Je connais...(suite 2)

Posté en tant qu’invité par Francois:

Le Patrick s’arrêta net. Je piquai du nez dans son sac.

  • Dis donc…t’es sûr qu’on descend sur les Drayères?
  • Mais oui, mais oui, t’en fais pas, je connais…pourquoi tu me demandes ça?

En fait, je n’en étais plus si sûr. Le cancer du doute commençait à me ronger les sangs. Les lieux avaient un petit air de déjà vu…

  • En tout cas, dit le Pat, si c’est pas par là qu’on est descendu avant-hier, ça y ressemble furieusement!

C’était aussi mon avis et je le dis tout net à Patrick:

  • Mais non, mais non, qu’est-ce que tu racontes…rien à voir…

Mais la méthode Coué résiste difficilement à l’obstination des faits. Je dus bien reconnaître que ces traces étaient bien nos traces d’avant-hier, que cette congère était bien celle qu’Albert n’avait pas vue, celle où il avait senti la terre s’ouvrir sous ses pieds, où il avait soudainement disparu comme happé par la statue du gouverneur et s’était retrouvé trois mètres plus bas, mais toujours debout sur ses skis, sans avoir eu le temps de dire ouf! Bref, je dus reconnaître qu’on s’était (je collectivise la responsabilité, c’est un bon truc pour éviter de prendre la pâtée tout seul) bel et bien perdu et qu’on redescendait tout bonnement sur le refuge de la Vallée Etroite, quitté deux jours plus tôt dans le brouillard et sous la neige.

Le Pat s’est mis à fulminer, à rouscailler que ouais si t’avais sorti la carte et la boussole plus tôt, que etc… que c’était bien la peine d’être cadre CAF si t’es même pas foutu de trouver la bonne route et autres gentillesses de la même farine. Bon, la moutarde m’a monté au nez, on s’est engueulé encore une fois, je lui ai crié dessus, je lui ai rafraîchi la mémoire en lui rappelant avec perfidie qu’après tout, toi aussi t’es cadre CAF alors tu peux la fermer, t’aurais pu t’apercevoir qu’on était perdu, que etc…

  • Et d’ailleurs - ai-je ajouté avec une parfaite mauvaise foi - on n’est pas perdu puisqu’on sait où on est, je ne vois pas de quoi tu te plains. Où est le problème?
  • Je croyais que tu connaissais le coin?

Alors là, je lui ai cloué le bec, je lui ai répondu que ben ouais bon quoi et alors? Ca lui a cloué le bec tout net, comme ça, clac!

Et ensuite, me direz-vous?

Ensuite? Eh bien ensuite, on a arrêté de s’engueuler et on a tout simplement continué la descente, par le petit bois de mélèzes, sur le refuge de la vallée Etroite.
Le gardien était sur le pas de la porte.

-Tiens, vous revoilà ! vous vous êtes perdu ?

Le Patrick ouvrait déjà sa grande gueule pour dire une connerie. Je pris les devants de justesse.

  • Non, non, mais vu le temps, il nous a semblé préférable de revenir par ici. C’est plus prudent. (J’avais remarqué depuis longtemps que les gardiens de refuge aimaient bien quand on parlait de prudence).

Le gardien eut l’air étonné mais ne fit pas de commentaires.

Le problème c’est que nous attendait, comme hier soir au refuge du Thabor, et avant-hier soir ici même, une délicieuse polenta. Délicieuse, c’était la moindre des choses: ça faisait vingt ans qu’il en fabriquait, le gardien, de la polenta. Délicieuse, délicieuse, d’accord, mais quand même, trois soirs de suite…elle reste un peu en travers du gosier. Cependant, Albert nous fit judicieusement remarquer que c’était infiniment préférable (c’est comme ça qu’il a dit : infiniment) à un demi paquet de Figolu dans un trou à neige, comme l’an dernier. Nous lui en fûmes reconnaissant et ceci nous décoinça le gosier, aidé en cette tâche par le petit Lacrima Christi du patron qui nous rendit définitivement notre optimisme.

(Au fait, lui, le gardien, qu’est-ce qu’il se fait comme tambouille ? Il ne bouffe tout de même pas de la polenta à longueur d’année. Voici un mystère à éclaircir…)

Le réveil fut, le lendemain matin, laborieux, voire pénible…ceci demande quelques explications.

Le coup de pied au cul paternel lui ayant propulsé du plomb dans la cervelle, Albert avait donc abandonné ses ésotériques mais peu rémunératrices occupations pour des activités plus consistantes. Outre son métier de cuisinier, il avait aussi une formation de sommelier dont, pour Dieu sait quelles obscures raisons, il faisait rarement état. Mais Albert, ce n’était pas le genre long en bouche et arrière-goût de fruits rouges, c’était même toute une histoire pour lui tirer trois mots de commentaire sur une bonne bouteille. Le truc, c’était de le regarder boire. Il examinait son verre. Il buvait une gorgée, puis il reposait son verre, puis le regard vague, il fixait un point vers le plafond mais au-delà, dans un espace indéterminé. Et alors, s’il tendait la main vers la bouteille en disant « fais voir », on pouvait y aller en tout confiance. Par contre, s’il nous sortait un « c’est quoi ce truc là ! » en rigolant, on pouvait utiliser le breuvage pour la sauce à salade, et encore. Pour être tout à fait complet sur le personnage, disons qu’il a travaillé quelque temps aux Etats-Unis puis il est rentré au pays ventre à terre, en hurlant au viol, quand il a vu comment les restaurateurs américains traitaient le vin.

Bref, tout ça pour dire qu’en professionnel consciencieux Albert a tenu à « se rendre compte », nous a-t-il dit, de la qualité du Lacrima Christi. Laquelle devait être satisfaisante, et même plus que ça, puisque après trois « fais voir » le niveau avait dangereusement baissé. Ceci nous incita à en commander une seconde, de bouteille, pour faire descendre la polenta. Puis le gardien, dûment informé par nos soins de l’appréciation flatteuse du spécialiste, se crut obligé de nous en offrir une troisième, de bouteille. Remarquez qu’on n’avait rien demandé, mais un refus nous eût semblé un manque de tact inadmissible, et en tout cas assez peu en rapport avec notre réputation de personnes bien élevées. Quant à la suite de la soirée, mes souvenirs sont assez vagues…

Grâce au gardien, qui connaissait bien les lieux et qui nous a aimablement servi de pilote, au lieu de dormir dans le local à skis, où nous nous étions fourvoyés je me demande bien pourquoi, nous avons passé la nuit dans un dortoir confortable.

J’avais réglé ma montre sur six heures, crus-je (en fait, c’était sur trois heures, mais ce détail n’avait qu’une importance secondaire vu que, pour être sûr de bien entendre la sonnerie, j’avais enterré la montre sous un bon paquet d’oreillers) et c’est à huit heures du matin que le gardien nous a tiré du lit.

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par JM:

Excellent!

(Lachrima Christi, je retiens ce nom…)

Posté en tant qu’invité par pierre:

J’ai gané, j’ai gagné, j’ai gagné …
Ben, pour la polenta, bien sûr !

Par contre, je ne me souvient que d’un rouge médiocre : je suis scandalisé du favoritisme concernant les cadres du CAF.

Récit très plaisant, comme d’ab. Merci.

Posté en tant qu’invité par strider:

le truc pour faire une bonne pollenta c’est qu’il ne faut pas mégoter sur la crème fraîche…quand c’est plus savoureux au gout, et moins sec surtout, ça tire moins l’estomac et les boyaux restent muets…fort heuresement d’ailleurs…

bon alors visiblement dans l’histoire, on tourne en rond…j’attends toujours la surprise finale…
il y a un noeud : comment sortir de ce lieu perdu?
et il y a conflit : François et Pat qui s’engueulent…
et il y a un problème inhibant : cette brume insupportable

Quel va être le dénouement? Quel va être l’évènement qui va tout faire basculer?
Alors en choeur, on dit: « la suite! la suite la suite! »

Posté en tant qu’invité par xav:

la je suis accro.
LA SUITE!!!
LA SUITE!!!
LA SUITE!!!

Posté en tant qu’invité par catherine:

comment réinitialiser sa boussole, version « merle », sans lacrima christi :
http://actualite.free.fr/actu.pl?doc=france/3_2005-01-07T1404_FAP5763.xml

[%sig%]

Posté en tant qu’invité par Robert:

Conclusion: laissez tomber boussoles à aiguille ou aimentées, Gps et emportez un merle dans sa cage dans toutes vos randos.

Posté en tant qu’invité par Laurent:

le Lachrima Christi: c’était le petit Jésus qui pissait de rire à le vue de tes aventures boussolesques?

Posté en tant qu’invité par Little disciple:

Je suis fan ! T’as pensé à trouver un éditeur ?

LD

Posté en tant qu’invité par Nicolas:

strider a écrit:

le truc pour faire une bonne pollenta c’est qu’il ne faut pas
mégoter sur la crème fraîche…quand c’est plus savoureux au
gout, et moins sec surtout, ça tire moins l’estomac et les
boyaux restent muets…fort heuresement d’ailleurs…

On peut en plus mettre des tomates, des olives vertes, un chouille de vin blanc…
Mais d’accord avec toi : même si la deuxième cuisson au four adoucit un peu le problème (pas facile l’hiver en refuge!), le gros enjeu de la polenta c’est de faire qq chose de pas trop sec ni trop compact, auquel cas ça peut même être assez bon.

Posté en tant qu’invité par martine:

En attendant la suite, qui ne viendra fort probablement pas avant lundi, si Maître François randonne ce WE, tout cela m’a mis l’eau à la bouche.
Comme la polenta n’est pas de tradition dans ma lointaine région, je cherche une bonne recette pour la préparer

Posté en tant qu’invité par nico:

Heu francois…
y’a encore une suite à ton histoire ou c’est fini ?

Posté en tant qu’invité par Nicolas:

martine a écrit:

Comme la polenta n’est pas de tradition dans ma lointaine
région, je cherche une bonne recette pour la préparer

Tu as essayé http://www.marmiton.org?

Sinon, mettre la polenta dans beaucoup d’eau bouillante (je me souviens plus des proportions désolé), que tu peux traiter façon court bouillon avec un peu de vin blanc, des échalotes ou oignons etc…
Rajouter ingrédients à volonté (cf ci dessus tomates et olives vertes par exemple, ou champignons, lardons…), puis crème fraiche (on peut aussi mettre du lait dans l’eau de cuisson si on veut), puis fromage à la fin, sans lésiner.
Suivant le type de polenta (précuite ou non, fine ou grosse) ca cuit entre 10 et 45 min, à tout petit feu pour pas trop attacher… Ca doit être encore un petit peu liquide, mais pas trop, et pas compact non plus.