La mort devant soi

Ayant vécu cette fin Août, un drame en skis dans une face Nord des alpes, ou j’ai assisté impuissant,à la mort d’un de mes compagnons du jour, j’appréhende beaucoup cette saison, car j’ai peur d’avoir peur …le vide m’y fait repenser à chaque fois, même seulement la neige,mon esprit n’est pas sain . Alors j’aimerais savoir de par vos témoignages, comment vous avez vécu cela et comment vous avez pu en faire abstraction par la suite ?
Merci et bonne saison à tous .

Bye
Lolo

J’ai pas vécu ça, mais la peur du vide, j’ai connu pour avoir moi-même fait une chute libre assez grave.
La seule solution, c’est d’en bouffer, même si tu as peur, et avec le temps, ça passera.
Moi quand j’ai repris la montagne et l’escalade, j’avais l’impression d’être attirée par le vide dès que je m’approchai du bord d’un à pic, je rêvais de chutes toutes les nuits.
J’allais quand même en paroi, mais sans plaisir avant d’y aller, je me forçais, par contre après j’étais super contente d’y être allée.
Aujourd’hui, je n’ai quasiment plus aucune appréhension du vide, presque pas assez, car à l’époque cette peur m’avait rendu maniaque de la sécu, je le suis un peu moins tellement j’ai pris l’habitude de cotoyer le vide.
Moi, je te conseille d’y retourner même si c’est dur, car sinon, tu risques de garder la phobie du vide à vie.

En 2003, été aux mauvaises conditions, sur un glacier facile bien crevassé, j’ai été témoin d’une chute en crevasse de personnes très proches. La mort a rodé mais n’a rien emporté, nous avons pu réagir à temps en s’improvisant secouristes, le temps que le vrais secouristes arrivent. La brutalité de l’évènement, la parenté et l’attachement viscérale aux personnes accidentées dont on a craint pour la vie, hé bien ça laisse un choc, disons 3heures d’angoisse très forte lors de l’évènement lui-même, puis faut du temps pour décanter le truc.

Comment faire pour opérer son « retour à la montagne » si on le souhaite vraiment?
ben ça dépend des gens

là pour le cas de cet accident, la chute de deux personnes en crevasse s’est faite par manque d’expérience du terrain, manque de vigilance, par un encordement pas assez long (à peine 2m!!) alors que çe jour-là l’autre cordée dont je faisais partie avait respecté les règles et n’avait pas eu de problème, sur terrain comparable.
Malgré cela, afin de pouvoir appeler les secours car le portable passait pas, un d’entre nous a du prendre le risque de franchir une partie du glacier, heureusement vite découverte(glace) du glacier, tout seul . En second ressort moi aussi après j’ai pris ce risque de manière plus contestable…Ce sont des choix dont on peut toujours discuter après, s’en vouloir ou non, on les a fait, c’est fait c’est fait, voilà…ce qui compte c’est que tout soit bien terminé. Et dans l’avenir on envisage les choses autrement.
Conséquence : je sais pourquoi l’accident s’est produit car à la base tout n’avait pas été fait pour descendre dans des conditions de sécurité acceptable, c’est à dire pour palier à un incident, type un pont qui lache.

Les causes sont entendues, les conséquences comprises, les solutions à apporter sont intégrée, donc pour mon cas, il n’y a pas eu de fatalité, voilà ma manière de surmonter le « choc ». Et pour notre cas heureux, puisqu’il n’y a pas eu de morts, c’est un avertissement. Quand il y a un drame c’est pas pareil, c’est évident. Je ne sais pas si j’aurai continué, aucune idée…

Evidemment quand je marche sur un glacier dans des conditions similaires, c’est à dire après transformation de la neige avec des ponts douteux de partout, hé bien je n’aime pas cela, je me rappelle imédiatement l’accident, je suis ultra-vigilant et je mets la pression pour que tout soit bien respecté. De manière générale, j’essaie d’éviter dans mes choix de courses d’être confronté à ce genre de situation et de conditions.

N’empêche que cette saison-là, 2003, je me suis arrêté pour l’alpi au jour du 20 juillet… . Provisoirement, bien sur. Mais j’ai mis un trait pour que le temps fasse son travail et remettent les choses au clair. Solution : j’ai diversifié! J’ai fait de la rando, du VTT, un peu de canyon facile, de l’escalade en couenne etc…le temps qu’en alpi, les choses décantent. Je ne dis pas qu’on oublie, on oublie jamais, surtout quand ça s’est mal terminé :confused:

D’ailleurs on ne me redemandera de remonter ce glacier quand bien même il est tout bouché, je viens pas en montagne pour me faire mal à l’esprit.

D’un autre côté, c’est soit on arrête parce que le malaise est trop grand, soit on continue quand même et dans ce cas, hé bien, il faut tirer la leçon de ce qui s’est passé, c’est à dire que, même si c’est, ou bien ça aurait pu être, tragique, il faut en tirer quelque chose de positif. De toute façon ça ne change à ce qui s’est passé… L’ami qui est décédé, faut penser à lui, le proche qui a failli y rester, faut penser à lui et donc par considération, il faut que cet évènement fasse changer les choses, qu’on fasse renaître le phoenix de ses cendres d’une manière ou d’une autre…
En tout cas, en cas de malaise, de peur convulsive, je crois qu’il vaut mieux pas forcer, la montagne est un loisir, pas un martyrologue. Faut reprendre progressivement si le besoin est formulé, sans forcer et laisser le temps faire la part des choses.

Posté en tant qu’invité par AM:

J’en avais dit un mot, ici.
http://escalade.camptocamp.com/forums/read.php?f=27&i=96562&t=96562#reply_96562

Avec ma moitié (alias chéri-chéri dans C2C), nous avons connu cette situation, sur une voie en terrain d’aventure.

Le PGHM nous a encouragé à repartir rapidement en montagne, en évitant le secteur géographique de l’accident et en allant dans un terrain plus facile, une voie équipée.
La question d’arrêter s’est posée, nous en avons parlé clairement. Pour nous qui avions construit notre couple autour de la montagne c’était très dur. Une personne de mon entourage a dédramatisé la chose en disant que de toute façon ce qui me constituait et ce qui importait c’était mon caractère passionné: « ne te pose pas de question, si c’est trop dur et que tu préfères arrêter je ne doute pas que tu sauras en moins de deux te trouver une passion pour la pêche au requin ».

15 jours après nous avions décidé d’une voie… et puis impossible de trouver le sommeil pendant la nuit. On a saisi l’excuse la plus bidon pour ne pas y aller (genre j’ai un trou à ma chaussette, ça va pas être possible). La pression était trop forte. Une semaine s’est écoulée et nous sommes repartis. Depuis 4 ans, nous n’avons pas quitté la montagne. Mais cet évènement, précédé par d’autres, la mort de personnes plus ou moins proches en montagne, laisse une marque indélébile dans notre pratique.
Je crois que c’est impossible que ça s’oublie. Notre expérience me laisse penser qu’il faut que tu acceptes l’idée que les images vont s’estomper, le souvenir sera moins précis, moins vivace, mais que cet évènement sera toujours présent. Il ne faut pas fuir cette idée ni les angoisses que ça te procures. Refouler est la meilleure manière de faire empirer la chose et la faire ressortir violemment plus tard, ou bien la décaler sur d’autres aspects de ta vie. Il faut au contraire l’accepter et parler, parler, parler. Je sais que les interlocuteurs ne sont pas faciles à trouver. C’est pas pour rien que tu postes un message sur ce forums…

Aujourd’hui il est des moments en montagne où je sais que chéri-chéri est en train de repenser à ces évènements dans lesquels il a été beaucoup plus protégé que moi. Yann est décédé dans ses bras tandis que moi j’étais protégée de ces images sous un surplomb, plus bas. Au début, nous n’osions pas reparler de l’accident (faut être fort, faut surmonter etc…) et lorsque ce souvenir avait ressurgi et nous avait perturbé à un moment de l’ascension, nous n’en parlions pas. En fait, nous nous sommes aperçus que c’était souvent simultanément que nous avions eu ces pensées. Et en parler, après coup, souvent à la redescente, a participé à notre apaisement. Quatre ans plus tard, nous en parlons toujours, régulièrement et en général à la redescente d’une course.
L’accident a aussi changé notre pratique et c’est aussi une manière de rendre hommage à Yann. Nous savons que nous avons tendance à surprotéger certains passages, donc à perdre du temps. Tant pis, nous choisissons nos courses en tenant compte de cela.

Un ou deux ans après, je ne sais plus, nous sommes retournés dans le secteur où c’était produit l’accident. Une voie facile (mais en rocher, la chute en terrain facile est souvent plus conséquente que dans du dur) , à nouveau en terrain d’aventure; accompagnés par une autre cordée. Ce fut une erreur. Chéri-chéri n’avait pas même fait 5m qu’il y avait déjà posé quatre coinceurs, il grimpait mal, ne trouvait pas l’itinéraire et a fini par chuter, sans gravité. On a abandonné là. C’était pas la peine d’insister.

Nous avons depuis décrété que ce secteur ne serait plus notre terrain de jeu: pourquoi se mettre la pression lorsque la montagne est si vaste et qu’on peut aller ailleurs?

Nous avons fait une seconde erreur qui a été de conserver le matériel qui gardait les stigmates de l’accident. En clair nous avons continué à grimper avec des cordes qui avaient baignées dans le sang de Yann. Nous les avions lavées mais symboliquement c’était une erreur. D’ailleurs, curieusement, j’ai inopinéménet perdu rapidement une de ces cordes… Il en est restée une seconde dont je me suis aperçue que je ne la portais jamais, arguant qu’elle n’était pas assortie à mon sac à dos… bizarrement je préférais la neuve. J’ai compris récemment le rôle symbolique de ces cordes et qu’il fallait absolument s’en séparer.

Laisse le temps, ne garde pas tout pour toi, fait de la montagne dans des conditions autres et petit à petit tu remonteras la pente et reprendra du plaisir. Mais retournes-y!

Ro

Merci à tous pour temoignages de sympathie qui je l’espère m’aiderons à poursuivre ma passion en montagne sous quelques manières que ce soit .
Je ferais un petit bilan, en fin saison en esperant avoir pris encore beaucoup de plaisir .
Bonne saison à tous
Laurent

J’ai hésité à répondre, j’ai à la fois besoin d’en parler mais pas forcément envie de m’épandre…
Je ne crois pas que j’aurais osé ou pu, faire ce que tu fais, en parler presque à chaud sur le forum…
Mais je crois que si tu y arrives, tu as raison de le faire.
Par expérience je sais qu’il faut parler, en parler, même des années après.

Pour moi, c’est le plus important, ne pas trop se replier, ne pas s’enfermer tout seul avec la douleur, avec celui qui n’est plus là,. Arriver à dire ce qu’on a sur le cœur et puis réfléchir à la vie, au sens de la vie, à l’intensité et à l’engagement que nous souhaitons ou non pour notre vie.
Vivre avec les douleurs, les angoisses, ne pas tenter de les éviter (c’est impossible) mais essayer de prendre du recul.

C’était il y a 10 ans sur la pointe Young aux Jorasses, nous avions décliné l’offre du PG pour redescendre avec eux. Après que l’hélico ait emporté le corps de François nous avons entamé la descente, concentrés et silencieux. Mais je me souviens très bien, une fois en bas, à grandes enjambées sur le glacier nous avons eu un très long échange avec mon frère, sur le rapport à la mort dans les différentes sociétés. Rude, certes, la gorge nouée avec des mots lourds, chargés, mais je mesure mieux maintenant, combien ça m’a aidé pour la suite. Affronter, en parler pour éviter de s’effondrer.

Après, tu sais, pour le retour à la montagne, je crois que ça dépend beaucoup de chacun et qu’il faut faire comme on le sent. Certains décrochent, on peut aisément comprendre.
Je ne sais pas si il faut « se forcer », en tout cas ce n’est pas ce que j’ai fait. J’avais envie d’y retourner, je l’ai fait. Et j’ai retrouvé du bonheur.

Cinq après, c’est mon fils qui est tombé là haut. Traumatisme terrible. Indicible.
L’entourage est très important, j’ai beaucoup essayé d’écrire, de parler…
Avec ma compagne, des copains, mes enfants nous avons continué à vivre la montagne et d’y prendre du plaisir, sans doute comme ils en trouvaient.

Mais il faut faire attention parce que les violentes douleurs peuvent laisser des traces dans l’organisme. Je sais qu’il peut m’arriver d’avoir des angoisses là-haut, heureusement pas trop souvent. Mais on s’adapte.

Et le bonheur dans la vie est encore possible

Je pense que si t’aime vraiment ça tu y retourneras, avec une période d’apréhension certainement: moi j’ai failli y rester mais j’ai eut énorment de chance, le temps de m’y remettre je sais que j’y retournerais, je ne referais plus jamais la meme connerie et cela me rendra surment plus sage car meme en dehors de cela nous faisions un peu n’importe quoi entre les orages en paroi et les horraires non respectées, l’itineraires… Mais apres un accident ne provient pas systematiquement d’une faute…
Apres different j’ai deja vu six alpinistes se faire emporter au mont Blanc du Tacul mais nous sommes repartis dès le lendemain, mais pour du rocher!

En ésperant te croiser un jour la haut sur un sommet! Bon courage!

Cela a déjà été évoqué dans les post précédents :
ne pas se forcer surtout, et laisser le temps au temps aussi.

juste mon expérience perso, après un grave accident en falaise : mauvaise chute, trauma cranien, hématome sous dural… L’année qui a suivi, deux personnes qui me sont chères ont elles aussi eu un grave accident en montagne. Au final de mon côté, une chance de « cornard », dixit le neurochirurgien, vu l’absence de séquelles physiques.
Psychologiquement, par contre une toute autre affaire : je pensais recommencer de suite après la grimpe et la montagne, ben finalement ça a pris 10 ans, les deux accidents de mes amis n’y sont pas étrangers d’ailleurs. Je suis longtemps resté dans le déni de tous ces accidents, et du traumatisme émotionnel qu’ils engendrent (être confronté à sa propre mortalité).

Finalement, j’ai pu franchir le cap l’an passé et je m’y suis remis, la confiance commence à revenir, même si les premières sorties étaient teintées d’une forte dose de peur, d’appréhension.
Mais personne ne m’a forcé.
Il me semble que c’est de toute façon une décision bien trop personnelle pour laisser quelqu’un d’autre en décider.

Que tu continues, que tu fasses une pause ou que tu arrêtes, ta décision sera la bonne. Et puis le temps et la vie font parfois changer d’avis aussi…

Posté en tant qu’invité par laurent:

Merci pour votre temoignage, je n’ai pas arrété, mais par contre, je modère la difficulté de mes sorties, je ne me sent pas capable aujourd’hui de m’engager autant que je l’ai fait la saison passée . La pente raide est peut etre maintenant du passé, je sais que je peux me faire plaisir sans m’exposer . Alors à quoi bon, le plus important, etant de preserver et ma vie, et ma petite famille .
Milles douleurs encore à chacunes de mes pensées pour mon coéquipier disparu, surtotu en ces fetes de fin d’année .
merci à tous pour vos temoignages.
Bonne année

Bye
Laurent
http://www.piolet15.com