Posté en tant qu’invité par Gros Bill:
Les Ecrins, joyau de discorde pour les élus locaux
Entre protection et développement, le parc doit gérer ses contradictions.
Par Eliane PATRIARCA
samedi 20 août 2005 (Liberation - 06:00)
Hautes-Alpes, Isère envoyée spéciale
Au refuge de Vallonpierre (Hautes-Alpes), au pied des glaciers des Rouies, à 2 200 m d’altitude, c’est l’émoi. De l’hélico qui se pose, jaillissent des secouristes. Ils réquisitionnent un dortoir pour donner les premiers soins à deux alpinistes, frappés par la foudre, avant de les transporter à l’hôpital voisin. Pour le groupe de randonneurs qui s’est engouffré dans le refuge alors que les grêlons commençaient à crépiter, l’entrée en matière est rapide. Venus découvrir le parc national des Ecrins à l’occasion d’une randonnée-atelier d’écriture organisée par celui-ci, ils comprennent tout de suite la caractéristique essentielle de cet espace protégé : c’est un territoire de haute montagne. Un haut lieu de l’alpinisme, situé entre Gap, Grenoble et Briançon, avec des sommets mythiques comme la Meije, le Pelvoux, ou la barre des Ecrins, qui culmine à 4 012 mètres.
Equilibre. Créé en 1973, le parc s’est trouvé face à un défi : comment concilier la pratique de l’escalade et de l’alpinisme et l’équipement en ferraille des falaises qu’elle implique , avec sa priorité : la préservation de vastes espaces de vie sauvage ? «A la création, explique Jean-Pierre Nicollet, garde du parc depuis 1974, et alpiniste lui-même, il y avait beaucoup de voies équipées de façon traditionnelle, avec des pitons, de gros « clous » qu’on fixe au marteau en profitant d’une fissure naturelle dans le roc. Mais dans les années 80 les grimpeurs ont commencé à utiliser des spits, des chevilles qu’on pose en perforant le rocher avec une perceuse. Cette technique qui permet de passer partout a conduit à des abus.»
Pour protéger les falaises riches en rapaces et en plantes, le parc a délimité des aires interdites à tout équipement et d’autres dévolues à la grimpe. Il a aussi passé une convention avec le Club alpin français, les guides de l’Oisans et l’association Mountain Wilderness afin de réglementer l’ouverture de nouvelles voies. Désormais, elle est soumise à l’autorisation d’un comité paritaire, associant le parc à des alpinistes réputés. Les ouvreurs doivent limiter l’utilisation des spits, et veiller à dénaturer le moins possible les sites.
Un terrain d’entente finalement aisé à trouver. Les relations restent en revanche tendues avec les élus locaux des communes de la zone périphérique du parc. Ce dont témoigne Bernard Héritier, un participant un peu particulier de la randonnée organisée par le parc puisqu’il est maire de Valjouffrey (Isère), une commune qui borde la zone centrale des Ecrins, depuis 1984.
«J’avais 20 ans quand le parc s’est créé. Du jour au lendemain, il s’est installé sur les terrains communaux ou privés. Nos pratiques ancestrales, la chasse, la cueillette, ont été interdites, on s’est retrouvés comme dans une réserve d’Indiens, se souvient-il, volontiers provocateur. En plus, on nous présentait le parc comme une source d’emplois alors que nous étions en plein exode rural. Cela a été une grosse désillusion.» Aujourd’hui, Bernard Héritier préside l’association des élus des Ecrins et siège au conseil d’administration du parc. L’établissement public, regrette-t-il, ne s’est longtemps préoccupé que de la faune et de la flore au détriment du développement des communes de la zone périphérique. Une antienne qu’il modère néanmoins en reconnaissant le changement opéré par le parc dans les années 90. La charte du développement durable, signée en 1996 entre l’organisme public et les 61 communes de la zone, a structuré leur partenariat et amélioré leurs relations. Le parc est devenu non plus seulement un distributeur de subventions mais un partenaire pour l’aménagement des hameaux, la restauration du petit patrimoine (fontaines, lavoirs, chapelles…) ou les diagnostics pastoraux…
Irréductibles. Mais il reste des habitants et des élus frondeurs «les libertaires des fonds de vallées», dit Bernard Héritier , irréductibles ennemis du parc, qu’ils perçoivent comme une mainmise de l’Etat. Une réaction que le directeur des Ecrins, Michel Sommier, connaît bien. «Plus de trente ans après, les conditions de la création du parc restent présentes dans les mentalités locales comme un traumatisme qui se transmet à travers les générations.» Un syndrome qui touche la plupart des parcs nationaux même s’il s’estompe peu à peu. Mais il note aussi une part de jeu de rôle dans l’attitude catastrophée de certains élus : «La création d’un parc est une décision de l’Etat qui impose des contraintes dans la zone centrale. Mais les communes bénéficient de contreparties : l’appui technique et financier au développement et à l’aménagement, le conseil scientifique, l’image de marque du parc qui sert la promotion touristique…» Les Ecrins accueillent près de 1 million de visiteurs par an.
Gestion. Bernard Héritier se réjouit de la réforme de la loi sur les parcs nationaux proposée par le gouvernement : elle prévoit d’associer beaucoup plus étroitement les collectivités locales à la création et à la gestion de ces espaces protégés. D’allier «protection dans la zone centrale et dynamique de développement durable dans la zone périphérique», selon le ministère de l’Ecologie. «Ce sera plus facile de gérer les problèmes avec une gouvernance locale, comme cela se fait dans les parcs naturels régionaux», espère Bernard Héritier. Mais il est vigoureusement contredit par une randonneuse qui chemine à ses côtés. Cathy Billaudel est membre de Mountain Wilderness et représente l’ONG au sein du conseil d’administration du parc. Elle redoute que la réforme n’affaiblisse la protection de la nature. «Si les élus sont majoritaires dans les décisions, l’électoralisme va l’emporter, on travaillera à l’échelle d’un mandat local. Or la haute montagne, les espaces naturels, c’est un bien commun, à préserver pour nous tous et pour les générations futures !»
Au col du Vallon (Isère), à l’ombre du glacier de la Muzelle, la montagne monte et descend en douceur, dans un camaïeu de verts, jusqu’à celui, bouteille, du lac près du refuge quitté ce matin.
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