Posté en tant qu’invité par ngc4594:
Pas loin de six heures… Clignements d’yeux, ciel déjà blanc. Couverture de survie ruisselante, sac de couchage humide, rochers noirs, alpages sombres. Les cimes de Vanoise, de l’autre côté du lac, dorment encore. Mais voici qu’une étoile scintille au sommet de la Grande Casse, c’est le premier rayon. Je m’assois, me retourne, et notre objectif, pâle et bleu, dédale de glace et de schiste croûlant, m’apparait énorme. Un pressentiment de but, tel un petit bruit d’aile, passe près du parking.
Pourtant, Sylvain est en pleine forme, et semble passablement optimiste. Deux gars partent au pas de course, ski sur le sac, vers la Tsanteleina.
Nous on émerge, on s’habille tranquillement dans la voiture, on mange… L’oeuf dur, très dur … une mauvaise idée. Au moment de se mettre en marche, tout le sang se rue vers l’estomac pour digérer ça, il n’en reste plus pour les jambes. J’ai l’impression de tirer deux énormes boulets, mon sac m’écrase, je halète, et ça attaque fort. Le sentier, devenu une ravine, est avare de lacets. Que c’est pénible!
Tiens, des bouquetins! Des trouillards, ceux là! Ils sont très loin et ils fuient déjà! Ah non! Quelques secondes après, à l’endroit où ils broutaient, Sylvain passe à toute blinde! Quoi? Je suis si lent???
Bon, Je range la gore-tex et la polaire, et j’attaque pour de bon. C’est parti! Pas moyen. Je me traîne, les jambes un rien cotonneuse, le souffle trop court. Chié! Ras-le cul de la montagne. 5 Euros mon piolet!
Après d’interminables minutes, je rejoins sylvain, patient. On est à peine à la moitié de l’alpage, qui donne sur une grosse croupe et une longue crête, débouchant sur un vaste col où la course de neige proprement dite commence : une arête, une cheminée, une trace sur la crête qui longe le glacier, jusqu’aux 300 mètres de l’aiguille sommitale.
En d’autres termes, on sait déjà que c’est raté : autant valider le but tout de suite et redescendre!
Mais deux cents mètres n’amortissent pas deux cent kilomètres en bagnole, alors on monte encore un peu.
Qu’est-ce que c’est fatigant! L’oeuf est digéré, mais on est haut maintenant, et on n’a pour ainsi dire pas dormi. Mais qu’est-ce que je fous là? Je pense au moment où on sera de retour, ça me donne du courage.
Cette croupe pelée, caillouteuse, finit sous un soleil rasant. D’ici on ne voit pas le sommet, juste la masse nuageuse qui tourne autour. De toute façon on n’ira pas.
On continue quand même un peu sous la crête, car le paysage est devenu beaucoup plus beau. On surplombe un champ de neige, qui s’arrête au pied d’une paroi noire abrupte, aux cannelures colossales. Au dessus, un épais dôme de neige scintille. De légers nuages parcourent sa surface, comme des frissons.
Arrivés au col, la vision devient soudainement fantastique : la montagne dessine un grand arc, donnant sur le vide, d’où les nuages se ruent vers le ciel. On se croirait au bord d’un cratère menaçant. Parfois le sommet en émerge : qu’il est loin! Il est tard, et des orages sont prévus tôt. On va redescendre.
Quoique! On a à peine mis les pieds dans la neige, on pourrait encore attaquer l’arête. Pourquoi ne pas monter? J’ai mille réponses à cette question, pourtant, c’est inexplicable, on y va.
Pour déboucher sur la crête, il faut gravir au préalable la pointe Skarabix. C’est sous cette pointe qu’on arrêtera les frais. Une cheminée un peu vicelarde, en neige, avec un très bref passage à environ 60. Dans une heure c’est transformé, le piolet n’assure déjà plus, on n’est pas sûr de pouvoir laisser une sangle pour le retour.
On décide donc de faire un petit repas, au cours duquel d’épais nuages engloutissent le sommet, et on fait demi tour. La bataille est terminée.
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