Posté en tant qu’invité par l’Urbain:
Ça faisait des mois que je tannais tous mes amis pour une sortie.
J’étais devenu très laxiste en terme de choix du second de cordée. J’aurais amené un paralytique s’il me l’avait demandé.
Parmis mes victimes potentielles, il y avait l’habituel Yvan, à qui j’avais proposé le pilier Tobey. Une voie rééquipée, ça le changera des vieux pitons et des problèmes d’itinéraire.
Il y avait aussi le dépressif Patrice, et l’hypocondriaque Sylvain, auxquels je destinais les trois pucelles. Soleil, petits sapins, courtes longueurs agrémentées de marche, la grand air et vue sur la ville, demandez le programme.
Et puis voilà qu’ils s’étaient tous décidés en même temps : ce serait Samedi ou jamais.
Samedi, 6h30.
Je tambourine sur la porte. Yvan se réveille. Nu sous son sari. Mmmm, il est quelle heure ? Tu veux un café ? (c’était avant qu’il n’arrête de fumer, ou après, je me rappelle plus).
Pendant qu’il se prépare, je feuillette le topo.
Dans la voiture, je feuillette le topo.
Devant les premiers points, au départ de la vire, je regarde le topo.
C’est bon, je suis prêt à suivre les spits.
Pour ce coup ci, Yvan est mûr pour le reversible. Tout se passe bien. Bon horaire. Une petite frayeur pour Yvan dans sa première longueur en tête, le temps de se réveiller, mais rien de plus. A 13h30, nous sommes attablés à la terrasse d’une pizzéria, quai Perrière.
Quelques libations plus tard, c’est repartis avec Sylvain et Patrice.
Il a été convenu qu’Yvan irait d’abord dormir, puis qu’il nous rejoindrait si le coeur lui en disait.
La grande pucelle, c’est l’affaire d’une heure en aller-retour. Même avec des débutants. Oui, même avec Sylvain et Patrice. J’y ai emmené la moitié de mes connaissances. Comme une façon de donner de mes nouvelles :
« Alors, qu’est-ce que tu deviens ? »
« Bin, je fais toujours de l’alpinisme. »
« Du lapinisme ? Kess kecé kse truc ? »
« Viens, on va aux trois pucelles, je vais te montrer. »
Justement, j’en ai un peu marre, de la grande pucelle, et si j’y emmène ces deux innocents, c’est parce que j’ai une idée derrière la tête : poursuivre jusqu’à la dent Gérard.
La dent Gérard, drôle de nom pour une pucelle. On se demande un peu ce que vient foutre la dent de Gérard au milieu de ces jeunes vierges effarouchées.
Quelle parfaite course d’initiation : on marche, mais pas trop, et quand le novice demande « c’est loin ? » pour la première fois, et qu’on lui répond « 5 minutes », on est de bonne foi. A la première petite arête, on peut s’encorder, ou pas, ce qui permet de tester le moral du petit chou. Ensuite, c’est le petit rappel, tout mignon, qui vous dépose sur une charmante brêche. Enfin, un petit pas de bloc au desus du vide de 10m. C’est de l’impressionnant miniaturisé. Patrice oublie ses peines, et Sylvain se trouve courageux.
Ho, le joli petit sommet ! Et la belle vue plongeante sur Gregre. Chacun cherche son HLM, dans le gros tas de ferraille et de béton à peine masqué par le nuage de pollution.
Après le rappel en versant Est, le moral est toujours au beau fixe, mais le soleil décline. « On » me demande s’il ne serait pas temps de rentrer, mais je m’obstine : la dent Gérard n’est pas loin, et vue d’ici c’est alléchant : une brêche en lame de couteau, un raide et beau rocher jaune, puis des dalles grises sur la droite… Miam… Plus qu’à trouver le chemin d’accès. Dans ce fouillis de vires, de sapins et de blocs, ça ne me semble pas si évident.
A califourchon sur un bloc, j’installe un mini rappel pour gagner la brêche, quand la silhouette d’Yvan se découpe sur l’arête de départ. Il est trop tard pour aller le chercher, il va pouvoir continuer sa sieste tout en nous suveillant du coin de l’oeil.
Le rocher jaune est dégueulasse. Je casse une prise juste avant de mousquetonner le deuxième spit. Pas de chute mais c’est pas passé loin. Très pédagogique : Sylvain et Patrice feront très gaffe quand ce sera leur tour. La suite est en meilleur rocher, mais ça traverse pas mal à droite, ce qui ne va pas nous faciliter la tâche à la descente.
Patrice et Sylvain ratent le coucher de soleil. Va pas falloir trainer.
En effet, le rappel est tendu. Si je me loupe, je vais rater la brêche. Une fois arrivé, je ne lâche surtout pas la corde, qui va me permettre de remettre mes compagnons dans le droit chemin, enfin, plutôt le chemin diagonal. Petite perte de temps. Tout sombre. Grenoble est noyé dans la pénombre. Quelle idée, aussi, de faire une ville au fond d’un trou.
Quand je fais la longueur qui remonte sur la grande pucelle, il faut bien regarder pour voir les prises.
Quand mes accolytes font la longueur qui remonte sur la grande pucelle, il faut bien regarder pour voir ses mains.
Retrouvailles avec Yvan. C’était bien ? Super. Bon, on y va ?
La nuit nous tombe dessus dès les premiers sapins. Nuit sans lune. Evidemment, personne n’a de lampe, mais on a trois briquets.
Vous savez comme la nuit peut être noire, sous les sapins ? Le vide, le néant, rien. Même nombreux, on est seul. Et encore, on est même plus sûr d’être : on ne se voit plus. Toutes les cinq minutes, on fait l’appel, pour être sûr de n’avoir perdu personne. Les discussions sont monotones : poc, hé ho, gaffe, y’a une racine là, paf, et là, attention, une marche. De temps à autres, nous perdons le chemin. Yvan, t’es sur le chemin, là ? Sylvain, non plus ? Patrice, fais demi tour, doit y avoir le chemin derrière toi.
On ne croit plus aux loups-garrous depuis longtemps, mais y’a des fois, on se demande. Houla, c’était quoi ce bruit ?
Je me souviens, une fois, on traversait une forêt, la nuit, avec une copine. On était silencieux. C’était sa première fois. A un moment, j’ai fait du bruit avec la bouteille d’eau. Elle a fait un bond de deux mètres en hurlant.
Ce soir, ça va un peu mieux, parce qu’on est des hommes.
Et qu’on est quatre.
Qui z’y viennent, les loups-garrous.
On retrouve enfin la voiture. Minuit et demi. Deux heure pour descendre ce qui se monte en 45 mn maximum.
Au final, tout le monde est content d’avoir participé, mais essaiera de faire mieux la prochaine fois.
Il y a même quelques notions de bases qui rentrent. Comme par exemple, l’importance de respecter un horaire. Ou encore, être prêt à l’heure dite.
Comment ? Savoir renoncer à temps ? Mais non, ça sert à rien…
[%sig%]