Petites réflexion au sujet des expés en Himalaya et des futurs guides UIAGM Népalais

Posté en tant qu’invité par Paulo Grobel:

De retour d’un petit Mustang en hiver bien surprenant, j’ai retouché un texte qui me tenait à coeur…
J’avais écrit ce texte initialement plus en direction d ela sphère des guides, mais à la réflexion il me semble que cela concerne peut être la majorité des alpinistes qui gravissent des sommets au Népal.
Qu’en pensez-vous ?
Bon hiver
Paulo

Fin septembre 2010, me voici de nouveau à Kathmandu pour la préparation d’une expédition au Saipal, un 7000 peu connu dans le Grand Ouest du Népal.
J’observe avec attention comment Bikram Singh prends sa nouvelle fonction à coeur. Cela fait déjà quelque temps que nous cheminons ensemble au gré de mes aventures himalayennes. Au Manaslu au printemps 2008, Bikram était porteur d’altitude, au Saipal en 2010, il est guide de haute montagne. Guide dans le sens occidental du terme, puisque nous avons passé une grande partie de l’été ensemble, dans les Alpes, avec mes clients.
Ce changement de statut est une véritable révolution pour lui.
Et c’est aussi ce que je ressens dans les attitudes et le comportement de mon jeune compagnon.
C’est la naissance d’une profession de guide de haute montagne au Népal avec un statut, une formation aux standards internationaux, mais aussi, en écho, une évolution de ma propre activité professionnelle au Népal.
Petit regard en arrière…
Dans le monde du tourisme d’aventure au Népal, la randonnée représente la partie la plus importante du marché. Initialement, pour le champs des voyages organisés, les groupes de trekkeurs occidentaux étaient encadrés par les accompagnateurs «maison» des grandes agences, en général de grands voyageurs. Petit à petit, sous la pression de la règlementation, ils ont été remplacés par des accompagnateurs moyenne montagne diplômés. Dans le même temps, au sein des agences népalaises, les sirdars de ces treks ont acquis des compétences d’encadrement. Surtout, ils ont appris l’Anglais puis le Français. Tout naturellement, ils sont devenus «guides de trek francophones». En parallèle, au Népal, une formation a été mise en place par le gouvernement avec un diplôme de «trekking guide». En complément, les grands TO et les agences locales, ont organisés leur propre formation interne.
Le dynamisme de ces «trekking guide» népalais et l’action combinée des TO occidentaux et des agences népalaises à générer une modification profonde de l’encadrement des treks au Népal, qui, dans leurs très grandes majorités sont actuellement sous la responsabilité ces guides francophones népalais.
Pour autant, la taille des groupes me semble trop importante et génère des problématiques de gestion psychologique ou même logistique, quasi insoluble pour ces accompagnateurs népalais. Principalement à cause du gap culturel, de la pression économique et de l’évolution des demandes des clients.
Au détriment à la fois des clients, des accompagnateurs Népalais et du tourisme d’aventure en général.
Il ne s’agit pas pour moi de remettre en question l’intérêt ou la nécessité d’un encadrement par les acteurs locaux. Mais la manière dont la transition c’est opérée pour les accompagnateurs de trek nous éclaire sur ce qui peux se passer pour les futurs guides de haute montagne népalais.
En tant que guide de haute montagne UIAGM, mais aussi en tant qu’alpiniste, nous avons un rôle a jouer dans cette évolution pour éviter que la même histoire ne se reproduise. Il en va de l’avenir de nos futurs collègues, de notre capacité à travailler au Népal dans de bonnes conditions et du respect de nos clients communs. Pouvons-nous réfléchir et peser sur les conditions d’exercice de notre profession sur les grands sommets Himalayen ?

Pour être plus concret, que va-t-il se passer pour la taille des groupes et pour le nombre de personnes sur la corde du guide népalais ou dans la ou les cordées autonomes.
Je suis particulièrement inquiet dans la manière dont l’ensemble du système va évoluer, à cause du poids des facteurs économiques de la part des agences (TO et locale), de la pratique de mes collègues UIAGM, mais aussi des futurs guides népalais et des clients occidentaux eux-même.

Je suis inquiet sur l’essence même du métier de guide en Himalaya, des simples 6000 au 8000 les plus complexes.
Alors que faire ?
Rester les bras croiser et attendre que tout change ? Tout va changer, forcément… (et heureusement). Peut être est-il encore temps de prendre du recul sur nos pratiques de guide en Himalaya? Nous sommes à la fois très peu nombreux à encadrer des ascensions en Himalaya et nous avons tous des pratiques, des habitudes différentes. Malgré les 4 ou 5 expés que j’encadre chaque année au Népal, j’ai plus de questions que de réponses. Et ce texte se veut surtout une première pierre pour une réflexion plus large.

Est-il possible de s’éloigner du fonctionnement actuel des expéditions, petites ou grandes ?
Pour donner sens à une pratique d’encadrement en Himalaya, ne devons-nous pas d’abord nous préoccuper du sens de notre propre pratique d’alpiniste et de guide ? Et pourquoi pas revenir, en Himalaya, à une pratique la plus proche possible de celle qui est la notre dans les Alpes? Celle qui caractérise nos compétences et notre image.
Dans un premier temps, pourquoi ne pas accompagner nos clients dans le choix d’un sommet qui leur correspondent, même si c’est en rupture avec la pratique de tous ?
Par exemple, pourquoi ne pas expliquer que l’Island Peak n’est pas un sommet facile ? Allons-nous perdre nos clients en disant la vraie vérité vraie ? Car sa réelle difficulté technique, AD à plus de 6000 m, nécessite une compétence d’alpiniste certaine. Que provoquons-nous en minimalisant son ascension par l’utilisation de corde fixe? Quelle pratique du métier de guide en Himalaya développons-nous ? Est-il possible d’accompagner nos compagnons de voyage vers une conscience des réalités d’une ascension himalayenne, sans être obnubilé par la réussite à tout prix d’un sommet ?
Ce ne sont pas les cordes fixes qui me gênent, mais ce qu’elles provoquent. Leur utilisation systématique brise un lien qui est au coeur de notre métier. Celui d’être encordé avec nos clients et de veiller à notre sécurité mutuelle.

Simplement poser la corde comme le lien symbolique qui construit le métier de guide, même (et surtout) en Himalaya.
Comment privilégier une réelle proximité avec nos compagnons d’ascension ?
Sinon par le lien d’une corde «d’attache». Car cette proximité est gage de sécurité, d’enseignement et de partage. La notion de cordée caractérise merveilleusement toutes les richesse et les difficultés de ce «faire ensemble» de l‘alpinisme, surtout à ces altitudes.
Est-il possible de faire en sorte que les Népalais, qui souvent nous accompagnent, expérimentent eux aussi cette relation privilégiée, dans le cadre de petites cordées de deux sous notre responsabilité? Que ce passerait-il ?
Cette forme d’approche permettrait de leurs montrer le chemin, pour partager notre plaisir d’exercer ce métier. Mais aussi nos doutes et nos difficultés. Alors, pourquoi est-ce si difficile à expérimenter ? Est-ce un problème de surcoût ?
(Et savez-vous comment un Népalais découvre l’alpinisme et met pour la 1ère fois des crampons ?)

Faut-il attendre que la première promotion d’aspirant guide népalais soit reconnue par l’UIAGM et débarque sur le marché ?
Sommes nous capable dès maintenant de modifier le statut et la tache de nos collaborateurs népalais, au sein des groupes d’alpinistes que nous encadrons ?
Dans un premier temps, nous pouvons tout simplement les aider à bien différencier la fonction de porteur d’altitude de celle de guide de haute montagne.
Et un guide de haute montagne s’encorde avec ces clients et ne porte pas de charge ! C’est drôle, car nous voici revenu aux premiers temps de notre propre histoire de l’alpinisme !

Et, plus largement, il me semble que tous les alpinistes qui fréquentent l’Himalaya et le Népal sont concernés par cette réflexion.
Chacun peut y apporter sa pierre, à son niveau. Petite ou grande.
Simplement en se posant la question de la nature de notre propre pratique d’alpiniste. Est-elle respectueuse de l’environnement, des personnes qui nous entourent ou avec qui nous effectuons ce voyage et cette ascension ?
Sommes-nous en Himalaya, en accord avec nos valeurs d’alpinistes dans les Alpes ?
(Perso, je ne trouve pas cela très simple…)

Paulo Grobel,
Kathmandu, septembre 2010

[quote=« Paulo Grobel, id: 1115903, post:1, topic:106766 »]Est-il possible de s’éloigner du fonctionnement actuel des expéditions, petites ou grandes ?
Et pourquoi pas revenir, en Himalaya, à une pratique la plus proche possible de celle qui est la notre dans les Alpes?
Est-il possible d’accompagner nos compagnons de voyage vers une conscience des réalités d’une ascension himalayenne, sans être obnubilé par la réussite à tout prix d’un sommet ?[/quote]

Je n’ai jamais grimpé avec un guide autrement qu’entre amis mais en Himalaya en plus du cout éventuel du guide il y a beaucoup de choses à payer qui changent un peu la donne et pervertissent peut être le rapport simple de l’alpiniste à la montagne ?

[quote=« Paulo Grobel, id: 1115903, post:1, topic:106766 »]Est-il possible de faire en sorte que les Népalais, qui souvent nous accompagnent, expérimentent eux aussi cette relation privilégiée, dans le cadre de petites cordées de deux sous notre responsabilité?
Et un guide de haute montagne s’encorde avec ces clients et ne porte pas de charge ! C’est drôle, car nous voici revenu aux premiers temps de notre propre histoire de l’alpinisme ![/quote]

vu de l’extérieur on peut imaginer qu’avec le temps effectivement ces népalais et autres ethnies himalayennes trouveront leur autonomie comme l’ont fait les paysans des hautes vallées alpines, mais ça traine un peu …