Un jour que je travaillais d’arrache-pied pour gagner plus, les copains ont décidé d’un commun accord sans le mien d’aller faire le couloir de gaube au Vignemale.
Déçu, je décidais néanmoins d’aller les rejoindre à la sortie dès le lendemain midi.
Armé de mon appareil photo, de mon courage et de toute la jalousie que pouvait contenir mon sac, je les rejoignais vers onze heure.
Enfin, quand je dis rejoignais, c’est un bien grand mot.
J’avais beau me pencher depuis le piton carré qui surplombe le couloir, je ne voyais rien.
Sans trop comprendre, je me suis dirigé vers le sommet du Vignemale. Ils étaient peut-être déjà au sommet.
Ils n’y étaient pas.
De retour au dessus du couloir, j’ai fini par les apercevoir très bas, trop bas pour espérer les voir sortir bientôt.
A grand renfort de cris ils ont fini par me faire comprendre qu’ils étaient parti tard du refuge, que la rimaye leur avait posé des problèmes, et qu’ils étaient à cour d’eau.
J’ai dû faire tous les sommets autour du glacier en les attendant.
Bon, faut dire que le glacier a souffert de la latitude aussi. Donc j’ai fais les deux autres sommets en face du couloir qui ne voulait pas lâcher ses deux prisonniers.
Il était bien quinze heure de l’après midi quand je décidais d’abandonner mes camarades à leur triste sort.
Z’avaient qu’à m’attendre et m’emmener avec eux.
Je confectionnais un petit tas de neige avec au milieu une bouteille de deux litres d’eau et une plaque de chocolat, destinées à accueillir les vainqueurs du gaube.
Après des adieux criards, je m’en allais l’âme en peine, déçu de ne point participer aux réjouissances.
Vers dix-neuf heure, la mère d’un de mes copains m’appelait.
- Eric n’est pas rentré. Tu n’as pas de nouvelles ?
- Euh, non …
- Il est 19h00 quand même, ils ne devraient pas être rentrés ?
Je sentais bien l’inquiétude naître dans sa voix.
- Oh, vous savez, je les ai quitté à 15h00. Ils n’étaient pas encore sorti. Il devaient bien leur rester deux bonnes heures de grimpe. Plus l’escalade dans les rochers pourr… dans les rochers sur la droite, on peut compter une bonne demi-heure de plus. Après, il reste la descente jusqu’à la voiture. Deux heures s’ils sont pressés, trois s’ils ont fatigués. Et ils doivent être fatigués.
- Mais c’est normal tout ce temps ? Ils ne devraient pas être rentrés plus tôt normalement ?
- Si, mais ils se sont levés tard, ils ont traîné. Ne vous inquiétez pas, d’ici une heure ils seront à la voiture.
- Ok, merci Quentin.
- Bonsoir madame.
Sur le coup, c’est moi qui était inquiet. Bien-sûr qu’ils devaient être sorti les types. Et depuis un moment encore. Je tournais en rond, ne sachant trop quoi faire.
Vers vingt heure, la mère du copain rappelait.
-
Quentin, c’est encore moi. Je n’ai toujours pas de nouvelles.
Sa voix nouée avait du mal à prononcer les mots qu’elle redoutait.
-
mais non, pas de soucis, ils doivent être à la voiture, mais vous savez en montagne ça ne capte pas partout. Il faut attendre qu’ils soient en vallée. Écoutez, dans une heure, si vous n’avez pas de nouvelles, rappelez moi. On avisera. D’ailleurs, rappelez moi de toute façon, j’ai bien envie qu’ils me racontent leur sortie. A tout à l’heure.
Cette fois-ci, je préparais mes affaires et m’imaginais déjà au pied du couloir dans la nuit.
Une demi-heure plus tard, Eric m’appelait:
-
ma mère m’a dit que tu t’inquiétais pour nous ? Et il partit d’un grand éclat de rire. Ça y est, on l’a sorti ce satané couloir. Et merci pour l’eau et le chocolat, ça nous a fait super plaisir en arrivant.
Voilà. La montagne c’est du plaisir pour ceux qui y sont, c’est de l’angoisse pour ceux qui restent.
Comme dit Aurore: parles lui. Explique lui ce que tu ressents. Ce sera bien mieux pour vous deux.