut vers la bas étant donné qu’il fait plus froid en haut et que l’air chaud mo nte ? J’ai juste ?[/quote]
Je pense que tu as faux sur les déplacements d’air chaud. Eric Brun a montré il y a déjà longtemps par l’expérience qu’il n’y a pas de mouvements de convection dans le manteau neigeux.
Ca n’a rien de bien compliqué si on garde une marge par rapport au risque, c’est compliqué et très risqué si on veut s’approcher des limites, justement ce qu’il ne faut pas faire.
[quote=« Oncle Bill, id: 1457217, post:38, topic:128731 »]
[quote=« grimpzen, id: 1457006, post:28, topic:128731 »]Merci pour les précisions dans les explication c’est plus complet et clair que ce que j’ai posté plus haut.
Du coup on peut dire que le gradient de température a deux rôles : créer un gradient de vapeur saturante ET créer un mouvement d’air du haut vers la bas étant donné qu’il fait plus froid en haut et que l’air chaud mo nte ? J’ai juste ?[/quote]
Je pense que tu as faux sur les déplacements d’air chaud. Eric Brun a montré il y a déjà longtemps par l’expérience qu’il n’y a pas de mouvements de convection dans le manteau neigeux.[/quote]
Là je ne sais pas, pas d’avis tranché. Mais si E. Brun a bien dit ça, j’ai envie de dire Amen
On parle là bien sûr de convection « spontanée » à cause du gradient de température car il peut y avoir de la convection forcée par le vent dans le manteau neigeux, c’est bien connu, pas du tout mystérieux et tout ce qu’il y a de plus réel. Mais ce sont 2 choses différentes.
Mouais, pas très gentil ce ton condescendant. Perso je travaille actuellement avec le modèle Crocus d’E. Brun, justement, et pour mon boulot j’ai eu à m’intéresser à la neige en détail même si c’est pas mon principal centre d’intérêt. Donc oui, le hasard a fait que je connais un peu la neige et que j’ai passé qqs jours à me peler le derrière à creuser des trous et prendre des grains en photo, en mesurer la SSA, etc… je vais quand même pas m’excuser de ça… mais je me prends pas non plus pour le maître du monde parce que j’ai eu cette opportunité. Je suis bien conscient que mes modestes connaissances théoriques me permettent de mieux comprendre certaines choses mais ne se substituent en aucun cas à une analyse traditionnelle du risque d’avalanche. Je suis le premier à le dire.