Posté en tant qu’invité par Francois:
Heureusement que j’avais pas tout mis hier. J’en avais gardé un peu sous le coude. Une poire pour la soif, en quelque sorte. Ce petit rab me permets aujourd’hui de satisfaire (hum !) mes nombreux admirateurs et surtout trices. Voilà. Bon.
Ainsi, hier au soir, au lieu d’avoir sous le nez un œil glauque qui me fixe d’un regard rectangulaire, j’ai pu faire autre chose. Ouf !
Pasque quand je vois ce regard vide qui me dit faut remplir tout ça avec des lettres et des mots, ça me donne des aigreurs d’estomac.
Allez, j’arrête mes jérémiades…
(Et faudra que je vous esplique un jour pourquoi j’écris tout ça. C’est assez simple…)
Je regardai la tête du meussieu. La tête du meussieu ne semblait pas follement enthousiaste.
- Ca va péter, qu’elle me dit, tout à trac.
- C’est sûr, que je lui répondis du tac au trac, et dans pas longtemps.
- J’ai le trac, qu’elle insista, la tête.
- Et moi, j’ai la tr… euh…moi aussi, je lui répondis-je.
Le meussieu pensait dans sa tête à des choses très désagréables, comme qui dirait éminemment désagréables. Et je voyais à mesure ses réflexions éminentes s’afficher sur son visage. En quelque sorte, je lisais en lui comme dans un livre. J’aurais pu mettre « comme dans un livre ouvert », mais c’eût été stupide : que diable voudriez vous lire dans un livre fermé ? Les gens feraient bien de réfléchir avant d’écrire n’importe quoi.
- Je n’ai pas très envie de continuer, litotat le meussieu en assurant son petit camarade à l’épaule car en ce temps là, on assurait tà l’épaule. Le huit n’était point encore passé dans les us, mœurs et coutumes et n’existait qu’à titre de curiosité exotique et expérimentale dans le catalogue du Vieucampeur, lequel était beaucoup moins chatoyant et fourni que l’œuvre d’art en multiples exemplaires qu’on nous propose ce jour d’hui.
Il n’avait pas fini d’exprimer sa pensée, ce qu’il fit d’un aphorisme catégorique et définitif : - On va prendre une sacrée branlée…
De fait, les nuages d’orages accouraient à toutes jambes et l’air sentait l’eau, le gaz et l’électricité, voire le soufre et la poudre à canon.
- Faudrait voir à se carapater…et au galop…
Martine grimpait toujours derrière l’éperon, la corde défilait régulièrement et exceptionnellement, il n’y avait pas de sac de nœuds à démêler. Les cordes d’alors n’étaient pas celle de maintenant et ces fâcheuses faisaient volontiers des nœuds…mais zalors des nœuds…que parfois on était obligé de se décorder et de tout balancer par-dessus bord pour détortiller. Mais heureusement, nous ne dûmes pas, ce jour là, en venir à ces regrettables extrémités.
Le copain du meussieu est arrivé au relais, casqué, matérialisé, le regard chaussé de lunettes noires, regard de sphynx énigmatique… Les lunettes noires inspiraient un profond respect, encore plus profond que le casque, voyez-vous. Déjà à l’époque que je parle, mais aujourd’hui c’est pareil. Allez savoir pourquoi… Sans doute les lunettes noires donnent-elles le regard vide et sans expression du professionnel sans état d’âme qui en a vu d’autres et à qui on ne la fait pas. Mais comment en voir d’autres avec un regard vide, je vous le demande ?
Alors il (le copain) s’est mousquetonné, clac ! Enfin, quand je dis clac ! c’est façon de causer. On était trois sur le relais avec des tas de mousquetons mousquetonnés partout empilés bien serrés les uns dans les autres sur un piton rouillé. Il fallut procéder à quelques aménagements.
Nous procédâmes.
Nous constatâmes encore une fois que force et que rage font parfois plus que patience et longueur de temps.
A cette occasion, nous dîmes des mots grossiers. Il est à remarquer qu’en beaucoup de cas, les mots grossiers facilitent énormément les choses, énormément. C’est stupéfiant. Je suis stupéfait. Il en faut avoir une bonne collection à sa disposition, des mots grossiers. Quand j’étais petit, mon papa m’interdisait formellement de dire des mots grossiers, sinon, je recevais une baffe. Alors j’en accumulais clandestinement. En cachette, quoi. Finalement, je regrette pas, c’est utile.
Car le relais se faisait sur un piton rouillé.
Et encore, bien heureux qu’il y eût un piton rouillé et non pas, comme souvent, un vague becquet rondouillard qu’on ne savait trop comment ficeler. Je vous rappelle que ce que je vous cause là, c’est le temps jadis, ousqu’on combattait au corps à corps, ousque la perceuse n’avait pas éloigné les adversaires. Les relais maintenant, c’est vrai que c’est plus mieux. Non seulement plus mieux, mais normalisé, c’est dire. On a même le droit de gueuler après l’équipeur si c’est pas comilfaut. En ces temps jadis, où on grimpait en grosses avec sac, guêtres et même piolet, oui ! piolet ! vous avez bien lu, au Peigne et ailleurs où on grimpe maintenant en basquettes-ticheurte, la distance entre les relais était imposée -le croiriez-vous ?- non par la longueur de la corde et l’état de charge de la batterie, mais par la disposition des lieux. Parfois une longueur, mais aussi une demi-longueur ou un quart de longueur, ce qui impliquait de brasser des kilomètres de corde, ou encore un peu plus d’une longueur, ce qui était nettement moins confortable, on l’a vu plus haut.
Donc, piton rouillé.
J’avais une aveugle confiance dans les pitons rouillés en vertu du raisonnement suivant : s’ils sont rouillés, c’est qu’ils sont là depuis longtemps. Ils ont donc subi moult intempéries et mauvais traitements inhérents à la fureur du dieu Pan. Et si malgré l’ire des dieux, et ces moult intempéries et mauvais traitements, ils sont toujours là, c’est qu’ils sont solides.
Certains esprits chagrins m’ont fait remarquer que ce raisonnement était spécieux (parfaitement, spécieux, c’est le mot qu’ils ont dit), qu’il fallait, au contraire, montrer de la défiance envers les pitons rouillés, bref, façon entortillée de me faire remarquer poliment que j’étais un con.
Mais je n’ai jamais eu d’histoire avec les pitons rouillés ; l’estime semble réciproque. La violente amour que j’éprouve envers les pitons rouillés date de cette époque et le passage des temps et des ages n’a pas affaibli cette passion immodérée.
Bien. Cette question des pitons rouillés étant réglée, revenons à Martine. Martine qui grimpait toujours, invisible par là bas derrière, et que j’assurais vaguement, laissant nonchalamment filer la corde car j’avais en tête d’autres soucis.
Je voulais m’en aller.