Posté en tant qu’invité par unCplus:
Avec Guillaume, c’était leur première sortie en montagne ; leur première ascension. En effet, jusqu’ici ils n’avaient grimpé ensemble seulement en couenne.
Sortie initiatique en escalade glacière pour Guillaume, et, seconde de sa deuxième saison de glaciériste pour Pierrot ; « oser d’abord et doser ensuite » disait René Demaison.
Ils marchent tranquillement, à travers la forêt vers leur objectif du jour : la ligne la plus facile du secteur. Une belle pente de glace en deux-trois longueurs ; idéale pour débuter et continuer à se faire la main.
La chaleur est faible, il doit faire moins dix degrés ; Pierrot s’arrête de temps en temps pour faire tourner ses bras dans le but de réchauffer leurs extrémités grâce à l’afflux de sang que procure la force centrifuge dans les doigts.
Ca y est ! On les voit : quatre belles lignes de glace, dont une qui ne touche pas le sol et une autre (la plus à droite lorsque l’on regarde la face) composée de petits ressauts entrecoupés de neige.
Mais ; Ô, surprise : déjà deux cordées dans la « leur ». Ils se disent que ça ne va pas être possible pour celle-ci. Il va falloir changer d’objectif : se rabattre sur la ligne de gauche. La plus dure du secteur, ou la moins facile ; l’appréciation de la difficulté d’une voie dépend du niveau et de l’expérience des grimpeurs. Pour eux, ça sera la plus dure ; on y va d’abord et on verra ensuite ! (Merci René)
L’ayant déjà fait l’année dernière (en second), les souvenirs fusent et rappellent à Pierrot que c’était bien raide par endroits.
Enfin à ses pieds ; ils lèvent la tête, ils l’admirent : elle est belle ; féminine aux formes généreuses ; elle est bien fournie en eau solide. C’est au pied du mur qu’on voit mieux le mur.
Le départ impressionne un peu : six-sept mètres verticaux légèrement sculptés, avec de petites marches, dues aux précédentes répétitions.
C’est agréable car la météo n’est pas trop cruelle aujourd’hui : assez froid pour de bonnes conditions de glace et pas trop violent pour des êtres humains quelque peu acclimatés à l’hiver. Une météo clémente pour les glaciéristes, donc. Ils pourront même s’offrir le luxe de se préparer sans gants.
Tout en angoissant un peu, Pierrot s’habille avec sa panoplie du parfait cascadeur : crampons aux pieds, douze broches et douze dégaines absorbeuses au baudrier, deux-trois sangles en bandoulière, la turbine pour brocher rapide, quelques mousquetons sur le porte matériel ; ainsi qu’un crochet et de la cordelette pour d’éventuelles lunules.
Avant tout ça, il doit descendre trente mètres plus bas chercher son casque qui voulut s’essayer à la luge.
Il s’encorde, enfile les gants, positionne les dragonnes et les accroche aux piolets. Guillaume l’assure ; il peut partir : à ce moment là il est pas très fier, la peur l’envahit…
Mais bon, puisqu’on est venu, autant y aller : il part…lève les yeux au ciel et prie la Création que tout se passe bien.
Ancrer un piolet, puis l’autre un peu plus haut et enfin monter les pieds. Frapper la glace pour faire mordre les pointes avant. Il entend comme une musique lorsque le métal frappe puis pénètre dans la glace. Il tourne la tête, regarde parterre et se dit : « C’est pas le moment de se la coller. Allez ! Reste concentré sur ton objectif » Se répond-t-il.
Il trouve un point de repos, visse une broche, place la dégaine puis un brin de corde dans le mousqueton libre : il peut repartir, il est en « sécurité ». Quelques mètres plus haut : même scénario ; il place une seconde broche.
« Ouf ! » La chute au sol est dorénavant peu probable sauf si Pierrot déboulonne la longueur en volant.
Quel soulagement quand il se rétablit à la sortie du ressaut de départ : la cascade se couche ; il faut gravir un genre de rampe.
« Ca craint ! » On se croirait dans une voie à la Grande Jeanne tellement il pose des points : tous les trois mètres parfois.
« Bon, ça suffit ! » Pierrot a besoin de souffler un peu : il installe un relais précaire sur deux broches de vingt et un, fait monter Guillaume qui s’arrête régulièrement débrocher ; son ami avale la corde afin qu’elle soit toujours presque tendue. Guillaume arrive au relais, le sourire jusqu’aux oreilles : il est heureux. Pierrot aussi, mais il a plus de difficultés à l’exprimer, c’est tout.
Pierrot regarde la suite plus haut, la tête basse : une petite longueur toute en traversée ; il part en calculant minutieusement chacun de ses gestes. Dans la longueur, il fera presque exclusivement des croisements de piolets et de pieds. Il installe un second relais sur broches vingt mètres plus loin en se disant que ça irait pour aujourd’hui : assez d’émotions, en plus au dessus c’est encore plus raide et sculpté.
Guillaume monte ; il arrive vers Pierrot tête en l’air : « Où peut-il bien regarder ainsi ? »
« Eh bin, t’as pas vu le relais au dessus de toi ; là bas sur le rocher ? »
« Bin non, pas vu, et puis là ça va bien : la glace est bonne. »
« Allez, on va pas rester là, on monte au moins jusqu’au relais pour voir. »
« Mais t’as vu au dessus du relais comment c’est. »
« J’y monte moi au relais, on verra bien après. »
« Vaché ! » Crie t-il. Il avale la corde est se prépare à assurer ; Pierrot démonte aussitôt le relais et part.
Il rejoint Guillaume, se vache à son tour sur le maillon ; ça fait plaisir un relais sur pitons et plaquette, c’est moins « foireux » que sur deux bouts de broche vissées dans la glace.
Guillaume qui, malgré sa découverte de la cascade de glace, a plus de vécu en montagne, réconforte son compagnon.
« Pourquoi tu te mets la pression comme ça ? »
« J’voudrais bien t’y voir en tête dans la glace, t’es marrant toi !!! »
« Faut gérer tes émotions Pierrot, transforme ta peur en force. Bon, allez t’y vas ; repars ! »
« T’es fou, t’as vu la glace ; en plus d’être verticale, elle est toute sculptée et sèche. Moi, ça me va bien pour aujourd’hui. »
Guillaume aura raison de Pierrot : il prend les broches et part en tête. Dans la longueur suivante, la difficulté est courte : quatre mètres environ ; mais la glace est particulièrement sculptée. En plus, il faut partir en ascendance gauche avec peu d’amplitude pour se mouvoir.
Il passera la difficulté avec élégance et sans dragonnes ; plus haut, Pierrot ne le voit plus mais il l’entend exprimer sa joie avec une fougue que des mots ne peuvent décrire.
Tout en assurant son compagnon de cordée, Pierrot sent le calme le gagner à nouveau.
« Vaché ! »
Il avale le mou, assure son second qui se dévache et part. Pierrot, heureux d’avoir à se consacrer uniquement sur le geste, peut profiter pleinement des plaisirs que procure l’escalade. Ca y est le relais est atteint. En fait, sur les trente mètres que devait faire la longueur, seuls les six premiers posaient problèmes en termes de difficulté.
Pierrot est heureux : il a enfin retrouvé la sérénité contemplative qui lui sied si bien ; il félicite Guillaume : se fût sa sortie initiatique mais heureusement qu’il était là !
La dernière longueur, la plus facile de la cascade, n’est pas trop raide ; elle est composée de quelques courts ressauts avec une bonne glace ; que Pierrot fera en tête avec plaisir.
Tout en escaladant, il aperçoit un joli arbre en rive droite et se dit qu’il sera parfait pour un relais. Il l’atteint au prix d’une courte section de piolets crampons dans la terre et, de que quelques contorsions dans les vernes.
L’arbre atteint, il passe une sangle autour, se vache dessus et crie un bon coup pour avertir l’ami resté plus bas. Il avale le mou, fait monter son partenaire de cordée qui, quand il arrive presque à la hauteur de Pierrot, au pied du ressaut terreux, le regarde d’un air moqueur et amusé.
« Mon Pierrot, t’as pas vu le relais juste là au dessus, bien confort ??? »
« Non ! » Lui rétorque t-il. « Cet arbre me plaisait ; à partir de l’instant où nos regards se sont croisés, je n’ai vu plus que lui ; à la manière de la fascination féminine qui envoûte un homme.»
Guillaume ira au « bon » relais, Pierrot le rejoint : congratulations de rigueur pour cette ascension émouvante.
Le rappel installé, descendeur et autobloquant en place, Pierrot amorce la redescente sur terre ; son compagnon le rejoint au relais : ils avalent la corde et la réinstallent pour la suite. Deux rappels seront encore nécessaires pour arriver au pied de la belle.
Voilà… Soulagés, heureux ; ils rangent leur matériel, s’hydratent un bon coup car ça fait quelques heures qu’aucun liquide n’est passé par leur bouche…