Posté en tant qu’invité par Thierry AVE:
Mars 2004, après une belle saison de cascade de glace, et plus d’un mois sans voir un glaçon, les piolets commençaient à frétiller d’impatience dans nos placards. Nous voici donc repartis, Michel, Laurent et moi, pour l’Oisan avec comme objectif la « Canaille », une goulotte sur la tête Sainte Marguerite, au-dessus de Monetier. La météo est bonne, les conditions de gel idéales et le manteau neigeux stabilisé.
Le topo en poche, nous partons avant l’aube pour l’approche en ski de rando. Comme il est hors de question d’emporter deux paires de chaussures, l’approche à ski se fait avec les pompes de montagnes. Notre dégaine est parfois proche de celle de Bambi apprenant à marcher sur la glace avec son copain le lapin (piquez donc la cassette à vos gamins ou vos petits frères si vous avez oublié la scène!). M’enfin dans l’ensemble ça passe quand même.
Après une heure nous arrivons au pied d’une belle goulotte très encaissée. Pour une raison qui m’échappe encore, nous avons une hésitation avant d’attaquer: est-ce bien là? L’instinct (ou un sursaut de lucidité) nous fait douter. Nous re-consultons le topo: ca ressemble bien, donc on sort les piolets et on attaque. Première longueur en neige sans intérêt, je fais un relais sur arbre. Longueur suivante c’est Laurent qui s’y colle. L’ambiance devient de plus en plus belle, une coulée de glace étroite, parfois à peine un mètre de large, encaissée entre deux barres rocheuses. Mais quelle glace fine! On ne voit pas souvent Laurent s’arrêter pour placer un point, les emplacements ou la glace est assez épaisse pour brocher sont rares. Le topo indique ‹ secteur engagé voies difficiles à protéger mais relais en place ›. Heureusement nous avons emporté toute une quincaillerie de coinceurs et de pitons. Après quelques minutes nous entendons pitonner à deux reprises, Laurent est manifestement en train d’équiper le relais. ‹ Relais équipés › disait le topo? Tu parles ! On aimerait les voir… Prochaine longueur c’est à mon tour.
L’ambiance est toujours aussi belle, juste ce qu’il faut d’isolement, avec de l’autre côté de la vallée les versants exposés au soleil que nous ne verrons pas de la journée.
J’arrive à un relais équipé. C’est grand luxe! Deux pitons rouillés, reliés par une sangle jaunâtre réalisée avec les bandelettes ayant servi à embaumer Ramsès… Enfin une preuve que des grimpeurs sont déjà passés par ici, même si cela date probablement d’une époque ou nous usions encore nos pantalons sur les bancs de l’école. Je teste les pitons, remplace la sangle du relais par un anneau de corde et fait monter les autres. Bizarre quand même que l’équipement soit si miteux. Enfin nous ne nous posons pas plus de questions. Après tout, c’est exactement ce type de jeu que nous sommes venu chercher ici, ou l’autonomie et la « bricole » sont plus importants que le pur niveau d’escalade.
Laurent repart pour ce qui s’avère rapidement la longueur la plus délicate : un dièdre avec juste un filet de glace fine au milieu pour les piolets, les crampons devant se contenter de se poser sur le rocher de chaque côte du dièdre. Pas vraiment difficile, mais mal commode. Aucun de nous trois n’étant un adepte surdoué du dry tooling, nous adoptons rapidement la technique du « gratouillage ».
En règle générale le grattonnage est une technique élégante dans laquelle le grimpeur au pied félin réalise de délicats pas de danse pour s’élever sur le rocher.
Notre technique à nous, le « gratouillage », c’est à peu prêt la même chose, mais avec des crampons aux pieds et la grâce féline de l’hippopotame.
Le dièdre franchis, Laurent disparaît de notre vue et après quelques instants nous entendons de nouveau pitonner à deux reprises, signe qu’il n’y a pas d’équipement en place.
Lorsqu’à mon tour j’arrive au relais, je retrouve Laurent, dont l’expression ressemble à peut prêt à celle d’un personnage de Cartoon lorsqu’il se retrouve avec une bombe fumante entre les mains et qu’il sait qu’elle va lui péter à la gueule : les sourcils haussé, les yeux exorbités et un sourire forcé qui laisse apparaître toutes les dents.
« Euh …. Va doucement, le relais est pas terrible, j’étais bout de corde j’ai fait ce que j’ai pu…… De toute façon y’avait pas mieux plus bas»
En effet, les deux pitons farceurs, à moitiés enfoncés ont l’air de vouloir jouer à celui qui sautera le premier. Heureusement on est sur une plate-forme confortable, et puis Michel a l’air de randonner, plus doué que moi pour les crochetages en rocher.
C’est au moment où cette pensée me traverse l’esprit que le caillou que Michel avait crocheté avec son piolet décide de se désolidariser de ses petits camarades pour aller danser la gigue et que, par la faute de Newton et de sa pomme, Michel part en arrière. Heureusement, Laurent qui avait anticipé le coup dynamise la chute et notre relais trois étoiles plie mais ne rompt pas.
« Pfffff …… Ouh !!! Ca craint ici, je vais voir plus haut … »
Je repart rapidement et fini par trouver un bon becquet pour installer un relais et commencer les rappels, car manifestement la goulotte s’arrête là.
C’est en rentrant à la maison que nous attend la surprise… Le lendemain je me connecte sur le site www.ice-fall.com pour envoyer à Gérard une mise à jour des conditions, et je constate avec surprise qu’une cordée a fait la goulotte « Canaille » le même jour que nous, alors que nous n’avons croisé personne. Une seule explication s’impose : nous nous sommes tout simplement trompés de goulotte ! Cet exploit, digne des trois neuneux permet d’expliquer parfaitement l’équipement piteux que nous avons rencontré lors de note ascension.
Après vérification, et même si nous n’en sommes pas les ouvreurs, nous avons décidé de la baptiser « la goulotte des Trois Neuneux ».