Posté en tant qu’invité par catherine:
C’est la suite de La petite annonce au caf
(NDLR : où il est montré comment on peut donner à son insu une fausse idée de son niveau, certaines conséquences d’une hypoglycémie, et le rôle des gros mots dans le traitement de l’angoisse)
Je n’en revenais pas…je n’en demandais pas tant !
J’avais du mal à réaliser qu’un tel alpiniste puisse s’intéresser à mon petit niveau, il avait dû mal lire mon annonce…
Mais si ! C’était bien avec moi et mon petit AD+ qu’il souhaitait grimper : « la pédagogie m’intéresse beaucoup » me dit-il, « d’ailleurs si tu en es restée au niveau AD+ c’est que tu n’as pas encore osé faire des voies bien plus difficiles, mais tu vas voir, avec moi tu vas progresser ! » Et il me parla de la face Nord des Droites, et du versant Italien du Mont Blanc où il m’emmènerait faire je ne sais plus quoi, mais c’était des voies TD minimum.
J’étais convaincue qu’avec lui je pourrais progresser, mais, bien que cela flattait pas mal mon égo, j’avais le sentiment qu’il surestimait vraiment mes possibilités !
J’eus beaucoup de mal à le convaincre de me tester d’abord sur une petite course à la journée, dans les Aiguilles Rouges. J’avais récupéré pas mal d’idées et d’informations à l’OHM, et j’avais recopié les topos et les conseils sur quelques feuilles que j’avais apportées.
Lorsqu’il me proposa la voie des Dalles au Pouce, je réussis à lui faire accepter d’escalader d’abord la face Est de l’Index, et qu’ensuite on aviserait…
Cette discussion m’avait demandé beaucoup d’énergie, je me sentais flancher, la tête me tournait, le sang cognait dans mes tempes… J’avais dû un peu trop forcer dans mon jogging (cette fois-ci j’avais fait l’intégrale, depuis le Col des Montets jusqu’au Brévent), et je réalisais à moitié que j’étais en hypoglycémie et que j’avais attrapé la crève. Il me tardait de retourner à ma tente, et dormir bien au chaud !
Je n’avais plus aucune volonté, les évènements se sont alors enchaînés comme dans un mauvais rêve, je n’avais plus de prise sur eux, JC dirigeait tout…
J’ai un vague souvenir cotonneux de courses chez Payot Pertin pendant la fermeture du magasin, d’un tour à l’appart de JC puis à ma tente d’où on a récupéré nos sacs respectifs contenant ce qu’il fallait pour grimper et bivouaquer.
C’est ainsi que je me suis retrouvée le soir même, en pleine nuit, en compagnie d’un parfait inconnu, montant bivouaquer avec 39 de fièvre et un début d’angine…
JC avait une sacré forme physique, il avançait d’un bon pas, à grandes enjambées, et il me fallait faire 2 pas quand lui n’en faisait qu’un. Il portait un sac énorme, qui contenait la corde, le réchaud, et j’y avais entrevu un nombre impressionnant de sangles et mousquetons.
Ce sentier, je l’avais fait de nombreuses fois, il ne m’avait jamais paru si raide, si interminable. La montée semblait devoir durer toute la nuit…
J’avançais comme un automate, les joues rouges de fièvre, l’inquiétude commençait à m’envahir : j’avais peur de ne pas être à la hauteur et de décevoir mon coéquipier, mais aussi ce JC me semblait « bizarre » : mes compagnons de montagne d’alors étaient enthousiastes, mais posés, calmes, réfléchis. Ce JC me semblait trop intrépide, ne se souciant pas de brûler les étapes, fonçant tête baissée. J’avais bien essayé de lui expliquer que j’étais malade, que j’aurais souhaité différer notre escapade, mais il avait été inflexible, il avait décidé de monter le soir même, et rien ne pouvait modifier ce choix. Je me demande encore maintenant par quel miracle j’avais réussi à ce qu’on ne soit pas en train de remonter le Glacier d’Argentière pour bivouaquer au pied des Droites.
Je ne sais pas si chez moi c’est volontaire ou non, mais parfois lors de gros stress je me mets soudain à penser à une scène futile et drôle. C’est alors qu’il m’arrive de rire de manière très incongrue, parfois en scandalisant mes interlocuteurs !
En l’occurrence, c’est le ZOB du golf qui me vint à l’esprit.
L’année précédente, lors d’un stage UCPA, nous étions montés avec le téléphérique de la Flégère pour aller faire la face Nord de la Floria. Avec les copains on mettait un point d’honneur à ne pas prendre les remontées mécaniques, et à bivouaquer chaque fois que c’était possible, tout cela pour le plus grand bien de notre forme physique , de notre égo, de notre penchant « écolo », et de notre porte-monnaie. Mais avec l’UCPA il fallait rentabiliser le stage, et donc nous avions pris le télé.
La cabine commençait à s’élever, ainsi que les « oh ! » et les « ah ! » d’admiration des passagers devant le paysage sublime des glaciers… C’est alors qu’un immense fou-rire secoua la cabine sous l’air blasé du préposé aux commandes, et de l’air étonné de ceux qui n’avaient pas vu ou pas compris : « mais qu’y a-t-il de drôle ? » demandait autour de lui un monsieur très élégant avec un fort accent londonien. La cabine riait de plus belle en essayant de lui traduire. Une bonne sœur à qui il s’était adressée répliqua l’air pincé, rouge comme une tomate : « c’est le golf qui est en-dessous, je ne sais pas ce qui est drôle ».
En fait, les jardiniers, en combinant un engrais renforcé à une variété spéciale de gazon, avaient écrit ZOB en très grosses lettres sur les pelouses du golf. Et ces Messieurs-Dames très distingués qui faisait leur 18 trous ne se doutaient pas ce que le « peuple » voyait d’en haut !
Il parait que ce texte est resté pas mal de temps indélébile, malgré les tontes et arrosages répétés.
Cette histoire de message botanique m’a rappelé celle-ci entendue à la radio :
Des prisonniers, dans le cadre d’un travail d’intérêt collectif, avaient réalisé des plantations de bulbes de fleurs dans le parterre de la place principale d’une ville de province. Personne ne s’était rendu compte de rien jusqu’à la floraison où des gros mots avaient jailli de toutes les couleurs, savamment mis en valeur par le choix et la disposition des oignons ! Cela avait causé un grand scandale, il avait été question d’arrachage, mais au vu de l’afflux de touristes qui venaient se faire photographier à côté des fleurs à gros mots, la municipalité y trouva son compte, je me demande même si depuis elle ne renouvelle pas tous les ans l’expérience !
C’est alors que j’ai réalisé que j’étais en train de rigoler, que j’avais accéléré le pas et que nous arrivions au bivouac. L’angine avait progressé, je ne pus rien avaler d’autre qu’un bol de tisane, je m’enfilai dans mon duvet et je sombrai dans un sommeil agité, peuplé d’immenses parois terrifiantes…
(à suivre…)