Pourquoi ne vouloir gravir que partiellement une grande voie alpine?

Thomas a soulevé une innovation culturelle de « l’alpinisme » du vingt-et-unième siècle très intéressante, qui me questionne depuis déjà un moment. Je crois qu’elle en dit long, bien plus long qu’à première vue même, sur la manière dont se transforme la pratique et ses pratiquants.

Sincèrement, vous pensez vraiment que c’est la même course de faire le supercouloir au tacul en redescendant en rappel à la fin de la goulotte ou en sortant au sommet (idem à la Raie des Fesses ou à la Directe Américaine aux Drus) ? Au-delà de la simple cotation d’ensemble, il me semble qu’il y a une véritable trahison de l’esprit même de l’alpinisme, tout comme de celui des ouvreurs de ces voies d’ailleurs. J’ai remarqué, hasard ou pas, que peu de voies de ce type ne sont pas soit des itinéraires historiques marquants (qu’il fait bon d’avoir dans une liste de course car ça « en jette »), soit proche des remontées mécaniques. Ce qui renvoie aux motivations profondes de « l’alpiniste » du vingt-et-unième siècle assez probablement…

Et pourquoi pas trois ou quatre longueurs de dry-tooling extrêmes et équipées dans un bastion bien compact du pied de la face Nord des Jorasses après-tout. Le tout côté ED bien sûr, pour que ce soit bien ronflant. Des cotations en M… comme Monstrueux ou Mode aussi, que cela fasse « in ». Et un petit compte-rendu sur kairn pour diffuser au mieux l’énormissime exploit naturellement.

Enfin j’ai quand même mis des guillemets à alpinisme pour dénommer cette nouvelle activité, pour cause d’éventuelle incompatibilité culturelle…

Annapurna

Posté en tant qu’invité par René D:

Ta remarque est intéressante Tetof car si Aurore n’est qu’un petit 6 (et ne se rapporte donc pas à une pratique extrême, comme tu le précise) sortir au sommet du Pic sans nom en hivers (que ce soit pas la raie ou, pire à mon avis, par la George-Russemberger) reste encore aujourd’hui quelque chose de très sérieux réservé à un petit nombre de pratiquants.[/quote]
La George-Russnberger… Ce n’est qu’un petit 5 finalement? Qui sont les nuls s’échauffent encore dans le 5?

je connais bien (euphémisme) ceux qui on fait la première hivernale … il paraît que c’est du petit 5 qui réchauffe bien quand même :wink:

Ben moi, pour commencer. Je suis un nul qui s’échauffe dans le 5 (petit). Et la George-Russenberger, si elle est si facile, on se demande bien pourquoi elle n’est pas parcourue plus souvent. Ca serait une bonne voie pour débutants :stuck_out_tongue:

Posté en tant qu’invité par René D:

Ben moi, pour commencer. Je suis un nul qui s’échauffe dans le 5 (petit). Et la George-Russenberger, si elle est si facile, on se demande bien pourquoi elle n’est pas parcourue plus souvent. Ca serait une bonne voie pour débutants :P[/quote]
Je plaisantais bien evidemment…
La confusion entre le niveau en escalade sportive et le niveau en alpinisme ne date pas d’hier… Mais certains dans ce forum continuent à nous faire des comparaisons hasardeuses entre le niveau max en couenne et les grandes courses classiques (tout ceci en jouant les faux modestes et en comparant leur niveau « d’humble » septogradiste avec le niveau des Sharma et Ondra. Quelle modestie en effet…) Tout celà ne mène nulle part. C’est en plus une querelle très franchouillarde.
Slavko Sveticic etait au taquet dans le 6b et on attendra longtemps des français en solo dans la Harlin à l’Eiger ou dans Rolling Stones aux Jorasses.
A ma connaissance, Steve House et Vince Anderson tapent rarement des essais dans le 8c et pourtant leur voie au Nanga Parbat restera une date dans l’histoire de l’alpinisme.
Bref, comparaison n’est pas raison.
L’hivernale (ou les hivernales, car celle de Beghin est sacrément marquante aussi) de la George Russenberger sont des réalisations qui nous feront rêver encore un long moment, et ces aventures ne se resumeront jamais à une colonne de chiffres (il faut dire « croix » je crois aujourd’hui pour être à la mode, non?).
Sur ce, je retourne à ma poutre, je m’entraine pour la Walker ce mois d’Août.

Posté en tant qu’invité par tetof:

Je ne fais pas de confusion. Néanmoins, lire « bons grimpeurs » à propos d’Aurore Nucléaire fait sourire.
Aurore est une voie quasi - sportive en 6a avec un peu de 6b. A Chamonix ou à Presles, elle serait cotée TD.

Posté en tant qu’invité par tetof:

[quote=Annapurna]Thomas a soulevé une innovation culturelle de « l’alpinisme » du vingt-et-unième siècle très intéressante,
Ce qui renvoie aux motivations profondes de « l’alpiniste » du vingt-et-unième siècle assez probablement…[/quote]
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une innovation du 21 ème siècle. L’équipement de la Directe Américaine date bien du 20ème siècle.
Les motivations profondes de l’alpiniste made in 3ème millénaire sont diverses. Tout comme étaient diverses, les motivations de l’alpiniste du 20ème siècle et celles de l’alpiniste du 19ème siècle.
L’opposition des styles a toujours existé et existera toujours.
Compare donc le style de la première au Cervin et les échelles à touriste construite ultérieurement.
Idem pour cette traversé de la Meije ou câble/ligne de rappel transforme complètement la course.

En France, la plupart des classiques mythiques en bon rocher et pas trop expo sont mises sous pression pour augmenter en nombre/qualité l’équipement à demeure. Rien de bien nouveau, ca s’appele la « modernité » et tu te fais traiter de grincheux du coinceur quand tu estimes que ce n’est pas « normal ». Tu trouves des goujons de 10mm dans certaines goulottes.

Un grimpeur est même arrivé à mettre un spit dans Beyond Good & Evil. Je suppose que le spit est resté. Dans d’autres pays, le spit aurait été viré à la répétition suivante.

Oui, naturellement…

[quote=tetof]Compare donc le style de la première au Cervin et les échelles à touriste construite ultérieurement.
Idem pour cette traversé de la Meije ou câble/ligne de rappel transforme complètement la course.[/quote]
Attention, ce que tu évoques est autre chose, enfin un autre moyen pour la même fin, et ayant des causes proches (si l’on considère l’air du temps). Effectivement, je me souviens du Chap’s quand il évoque la première ascension de l’Epéna (en 1900, donc pas hier!) et les trous forés pour y mettre des tiges en fer : « la présence de ce maudit verrou pose déjà le moyen de sa conquête » écrit-il. Cette problématique là est celle du recours à l’escalade artificielle pour surmonter les passages infranchissables présentement. Aujourd’hui, dans l’Himalaya, on justifie certains styles de la même manière que l’escalade artificielle il y a 100 ans (et on agit d’ailleurs de la même manière, en ayant conscience de « faire mal » -comme Mettrier déjà à l’Epéna- mais sans réussir à aller contre l’envie d’attirer sur son nom la réussite au lieu de laisser aux éventuelles générations futures la réalisation + l’éthique -faces N du Jannu ou du K2 ces derniers temps par exemple-). Bref…

La nouveauté fut ensuite non plus de permettre le passage des ascensionnistes dans les conditions identiques aux premiers et précédents, mais de leur faciliter le passage de façon permanente par de nouveaux moyens comme le cable ou la corde (fixes donc, là est la nouveauté). Les exemples sont légions malheureusement sur l’ensemble des grands sommets alpins (puis himalayens désormais). Un degré supplémentaire dans l’artificialisation du milieu était ainsi franchi. L’objectif est bien de permettre la marchandisation du milieu, d’en faire un usage commercial (je range donc là-dedans les spits qui fleurissent dans les goulottes et sur l’ensemble des supports où un assurage naturel est possible et aisé).

Mais là, Christophe, nous parlons d’autre chose je crois. Il ne s’agit plus d’artificialiser le milieu mais, en quelque sorte, la pratique elle-même. Finalement, après l’escalade, l’alpinisme devient artificiel ! Il s’agit ni plus ni moins que de consommer des itinéraires de haute montagne comme l’on a consommé auparavant des grandes voies sportives, elles-mêmes issues de l’application des principes d’équipements des couennes sur les grandes parois, etc… Processus « naturel » et inéluctable alors ? Probablement, malheureusement. Ce qui me choque le plus est que la fin demeure plus psychologique que mercantile cette fois (c’est en ce sens que je parle de pratique « artificielle »). L’équipement de grands itinéraires de cordes fixes sert à faire bouffer des guides et des compagnies ; ils auraient pu faire autrement, mais je leur reconnais néanmoins un minimum de légitimité. Par contre, dire « j’ai fait le supercouloir du tacul » alors que l’on a fait que la goulotte, ce n’est rien d’autre qu’une escroquerie. Son but : la visibilité sociale de la réalisation (pour le dire autrement, la nécessité de flatter son égo auprès de ses camarades alpinistes à moindre « coût » physique et mental (beaucoup moins de fatigue et d’engagement).

Que les derniers à espérer que la haute montagne soit une « île » détachée des grands principes régulateurs de notre société jettent les bribes éparses de leurs convictions au détour d’une très profonde crevasse.

Annapurna

[quote=Francois]En général, la montagne commence où s’arrête l’escalade. Les forts grimpeurs ne sont pas forcément de bons alpinistes. Par exemple, dans la face N du pic Sans Nom (Aurore Nucléaire ou autres…) c’est quand l’escalade se termine que commencent les choses sérieuses et qu’on commence à ne plus rigoler.
Cela dit, chacun fait comme il veut à condition de ne pas gêner le voisin.[/quote]
Il y avait quand même aussi de très forts grimpeurs excellents alpinistes: Patrick Berhault (le h n’est pas forcément bien placé, désolé) et Eric Escoffier. mais c’est vrai que ce genre de monstre grimpant devient une denrée rare…

Alpinisme et escalade sportive sont maintenant des activités bien différentes qui demandent des qualités physiques différentes. Aller se promener en face nord des Jorasses ne demande pas du tout les mêmes aptitudes que d’aller grimpouiller à Ceüse. Combien de grimpeurs paniquent au delà de 10mn d’approche ? Combien d’alpinistes n’ont même pas une paire de chaussons ? Il faut arrêter de comparer - opposer les deux, on ne compare par le vélo sur route au BMX.

ben… c’est déjà pas le cas de tous ceux qui grimpent à Céüse :lol:

Posté en tant qu’invité par mat:

Hum, interressant, tout ca…

C’est vrai que le fait de ne gravir une falaise que partiellement met assez en valeur la distinction entre l’escalade sportive ou le but est de suivre les spits jusqu’au relai sans tricher ( c’est la gestuelle qui est la plus importante ), et l’alpinisme, ou le but est un sommet que l’on doit gravir en choisissant soi meme le chemin, le materiel et le jour suivant les informations existantes.

Pour moi, choisir la voie la plus difficile pour un sommet est deja une derive due au nombre de sommets limites : le but est de simuler la conquete d’un nouveau sommet.

Une reponse facile serait de dire que la montagne est a tout le monde et que peu importe la motivation de chacun lorsqu’il gravit une paroi. La montagne se veut avant tout un espace de liberte.

Malheureusement, viennent les problemes de l’equipement a demeure des voies. Certains aiment pitonner un relai, d’autres non… Les dolomites ont leurs via ferrata et la France ses grandes voies sportives.

D’une facon generale, je pense qu’il faut respecter l’ouvreur, et les caracteristiques geographiques et historiques d’un site jusqu’a ce qu’un concensus puisse etre trouve parmis les locaux pour modifier un equipement.

Malheureusement, la popularite grandissante de l’escalade sportive risque de ne laisser vierge que les sites ou le rocher est trop mauvais pour faire tenir un spit.

C’est triste, mais c’est le sort de toute les minorites de subit la loi du nombre.

Oui mais bon, ça date presque des débuts de l’alpinisme ça, je pense que ça en fait intégralement partie même si dans les toutes premières ascensions on recherchait la voie la plus facile les faces Nord et les parois raides ont vite intéressé.

Ca c’est un peu ce que je me suis dit en faisant la Tête de Balme dans le Beaufortain l’autre jour. Une voie que j’aurais vraiment aimé faire sur coinceurs mais qui malheureusement a été équipée. Je dis souvent que l’intérêt du TA c’est justement d’aller dans des endroits sans équipement, donc de pouvoir ouvrir de nouvelles voies avec sa B… et son C… (sa breloque et son casque bien sur) mais ce n’est pas une raison pour rejeter les adeptes du TA en équipant les voies découvertes.

Posté en tant qu’invité par tetof:

La plupart/totalité des alpinistes ayant le niveau pour aller dans la face nord des Jorasses ont des chaussons, savent les utiliser et les utilisent régulièrement.

J2, es tu allé grimpé à Ceüse ou aux jorasses ?

J’ai fait le supercouloir en redescendant en rappel. :smiley: :smiley:
Mais, c’était à l’insu de mon plein gré. Je déconne.
Au dépard, il était hors de question pour moi d’y aller sans sortir par le haut. Mais j’y suis allé en tant que co-encadrant d’un groupe de jeune. Bilan : bof. Je regrette car cela ressemble à toutes ces sorties pré-à-consommer (certains diraient pré-digérés).