Je connais...(suite n)

Posté en tant qu’invité par Francois:

C’est à huit heures du matin que le gardien nous a tiré du lit.

  • Eh ben, les gars, vous savez l’heure qu’il est ?

On s’en foutait royalement, de l’heure qu’il est. Patrick ronflait comme un sonneur et d’Albert, on ne voyait qu’un tas sous une demi-douzaine de couvertures.

  • Il a neigé une partie de la nuit…25 cm de poudre. Et c’est le grand beau ! continua le gardien.

En d’autres circonstances, cette importante nouvelle nous eût fait sauter dans nos chaussures toutes affaires cessantes et expédié dehors à la vitesse grand vé, après s’être étouffés précipitamment avec tartines et café. Mais là, bon, franchement, pffffou… on avait envie de dormir et l’intrusion du gardien dans mon sommeil confortable me fit l’effet d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Venus des tréfonds de l’inconscient, une vague curiosité, un reste d’enthousiasme alpin, me firent cependant sortir la tête des couvertures et regarder par la fenêtre légèrement entr’ouverte (mais sans me lever, hein, attention, faut pas exagérer !). Et que vis-je, par la fenêtre légèrement entr’ouverte, hein ? que vis-je ? je vije un coin de ciel bleu.

  • Les gars, il y a un coin de ciel bleu - dis-je mais pas trop fort pour ne pas les réveiller, aux deux empotés qui dormaient comme des loirs.

Patrick fit groummfff ! quoi ?..fous-moi la paix, tu vois bien que je dors…

Albert fit rien du tout.

Impossible de remuer ces deux lourdaux. Bon, je me recouchis. D’ailleurs, j’avais mal à la tête suite à cause qu’on avait passé la soirée à soutenir notre réputation de personnes bien élevées. C’est difficile, de soutenir, c’est fatiguant et tout et tout.
Voilà, alors à neuf heures, je me suis dit quand même. Mais faudrait pas croire que cet intermède, ce laps quoi, on dit un laps, fut été inutile. Pendant ce laps, j’eus des pensées profondes, des réflexions intellectuelles intenses. Mes réflexions profondes, ça ne vous intéresse peut-être pas, mais moi si. Wahh ! c’est trop génial, ce film. Les trois naïades à moitié à poil qui sont entrain d’embobiner les mecs…et la musique Country…géniale, la musique peut-être un peu de Gospel aussi…euh…oui, bon, revenons à nos moutons. Donc mes pensées profondes, vous vous dites qu’est-ce qu’il nous gonfle avec ça, nous on veut des histoires de montagne, de ski tout ça quoi avec des trucs et des évènements qui se passent, des machins techniques des pentes à frissonner dans le dos, du suspensse qu’on se dit oulala oulala oulala putain… c’est trop bien cette musique, je continuerai tout à l’heure…Par exemple, si j’avais racontis que driiiing…six heures, nous nous levâmes alors et tous en même temps, nous prîmes petit déj’ café tartines et hop ! nous collîmes peaux, chaussîme skis, partîmes, marchîmes, jusqu’au sommet, décollâmes peaux et descendâmes jusqu’au refuge pas celui-là mais l’autre le suivant et pareil le lendemain et pareil la veille et pareil le surlendemain, vous vous seriez dit c’est un peu monotone ses histoire de montagne un peu chiant, pour parler imagé, et vous eussiez eu bien raison et c’est pour cette raison que je mets des pensées profondes, elles aussi font partie de la vie en montagne, pendant les temps morts, les laps où on ne regarde pas la carte et la boussole, où on a le nez sur les spatule tout ça et où on fait la grasse au lieu d’aller s’ébattre dans la poudreuse, ce qui est très mal, comme chacun sait, j’en conviens. Ouais là ça fait un peu long ce paragraphe, je vais aérer.

Ah mais…ah mais…au fait, damned, j’oubliais…hier soir, avant que les vapeurs ne nous brouillassent l’entendement, je fus sommé de m’expliquer sur l’agora au sujet de cette histoire de boussole. On a poussé donc les bouteilles et les restes de polenta et on a étalé la carte sur la table pour essayer de comprendre.

- C’est dégueu, cette table…je vais tacher ma carte. 
- Mais non, tiens, mets-toi là…

Le Pat balaie d’un coup de patte une place sur la table. C’est pire qu’avant. Il étale les taches de vin, écrabouille des grains de polenta et mélange les deux. L’aspect des lieux est parfaitement repoussant.

- Bon, alors, cette carte ?
- Tu ne t’imagines tout de même pas que je vais poser ma carte là-dessus ? Elle a déjà pris un coup aujourd’hui, pas la peine d’en rajouter…
- En voilà des histoires pour une carte !
- Ben t’as qu’à prendre la tienne !
- Peux pas, elle est là-haut, dans mon sac…

Sentant venir l’orage, Albert nous fait remarquer qu’on pourrait peut-être s’installer sur la table derrière, qu’elle est propre et qu’on verra plus clair vu qu’elle est sous la lampe. Personne n’y avait pensé ; il est génial, cet Albert.

Ces problèmes techniques étant réglés, j’en viens au fait.

  • Regardez, les gars, on a pris trop vite à gauche.

Je montre avec le doigt, par là et par là et par là à gauche au lieu de là vers le bas puis à gauche et remonter…

  • On a pris le col de Valmeinier au lieu du col de Névache. On aurait du descendre beaucoup plus bas. C’est pour ça qu’on s’est perdu.
  • Comment ça « on » -me fit aigrement remarquer le Patrick- « tu » t’es perdu, si tu permets. Nous, on n’y est pour rien, dans cette histoire.
  • Oui, bon, enfin, on va quand même passer la nuit dans un refuge. Si tu te souviens bien, l’an dernier, dans le Queyras, on a fini dans un trou.

L’an dernier, dans le Queyras, on devait remonter la vallée de l’Ubaye jusqu’au col du Longet, puis au col Blanchet et redescendre sur St Véran. C’est un vallon long, long, long comme un jour sans pain et justement, on n’avait plus rien à bouffer vu qu’on devait se ravitailler à St Véran. Plus qu’un demi paquet de Figolu. Naturellement, brouillard anglais dès le matin.

  • Dis donc, Patrick, il me semble bien que c’était toi qui menais la course, ce jour-là…
  • Oui, bon, bon, on ne va pas remonter au déluge…

Ce jour-là, le Patrick avait dit le brouillard ? pas gênant, il suffit de suivre le fond du vallon, c’est pas compliqué. Le brouillard était tellement peu gênant, on avait tellement bien suivi le fond du vallon, et c’était tellement peu compliqué, qu’à la nuit tombante on s’était retrouvé à pelleter comme des forcenés sur les pentes du col de Rubren.

Finalement, mes souvenirs de la soirée n’étaient pas si vagues que ça et le gardien nous offrit un dernier petit coup de gnole, en fait du genépi, d’où il se dégagea un large consensus selon lequel malgré ceci et cela, la montagne c’est vachement bien, surtout quand ça ramone dehors et qu’on est bien au chaud au refuge. Amen.

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par Francois:

Voilà.
Grâce à vous, je me suis couché vachement tard, hier soir.

Posté en tant qu’invité par JM:

Je me marre franchement…
Merci Francois!

Posté en tant qu’invité par grosmoërell:

Le film, c’est o’brother? Excellent…

Posté en tant qu’invité par Beef:

tu as du te replonger dans le Lacrima Christi pour que les souvenirs remontent? et tu t’es leve ce matin pour le coin de ciel bleu ?!

Posté en tant qu’invité par catherine:

Francois a écrit:

Grâce à vous, je me suis couché vachement tard, hier soir.

t’étais pas obligé de regarder n’importe quoi à la télé en même temps !