Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:
Matos trouvé en montagne
En longeant le pied d’une grande face des Alpes à la recherche du départ de la voie de tes rêves, tu trouves, éparses, de nombreuses pièces d’équipement.
Que fais-tu :
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tu continues ton chemin sans te poser la moindre question : ‘Ce n’est pas mon problème’ ?
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tu penses : ‘Ils sont engagés dans la face, ils récupéreront le matos abandonné à leur retour (levant la tête, tu n’aperçois aucune cordée, ni n’entends aucun bruit) ?
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tu lances : ‘Ah ! du matériel Mammut, Mary Woodbridge et Daisy ont repris l’entraînement pour l’Everest’
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tu te dis : ‘Ca tombe bien, j’avais justement besoin d’un sac de couchage et d’une natte isolante pour ma prochaine expé… et tu tasses les objets trouvés dans ton sac à dos déjà plein à craquer’ ?
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tu professes : ‘pour ma prochaine expé, je ne veux que du matériel de premier choix, allons voir plus loin, il y a peut-être mieux’ ?
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tu renonces illico à l’ascension prévue, tu fonces en direction de la plaine et de ton ordi, tu te branches sur c2c (alpinisme), et tu émets un message essentiel : ‘Trouvé une crosse et une mitre épiscopales au pied de la face est de l’Evêque’ ?
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tu récupères le matériel en murmurant : ‘Je le confierai au gardien du refuge, ou à la gendarmerie ; si les proprios sont tombés, leurs proches seront heureux de récupérer ces quelques reliques’ ?
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autres réactions possibles ?
Du vécu (anecdote, pour illustrer le propos)
Piz Badile, face nord (voie Cassin), en l’an 1976
Une de celles que l’on a longtemps considérées comme faisant partie des ‘Cinq grands derniers problèmes des Alpes’, les quatre autres étant les faces nord de l’Eiger, des Grandes Jorasses, du Cervin et du Petit Dru. On disait parfois les ‘Six… ‘ en incluant la face nord de la Cima Grande di Lavaredo, dans les Dolomites.
Au pied de la face (déserte), nous avions trouvé une quantité de matériel abandonné. Supposant que les propriétaires avaient péri lors de leur ascension, après avoir beaucoup hésité sur la conduite à tenir, pour le mettre à l’abri d’éventuelles convoitises, nous avions dissimulé le matos sous une couverture de blocs de pierre (rien de nouveau sous le soleil, dans les années 1970, ça fauchait déjà). L’idée était de le récupérer au retour de la course, et de l’acheminer vers la vallée afin de le confier à la gendarmerie.
Le déroulement de notre ascension (la voie Cassin) fit que nous ne fûmes finalement pas en mesure de donner suite à nos bonnes intentions.
Les années s’écoulèrent, et nous oubliâmes l’affaire.
Jusqu’au jour où, dans un refuge, alors que mon compagnon de cordée de l’époque évoquait avec des amis de rencontre la face nord du Badile, ceux-ci, des Anglais, lui dirent :
« Lorsque nous avons gravi cette face, il nous est arrivé un truc bizarre. Nous avions été freinés par des conditions difficiles, et, épuisés, au lieu de descendre, comme initialement prévu, par l’arête nord, afin de rejoindre notre dépôt de matériel, nous avions piqué sur l’Italie, par la voie du versant sud. Quatre jours plus tard, de retour au pied de la face nord, nous avions longuement cherché le matériel que nous y avions déposé. Ce n’est qu’après plusieurs heures d’exploration que nous l’avions enfin trouvé, enseveli sous une montagne de roches ! »
« C’est surprenant cette histoire, » avait bafouillé mon collègue, en se grouillant de changer de sujet de conversation.
[%sig%]