Posté en tant qu’invité par l’Urbain:
Amis de la littérature alpine, passez votre chemin.
Dans ce récit édifiant, il ne sera nullement question de montagne.
Ceci dit, je me permet tout de même de poster ce méchant petit texte, car je suis en mesure de vous faire quelques révélations concernant certains personnages fréquentant régulièrement ce site.
Bien sûr, aucun nom propre ne sera prononcé. La délation, c’est pas mon genre. Ainsi, seuls les habitués de c2c comprendront qu’il s’agit de Francois.
Trois, deux, un, Feu !
En ces jours sombre de Février 20…, ou nulle grande entreprise montagnarde n’était plus possible, j’avais invité le Maître à dîner.
Pour le faire venir, il m’avait fallut vanter les qualité culinaires de ma douce pendant des heures, l’assurer qu’il y avait des fauteuils confortables, et lui promettre que le vin serait à la hauteur.
Quand mon amie lut la facture, alors que je rentrait du Leader Price le plus proche, elle blêmit.
« Dis donc, c’est qui ce gars, un pape ? »
« T’inquiêtes pas, ma chérie. Quand il aura gagné le Goncourt, on se rappellera à son bon souvenir. Ce repas, c’est un investissement. Mets ta plus belle robe et file à la cuisine, je m’occupe du ménage ».
Le ménage… Ça faisait bien longtemps que je ne l’avais pas fait. Par où commencer ? Les 30 kilos de vaisselle ? Le salon poussiéreux ? Les vécés douteux ? Bon, la chambre, on s’en fout, on la fermera à clef, les slips et les sous-tifs qui trainent un peu partout, il le saura jamais.
Grâce au ciel, je suis un peu le Zidane du balais, le Prost du plumeau et le Chevènement de la poussière. En un mot : j’ai fait mon SM (service militaire, bande d’obsédés). Tiens, non, ça fait 6 mots. 5 si on ne compte pas le ji apostrophe, et 7 si on dit que l’apostrophe est un mot.
Bref, n’écoutant que mon courage, je m’attelais à la tâche, voire aux tâches, si on compte celles de ketchup sur le canapé.
A 18h53, l’affaire était ficelée. Il me restait tout juste le temps de me laver, me coiffer, me brosser les dents, vider les cendriers, repasser ma chemises spécial-mariage, me mettre un peu de vodka-orange dans le coup (l’eau de cologne du pauvre), cacher ma fille dans un placard avec un baillon sur la bouche (le Maître avait dit « s’il y a des enfants, je ne viens pas »), et, last but not least, disposer le joli pot de fleur en plastique sur le naperon de notre table Ikéa. Pour faire plus négligeant, j’arrachais un cheveux de ma douce et le posais bien en évidence sur un fauteuil. S’agirait pas qu’il se doute qu’on a fait des efforts.
19h31, il ne devrait plus tarder. Pour faire plus détendu, je me mis au balcon, et m’allumais un cigarette.
Ouais, si, en arrivant, il me vois, fumant d’un air détaché sur mon balcon, ça va me donner un air poête, voire philosophe. C’est bon, ça, coco.
12 cigarettes plus tard, toussant et crachant, je décidais que, finalement, s’il ne me voyait pas sur mon balcon avec mon clope, ça ferait pas mal non plus.
Les stars, c’est comme ça : ça arrive toujours en retard, ça se fait désirer. Je le saurais, la prochaine fois (on a l’intention d’inviter Loana à bouffer. Il nous manque encore quelques sous pour la piscine. Elle a dit « s’il n’y a pas de piscine, je ne viens pas »).
Enfin, aux alentours de 21h15, la limousine blanche immaculée se gara péniblement dans la rue, juste en bas.
Le Maître, après s’être fait ouvrir la portière par son élégant chauffeur, en descendit d’un bond. L’alpinisme, quand même, ça conserve.
« Salut, gamin ! C’est dans ce taudis que tu vis ? » me dit-il tandis que je m’effaçais pour le laisser passer.
« Mmmaître… je vous imaginais plus grand… » balbutiais-je en retour.
« Beurk, y’a un poil de c… sur ton tabouret. Faudrait voir à nettoyer un peu si tu veux que je revienne… »
« Pourriez-vous avoir l’obligeance d’apposez votre noble signature au bas de cette photo ? C’est pour ma grand-mère, elle vous adore. »
« Bon, c’est pas tout ça, mais qu’est-ce qu’on mange ? Tu ne crois tout de même pas que je me suis déplacé juste pour tes beaux yeux ? »
« Attendez… que je vous aide à ôter votre veston… C’est du vison ? »
La glace était rompue.
Deux heures plus tard, nous avions finis l’apéritif et les entrées.
Le maître, encore en forme malgré l’ingestion expresse de trois verres d’élixir de chartreuse, deux de bourbon, cinq coquilles saint Jacques et onze bouchées à la reine, glosait à n’en plus finir sur les différentes façons de reconnaître un vrai polo Lacoste d’un faux made-in-Taïwan.
Il me semblait qu’il était temps de revenir à nos montagnes.
« Votre Altesse, pourriez-vous nous régaler d’un de vos fameux récits alpinistiques, en exclusivité ? »
« Burp » glissa-t’il en se reservant pour la troisième fois une demi-douzaine d’ortolans. « Bein tu vois, gamin, la dernière fois, avec bobonne, on a pris le téléphérique de l’aiguille du midi. »
« Ha ? Et qu’advînt-il, Majesté ? »
« P’tain, c’est beau, ça déchirait pas mal. Niveau décors, ça vaut bien Ibiza. »
« Certes, certes… Et, si je puis me permettre, oserais-je vous demander de me donner quelques conseils pour mes modestes écrits, Monseigneur ? »
« Tu vois, l’Urbain, je ne voulais pas te le dire… après tout, ton foi gras est pas dégueu… mais puisque tu me le demandes… »
« Foin d’hésitation, Votre Altesse Sérénissime, allez droit au but, je bois vos paroles. »
« Bon. Je n’irais pas par 4 chemins. Tu nous emmerdes avec tes histoires de montagnes. »
« Maimaimais… le forum n’est-il pas dédié à la montagne ? »
« La montagne… Tout de suite les grands mots… Et puis, gamin, ne t’avises jamais de me couper la parole, eût-égard à mon grand âge. N’oublies pas que je pourrais être ton arrière-arrière grand-père ! »
« Veuillez accepter mes plus plates excuses, Votre Seigneurerie. Je ne recommencerais pas. »
« J’espère bien, petit merdeux. Passons pour cette fois. Et puis, ton St Emilion est correct. »
Le maître pris alors une grande inspiration, se servit une louche de caviard, et, dans un silence religieux, me fit la révélation suivante :
« Tu vois, l’Urbain, le problème, avec les gosses de ton espèce, c’est qu’ils prennent tout au premier degré. Lorsque tu lis « camptocamp, un site dédié à la montagne », bein, tu gobes tout sans te poser de questions. En fait, il n’en est rien. Sais-tu qu’en fait, la plupart des intervenants n’ont jamais foutu les pieds plus loin que le bar La cordée à Chamonix ? Tiens, par exemple, ZX3R, c’est une institutrice à la retraite. Michel Deval ? Un jeune pompier de Mantes-la-jolie. KevinC ? Un simple rugbyman passionné de philatélie. En fait, l’Urbain, y’a plus que toi pour t’emmerder à marcher des heures sur des sentiers à peine balisés. »
Le maître pris sa respiration, avala rapidement cinq huîtres, et repris :
« Alors, puisque tu me demandes le secret de mon étonnante notoriété, je te le dis sans fards : Les disgressions. Répètes après moi, l’Urbain : DIS-GRE-SSIONS ! »
« Disgression… » bredouillais-je.
« C’est bien, l’Urbain, on pourra éventuellement faire quelque chose de toi. Bon. Alors, tu barbouilles deux-trois trucs insipides, avec quelques mots clefs comme « Pic vertigineux » ou « Abymes insondables », et là, ni vu ni connu, tu trouves une transition. Par exemple : « insondable ? Tiens, ça me rappelles ma tante Hortense, à qui on a dû poser une sonde urinaire… Ses tartes à la framboises étaient célèbes dans toute la région » ou un truc comme ça. Et après ça… TOC ! Tu tartines quatre pages sur les tartes à la framboise. C’est pas plus compliqué que ça. Le populo, les histoires de montagne, il s’en tape le coquillard. Par contre, les tartes à la framboise, il connait, ça lui parle. Tu verras, ça marche à tous les coups. Après ça, t’auras des tonnes de messages élogieux : « Monsieurs, vos récits alpestres sont criants de vérité… blabla… ». Ha ! Autre chose : n’oublies pas de placer quelques mots incompréhensibles. Comme « explétif », « quebracho » ou « méatoscopie ». L’important, c’est que le lecteur se déplace jusqu’à son dictionnaire. Comme ça, il a l’impression de s’instruire, et te trouve intelligent et cultivé. »
J’en restais bouche-bée. Et dire que je faisais fausse route !
Mes récits étaient, en quelque sorte, explétifs.
Assis sur mon tabouret en quebracho, je restais songeur.
Enfin, on peut dire que j’ai bien retenu la leçon.
Dont acte.
Bon, je vous laisse, c’est l’heure de ma méatoscopie.