Posté en tant qu’invité par Francois:
Ca fait un bout de temps que je n’ai pas posté un petit texte, histoire d’amuser les classes laborieuses et de divertir la galerie.
Hier soir, à 23h30, j’ai terminé d’en ficeler un. 23h30! faut-il que je vous aime…
Je vous le livre tout chaud. Quelle chance vous avez, bande de classes laborieuse!
Ceux qui ne m’aiment pas ne sont pas obligés de lire.
Enfin, la pluie avait cessé de tambouriner sur le toit en tôle du chalet. Depuis trois jours, la pluie tambourinait et tambourinait sur le toit en tôle du chalet, le matin, à midi, le soir, la nuit la pluie tambourinait sur le toit de tôle du chalet…derrière les vitres, pensivement, nous regardions mélancoliquement tomber la pluie. Depuis trois longs jours, les montagnes, en face, avaient disparu dans les nuages, chaudrons de sorcières agités de tourbillons diaboliques.
Puis ce matin, le soleil est revenu, timidement, derrière la crête de la Tête d’Aval, puis plus franchement et sous la chaleur des rayons, le toit de tôle se mit à craquer. La terre évacuait son trop-plein d’humidité en volutes légères qui rampaient le long des pentes, se cachaient dans les mélèzes puis renaissaient plus haut, vers la crête où elles disparaissaient dans un ciel céruléen. Au fond de la vallée, Jocelme, Bonvoisin resplendissaient sous une poudrée de neige, le Pelvoux brillait de mille cristaux…Sous le soleil revenu, la montagne vous avait un de ces pimpants petits airs de fête !..
Ces quelques jours d’inactivité nous avaient un peu frustré, d’autant que la saison venait de s’ouvrir.
Sur la terrasse, les yeux vissés aux jumelles, la barbe en bataille, mon petit frère observait attentivement le lieu supposé de nos futurs exploits.
- Alors, qu’en penses-tu ?
- Sais pas…peut-être pas aujourd’hui, mais sait-on jamais ?.. En tout cas, demain, c’est sûr !
- Oui, c’est aussi mon avis. C’est encore trop humide aujourd’hui.
Jusqu’à six heures du soir, à tour de rôle, nous avons observé. Puis l’ombre est arrivée, s’est étendue largement, l’air a fraîchi. Plus la peine d’insister, pour aujourd’hui c’est fichu, les conditions n’y sont plus. Petit frère a soigneusement rangé les jumelles dans leur étui de cuir noir doublé de molleton rouge, pensez ! des jumelles 12x50, faut en prendre soin, puis les a posées sur le bahut, sous la tapisserie de l’Oeil. Un dernier coup d’œil depuis le pas de la porte car un souffle frais s’est levé, couchant la cime des arbres. Nous rentrons pour le rituel quotidien. C’est l’heure. On ne plaisante pas avec le rituel quotidien.
- Comme d’hab ?
- Comme d’hab…
Petit frère verse la crème de cassis L’Héritier-Guyot Dijon (depuis 1845) 16%vol. dans le fond du verre (verre à moutarde de récup, je précise, à moutarde de Dijon naturellement).
- Un Alligoté ? J’en avais marre du Sylvaner. J’ai pris un Alligoté.
- Bonne idée ! il est frais ?
- S’il est frais ? regarde cette buée !..en plus, je l’ai ouvert il y a deux heures. Il a eu le temps de s’aérer…
Petit frère verse rasade, et par une alchimie quasiment miraculeuse, nous voici face à un petit Kir de derrière les fagots, d’une jolie couleur rubis, propre à délier nos facultés intellectuelles. Tapenade, pain grillé, petits légumes confident du vinaigre…tout y est.
- Pour demain, je pense que c’est bon…
- Tu as pris la météo ?
- La météo, la météo…on verra bien demain matin. Il n’y en a pas pour longtemps. Le matériel est prêt, il n’y a plus qu’à charger. Demain, on montera tout ça…Passe-moi la tapenade.
Deuxième Kir. Vautré dans un fauteuil, petit frère s’abstrait dans des pensées, le regard au loin. Face à la tapisserie de l’Oeil, il regarde l’œil qui le regarde le regarder etc…Moi, j’examine la poutre au dessus du foyer de la cheminée…il y a une fissure dans la poutre…je n’avais jamais remarqué…sur la poutre, une poupée en paille provenance Cuba, quelques dessins de ma petite nièce, une photo où elle fait le pitre, deux trois pots avec des trucs dedans, des cartes postales (San Francisco, Irlande, Mauritius), une autre photo mais de chamois, un petit truc en terre cuite ousqu’on met du parfum dedans pour que ça sente bon, une paire de couverts à salade en bois d’ébène sculpté rapportés du Burkina ou de Côte d’Ivoire si ça se trouve c’est la même chose, enfin un de ces indécis pays d’Afrique qui change de nom tous les cinq ans et de président toutes les cinq semaines et où on choppe une balle perdue ou une maladie bizarre à chaque coin de rue, quoi encore ? ah oui, un petit machin fabriqué avec des bouchons et du fil de fer qu’on peut faire tourner sur la pointe d’un ongle ou sur le bord d’un verre. Paraîtrait que ce serait moi que j’aurais fabriqué ce bidule quand j’étais gamin…me souviens pas…faut dire que ça fait longtemps…ben ouais…
Bon, je croque dans la tapenade et je dis à petit frère qu’il serait malin d’être sur place les premiers, demain matin, avant que les autres n’en profitent.
- Pasque l’an dernier, si tu te souviens bien, on s’est fait avoir vu que il y avait deux types avant nous qui nous ont raflé la place.
- Ah ouais, bonne idée ! t’es intelligent toi, qu’il me dit en souriant le nez dans son Kir.
- Ben, que je lui rétorque, je n’ai jamais lu que la tapenade ou le Kir empêchait d’avoir des pensées grandioses. T’as lu ça quelque part, toi ?
Non, il avait pas.
Dans la vraie vie, si on veut produire des pensées intellectuelles intelligentes et élevées, il n’y a pas trente six solutions. Il faut avoir l’estomac bien calé. Le coup du poète maudit, le visage creusé par la faim, c’est de la littérature, c’est du bidon, c’est pour émouvoir le bourgeois. Quand on a le visage creusé par la faim, on ne pense pas à des choses intellectuelles élevées, on pense qu’on a faim. Ainsi au bivouac, quand le froid commence à ramper insidieusement dans le duvet, on ne songe pas aux étoiles scintillantes dans la pureté du ciel nocturne, ça c’est des histoires que racontent les hypocrites dans la littérature alpine, on pense qu’on a froid aux pieds et que, merde alors ! on a été bien con de ne pas dormir au refuge. Et tout ça pour quoi ? Pour passer une nuit « romantique » avec sa copine.
Romantique mon cul.
Elle se caille encore plus que toi. Je sens que demain matin, tu vas en entendre, du romantique. D’ailleurs, elle, elle voulait dormir au refuge.
Bref, que tout ceci ne fasse pas oublier, morbleu ! qu’il est l’heure.
L’heure de quoi ?..
L’heure de manger, justement.
Le manger se présente sous la forme d’un poulet dodu, doré, croustillant, cuit à point, luisant d’un jus odorant, tendre et moelleux comme un cœur de jeune fille, farci du bec au croupion d’herbes de Provence imprégnant sa chaire fondante d’un fumet incomparable…j’en bave rien que de le raconter. Quand je pense à mes copains, ces abrutis, qui vont se taper pour la deuxième journée consécutive les nouilles et les côtes de porc trop cuites du refuge des Ecrins…je me marre !
PF (pour me faciliter l’existence, je vais utiliser ce sigle de PF pour désigner mon Petit Frère, d’ailleurs, son prénom véritable ne vous dirait rien) PF donc, ouvre son Opinel et le plante sans pitié dans le ventre de la bête. Cloué sur la planche à découper, ce volatile bien élevé (au grain) n’émet pas une plainte. Crac ! les pattes et les cuisses atterrissent dans nos assiettes respectives , bruit de mandibules, onomatopées flatteuses sur la qualité du produit, un petit verre de Savagnin pour agrémenter…
Tiens, au fait ! à propos de l’Arbois, on a fait une curieuse expérience. On se demandait l’autre jour, si tel verre pour tel vin ça n’était pas un peu chichiteux, sans aller jusqu’à boire du Champagne dans un gobelet plastique, naturellement…aussi, on a décidé l’autre soir de prendre le verre par les cornes. L’expérience, menée en double aveugle, a donné le résultat suivant : l’Arbois développe tout son arome non dans le verre ballon, ni dans le verre à dégustation classique, mais dans le verre à moutarde. Véridique ! on n’en revenait pas…vérifiez vous-même.
Pour les autres, je ne sais pas, on n’a expérimenté que l’Arbois, mais si le cœur vous en dit, c’est une expérience facilement reproductible qui ne nécessite qu’un matériel réduit et donc peu de crédits.
Le lendemain matin, la pique du jour nous voit casqués, bottés, armés de guerre au pied du tas de matériel que nous avions monté sur la terrasse.
- Ca fait beaucoup…on prend la totale ou on allège ? me demande PF.
- Pour une ouverture ? faut du matos, on n’allège pas, on prend le gros. On ne tue pas un sanglier avec de la chevrotine.
- Tu as raison, dit PF en refermant la boîte de cartouches.
Il glisse une balle dans la culasse. Je visse la lunette sur le canon et je cale le fusil sur la balustrade de la terrasse. Parfait, c’est bientôt l’heure. On ne bouge plus.
Vers dix heures, dix heures et demie, ils prennent leur envol derrière la grosse bosse, font trois petits tours et disparaissent en bas, cachés par les arbres. Il faut les déquiller pendant les trois petits tours. Pas facile.
Attention !..les voilà !
Réglés comme du papier à musique !
Un, deux, trois, quatre…on va bien en avoir un, sur le tas !
Je vise soigneusement, je l’ai bien dans le centre du viseur, je ne bouge plus…pan ! pan !
- Raté… à toi…
- Passe-moi le fusil.
Pf prend le fusil, modifie un peu le réglage du viseur, puis ne bouge plus…on dirait qu’il va pondre. Pan ! pan !
- Raté aussi…zut !
Il y a encore quelques envols, quelques tirs mais le cœur n’y est plus. A midi, fini, plus rien.
Et voilà, cette année encore, nous avons fait chou blanc.
Ils se méfient, ils se méfient…
Ils se méfient de plus en plus, ces foutus parapentistes.
[%sig%]