Petite escaPade

Posté en tant qu’invité par Francois:

…du côté des topos.

La littérature des topos n’est pas claire. Elle semble claire mais elle ne l’est pas. Elle s’apparente au discours politique, à la langue de bois. Elle demande donc une interprétation (une exégèse ? une herméneutique ?). Il faut apprendre à lire entre les lignes. Les mots n’ont pas leurs sens habituels.
Je me suis attelé à la traduction, en français de tout le monde, de ces textes fondateurs. Dans ce but, j’ai fait un petit répertoire des expressions récurrentes de cette littérature sacrée qui constituera, je l’espère, un signal fort en direction des jeunes. En effet, il faut être très clair afin que ça les interpelle quelque part dans la tête au niveau, entre guillemets, du vécu du quotidien.
Donc, allons-y.

  • Franchir la rimaye, parfois malcommode
    Ici, « parfois » signifie « toujours », en tout cas chaque fois qu’on y passe. Quant à « malcommode », on appelle ça un euphémisme. Ca veut dire « merdique ».
    Traduction: franchir la rimaye, toujours merdique.
  • Passage délicat, couloir délicat
    Il faut comprendre que, vu de loin, ça n’a l’air de rien mais que, vu de près, le passage présente une résistance insoupçonnée dont l’origine reste mystérieuse. La bonne fissure n’est pas si bonne que ça, ou il y a de la glace dans le fond. Les prise sont rondouillardes, ou fuyantes, ou imbriquées (j’aime beaucoup ces adjectifs, ils parlent à l’imagination) ou les trois à la fois, ou encore la sortie se fait sur une vire sournoisement déversée et gravillonneuse. On regarde d’un air inquiet l’arabesque élégante de la corde qui pendouille jusqu’à un piton décoratif et improbable, tout en évaluant automatiquement les hauteurs et les distances. Bref, le doute s’insinue. Qu’est-ce que je fais dans cette galère? Non mais quel c…! Quand je pense à ceux qui se dore la pilule au soleil… On m’y reprendra, tiens! (Note: c’est la version édulcorée; dans la réalité, le vocabulaire est plus vigoureux).
    Traduction: fais toi léger.
  • Equipement très limité
    C’est aussi un euphémisme. Vous remarquerez le « très ». Il y a la limite et il y a la très limite. C’est pire. C’est même très pire.
    Traduction: vous trouverez peut-être un anneau pourri abandonné dans le fond d’une fissure par les premiers ascensionnistes et, si vous avez de la chance, un spit rouillé avec, en dessert, un piton branquignollant qui attend impatiemment votre visite pour aller voir ailleurs.
  • Rocher en général excellent : traduire par: rocher en particulier détestable.
  • Le rocher est inégal : le rocher est détestable.
  • Le rocher demande des précautions
    Ceci indique qu’il n’est pas conseillé de bousculer l’ordre établi ou de modifier un tantinet la structure rencontrée sans risquer de prendre la montagne sur la tête. On progressera donc avec la méfiance du guerrier Sioux. Une bonne solution consiste à se mettre à l’abri et à envoyer son copain devant en lui disant que, de toute façon, c’est toi le meilleur (ce qui n’est pas vrai, naturellement).

Si cette herméneutique (hein? quoi? kesidi?) vous inréesse, je tiens la suite à votre disposition.
Serviteur.

Posté en tant qu’invité par catherine:

Francois a écrit:

Si cette herméneutique (hein? quoi? kesidi?) vous intéresse,
je tiens la suite à votre disposition.

la suite ! la suite !

euh … c’est quoi l’hermé-truc ?

Posté en tant qu’invité par Francois:

Bon allez, je vous balance la suite. Comme c’est un article que j’ai publié dans le bulletin de mon caf, yaka faire un copier-coller. C’est pas trop fatiguant. Et si ça vous intéresse pas, vous zavéka pas lire, hein (ah oui, mais…pour savoir si ça vous intéresse ou pas, faut d’abord lire. Ah! ah! je vous ai bien eu!)

…suite…

  • Pitons extra-plats conseillés
    « pitons extra-plats » se traduit par: rocher compact, fissures bouchées, relais problématiques. Ensuite « conseillés ». Remarquez bien: pas « nécessaires », seulement « conseillés ». Si on vous dit « nécessaires », ça signifie qu’il en faut absolument donc vous pourrez les caser. Alors que « conseillés » veux dire que oui, prenez en toujours, sait-on jamais, vous pourrez peut-être en mettre un ici ou là, avec de la chance. En bref, extra-plats conseillés = escalade (très) exposée ou même franchement casse-gueule.
  • Monter en oblique à droite, tirer à droite.
    Traduction: démerdez-vous. Cependant, l’expérience montre qu’on a souvent intérêt à aller voir à gauche.
  • Suivre le fil de l’arête, facile, et gagner le sommet.
    Traduction: démerdez-vous.
  • S’élever par une vire peu marquée.
    Traduction: démerdez-vous. Ne vous cassez pas la tête à chercher la vire, il se peut tout aussi bien que ce soit une dalle ou un surplomb ou même rien du tout.
  • Progresser au mieux, continuer au mieux.
    Démerdez-vous.
  • Bon rocher dans les passages difficiles = rocher en général détestable.
  • Le bon itinéraire n’est pas facile à trouver.
    Ca signifie que vous allez vous perdre à tous les coups. Inutile de chercher le chemin, allez-y au pif, vous finirez bien par arriver au sommet un jour ou l’autre (plutôt l’autre).
    On peut affiner l’analyse :
    Le « bon » itinéraire…Il y a donc plusieurs itinéraires (ce qui est tout de même encourageant) et, parmi ces plusieurs, il y en a un qui est le bon. Mais ce bon « n’est pas facile à trouver ». Cette forme d’euphémisme s’appelle une litote. Il faut donc le chercher (car si on ne le cherche pas, on ne le trouvera pas) et c’est difficile, évidemment parce que pour savoir si c’est le bon, il faut tous les essayer, sinon comment le savoir? Tout ça prend du temps, surtout qu’on ne sait pas combien il y en a. D’autre part, on dit seulement que le bon itinéraire n’est pas facile à trouver, mais peut-être que les autres (les pas bons) ne sont pas plus faciles à trouver?
    Vous voyez que cette petite phrase d’apparence anodine admet des développements inattendus. Pas facile, tout ça. Il y aurait encore beaucoup à dire…
  • L’itinéraire n’est pas facile à déterminer.
    Cette locution présente l’intérêt d’être parfaitement claire, au contraire de la précédente qui, il faut bien l’admettre, est un peu ambiguë. Tout d’abord, il n’y a qu’un itinéraire. Ensuite, il n’est pas facile non « à trouver » mais « à déterminer ». Voilà qui change tout. « Trouver » implique une connotation de hasard, de chance, d’essais manqués, de recherche à droite à gauche, de pif. Alors que « déterminer » a un petit côté structuré, cartésien qui indique que si on réfléchit correctement, comme nos professeurs nous l’ont appris durant nos études, en suivant bien les règles -lesquelles, je ne sait pas- mais en suivant les règles, on tombe avec une précision d’obus sur la bonne solution bien nette et bien carrée et on arrive au sommet avant les ploucs.
  • Terrain type « face Nord d’Oisans ».
    Expression quelque peu abscons pour le béotien qui ne connaît pas l’Oisans. Ce terrain peut être qualifié de délicat, avec toutes les caractéristiques qu’on a accordé précédemment à cet adjectif. On y trouvera donc, en vrac, une ambiance austère et parfois même franchement lugubre, des pyramides croulantes, des plaques de verglas sur du rocher fuyant et compact, des empilements branlants, des traînées d’humidité froide, une lumière crépusculaire, des emplacements de bivouac qui s’éloignent à mesure qu’on approche, des éboulements gigantesques, du rocher qui demande des précautions, du IV+ pourri trente mètres au-dessus d’un relais douteux, des tours, des donjons et des mâchicoulis qui délivrent des rations cyclopéennes de projectiles de tous calibres etc. etc. Bref, on fait dans le pharaonique.
    On aura compris que le terrain type « face Nord d’Oisans » n’est pas exactement le genre de terrain à la mode actuellement et nos farineux magnésistes se sentiront gênés aux entournures. On aura compris également que pif et moral d’acier seront des outils autrement plus puissants et efficaces que les derniers gadgets à la mode.

Comme application pratique, voici un exemple.

Attaquer à gauche de la cascade du milieu (raide mais facile) puis traverser la cascade et gagner une vire ascendante à droite (dalles déversées).
Exercice: analyser cette phrase en fonction des indications données ci-dessus.
Corrigé: On est à l’attaque d’une voie, ce qui signifie: lumière crépusculaire, froidure matinale, ombre. On attaque « à gauche de la cascade du milieu ». Il y a donc au moins trois cascades, donc ambiance visqueuse ou même franchement mouillée ce qui, conjugué avec la froidure matinale et l’ombre, donne déjà un départ tout à fait sympathique. On est dans la note. Il est possible aussi que tout ceci soit gelé - n’oublions pas qu’on est en altitude- auquel cas, au lieu de grimper mouillé, on grimpera glissant. Est-ce préférable? A vous de voir. Mais ça peut aussi simplifier les choses en ce sens que si le verglas oppose un « niet » catégorique à toute velléité de progression, on ira tranquillement se recoucher, la conscience en paix. Continuons.
« Raide mais facile »: quand c’est raide, c’est jamais facile, surtout quand c’est visqueux, sombre et froid.
« Puis traverser la cascade »: sans commentaire. Je vous laisse imaginer.
« Et gagner une vire ascendante à droite (dalles déversées) »: on présente ça comme allant de soi, mais pour celui qui sait, le petit mot « gagner » est source de bien des inquiétudes. Ce qu’il y a entre la cascade qu’on vient de traverser et le début de la vire n’est pas précisé. L’auteur ne sait pas par quel bout prendre la description et s’en tire par une pirouette. En général, c’est mauvais signe. Quant à la vire ascendante aux dalles déversées, on appelle ça « une rampe », et une rampe, en haute montagne, c’est l’horreur absolue, y’a pas pire. C’est tordu, c’est vicieux, c’est lisse, c’est fuyant, ça repousse vers le vide, y’a des gravillons qui roulent…au lieu d’une prise sympathique où on peut fermer la main, on tombe sur une espèce de truc rondouillard, l’horreur, je vous dis!
Vous avez reconnu, bien sûr, l’attaque de la directe Pierre Alain à la face S de la Meije.

Posté en tant qu’invité par maurice:

« Quand je pense à ceux qui se dore la pilule au soleil… »

François, tu as oublié le « ent » a dorer le pilule. C’est pas bien ca !!

A propos, sais-tu que cette expression est toujours mal interpretée : « dorer la pilule a quelqu’un » signifie lui donner un petit su-sucre pour lui enfiler quelque chose de plus desagréable. Par la suite, les gens ont utilisé « se dorer la pilule » pour « se bronzer », mais c’est inexact et ça donne le cancer…

sinon tu es drole comme toujours…

Posté en tant qu’invité par Francois:

« François, tu as oublié le « ent » a dorer le pilule. C’est pas bien ca ! »

Damned, tu as raison! Mais bon, c’était pas la peine de le faire remarquer à tout le monde. Ils n’y auraient rien vu, ces ignares!

« A propos, sais-tu que cette expression est toujours mal interpretée :
« dorer la pilule a quelqu’un » signifie lui donner un petit su-sucre pour
lui enfiler quelque chose de plus desagréable »

Ben non, je ne savais pas. Mais maintenant, je sais. Merci, Maurice.

Posté en tant qu’invité par catherine:

Francois a écrit:ne sait pas par

Vous avez reconnu, bien sûr, l’attaque de la directe Pierre
Alain à la face S de la Meije.

pssssiiiit, François :
Pierre Allain avec deux « L »
C’est peut-être pour ça qu’il volait littéralement de rocher en rocher …

Posté en tant qu’invité par Francois:

Ben oui, t’as raison! Vous avez pas fini de me casser la baraque?

Posté en tant qu’invité par Laurent:

Au moins, persone ne viendra t’enquiquiner avec des machicoulis ou des cyclopes egyptiens!

Posté en tant qu’invité par catherine:

n’empêche que François il est resté hermétique à ma demande d’explication sur ce qu’était (je cite) :
« l’herméneutique »

Posté en tant qu’invité par alexis:

HERMÉNEUTIQUE, adj. et subst. fém.
I. Emploi adj. Qui concerne, qui a pour objet l’interprétation des textes religieux ou philosophiques, en particulier des Écritures saintes. Il ne faut pas s’étonner que les modernes se permettent de censurer parfois les interprétations des philologues anciens; car ils n’étaient guère plus compétents que nous pour la théorie scientifique de leur propre langue, et nous avons incontestablement des moyens herméneutiques qu’ils n’avaient pas (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 143). Je suis sûr que Dieu lui-même fait tout en moi. Cette remarque s’applique surtout à mes recherches herméneutiques (BLOY, Journal, 1895, p. 165). Des catégories herméneutiques telle que celle de « but » et de « moyen » (J. VUILLEMIN, Être et trav., 1949, p. 101).
II. Emploi subst. fém.
A. Science des règles permettant d’interpréter la Bible et les textes sacrés, d’en expliquer le vrai sens. Des dictionnaires d’hagiographie, des manuels d’herméneutique sacrée, de droit canon, d’apologétique chrétienne, d’exégèse biblique (HUYSMANS, En route, t. 2, 1895, p. 284). L’herméneutique, qui donne des Écritures une interprétation plus profonde que la lettre (VALÉRY, Variété V, 1944, p. 266) :

C’est le fruit mûr de quinze ans de travaux d’exégèse biblique ou d’herméneutique sacrée, et d’un plus grand nombre d’années de souffrances, choisies par moi, pour l’amour de Dieu, dont vous ne pouvez absolument pas vous faire une idée, car il y eut mieux encore que la misère.
BLOY, Journal, 1895, p. 211.

B. SÉMIOLOGIE, PHILOS. Théorie, science de l’interprétation des signes, de leur valeur symbolique. Appelons herméneutique l’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens (M. FOUCAULT, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 44).
REM. Herméneute, subst. masc. [Dans l’Église chrétienne des premiers siècles] Ministre chargé d’expliquer l’Écriture; p. ext., celui qui explique, interprète l’Écriture. Quand donc viendra l’herméneute, l’explicateur comme il ne s’en est jamais vu, par qui nous saurons enfin que le Cantique des Cantiques est simplement un récit préalable de la Passion, antérieur d’une trentaine de générations aux quatre évangiles? (BLOY, Journal, 1900, p. 380).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. A. Subst. 1. 1777 « art de découvrir le sens exact d’un texte » (Encyclop. Suppl. t. 3); en partic. 1803 théol. (BOISTE : herméneutique. Règle pour expliquer l’écriture sainte); 2. 1890 « interprétation de ce qui est symbolique » l’herméneutique des couleurs (HUYSMANS, Cathédr., p. 180). B. Adj. 1803 (BOISTE). Empr. au gr. « qui concerne l’interprétation, propre à faire comprendre » (dér. de « interpréter, traduire »), d’où le fém. subst. (sous-entendu ) « l’art d’interpréter ». Fréq. abs. littér. : 15.

Posté en tant qu’invité par catherine:

merci !
C’est vrai que certains topos ont un p’tit côté « religieux » ou « philosophique » …
Mais que François soit « herméneute » j’en suis baba (au rhum) !

Posté en tant qu’invité par Michel.ethz.ch:

Pierre Allain avec deux « L »
C’est peut-être pour ça qu’il volait littéralement de rocher
en rocher …

Joliiiii :o)

Posté en tant qu’invité par Dom:

Aaaahh, j’en ai les larmes aux yeux … Voilà qui me rassure car vous me sembliez fort calme ces derniers temps, cher Maître …
Quelque accointance avec Livanos peut-être ??

ps : si la version skirandonnesque existe, ne vous privez surtout pas de nous en faire part avec la diligence requise par l’arrivée imminente de la poudre blanche …

Posté en tant qu’invité par Antoine:

HAARRRGG !
j’comprends même pas l’explication !!!

Posté en tant qu’invité par Antoine:

C’est très émouvant… je suis remué par toute cette poésie que je ne soupçonnais pas dans les topos…
Au fait, « crépusculaire », c’est aussi la lumière du petit jour ? je croyais que c’était celle du coucher du soleil…
Qu’est-ce qu’on s’instruit nous les ignares, les béotiens, les petits, les sans grade, comme disait Victor ! Merci !

Posté en tant qu’invité par Michel.ethz.ch:

Qu’est-ce qu’on s’instruit nous les ignares, les béotiens,
les petits, les sans grade, comme disait Victor

…la « France d’en bas », comme dit Jean-Pierre!

Posté en tant qu’invité par alexis:

Moi non plus !-)

Posté en tant qu’invité par Francois:

Non mais ho! les gars! faut pas prendre tout ça au sérieux, hein!
(je préfère préciser, parce que des fois, je m’demande si certains n’ont pas tendance à prendre ça au pied de la lettre)
La montagne est une culture, c’est à dire une manière de vivre et de voir les choses, et ne se résume pas à des discussions sur les IV+, le 6b, les avantages comparés du 8 et du Reverso ou le meilleurs plan pour bouffer gratos en refuge…
Certains l’ont compris, d’autres non mais ce n’est pas grave car comme je dis toujours, faites ce que vous voulez à condition de ne pas gêner le voisin et de laisser les lieux propres.

Posté en tant qu’invité par Antoine:

Ah mais j’ai ADORE ton article ! positivement !
Mais remarque comportait à la fois du premier et du deuxième degré (voir plus !) mais il est vrai que l’écrit ne laisse pas toujours transparaître toutes les nuances…
Avec tout ça, j’ai pas ma réponse sur crépusculaire !

Posté en tant qu’invité par Francois:

Quelle perspicacité, chère Dom! « farineux magnésistes » est effectivement une expression du Grec…