Posté en tant qu’invité par Paulo:
Namasté…
voici un petit bout de texte, juste pour dire des choses… Bonne lecture et bel ascension à tous.
« Lettre ouverte à mes compagnons de l’Imja Tse, avec qui j’ai eu tant de plaisir à gravir ce sommet du Khumbu.
Je voudrais vous adresser mes plus profondes excuses pour n’avoir pas été capable de vous proposer une ascension plus respectueuse de notre étique occidentale de l’alpinisme, pour n’avoir pas su aborder cette ascension avec l’économie de moyens et toute l’attention qu’elle méritait.
Car rien ne nous obligeait à poser des cordes fixes pour gravir les 200 m de pente de neige à 45/50° qui conduit à l’arête sommitale.
Rien ne nous obligeait à utiliser des poignée autobloquantes plutôt que des piolets plus techniques.
Car nous aurions pu évoluer en simple cordée alpine pour effectuer quelques longueurs en neige.
Au fil des ans, il y a eu ce glissement insidieux dans les manière de faire, pour réduire de plus en plus le temps passé en montagne en supprimant les camps d’altitude. Une ascension qui se réduit maintenant à un sprint du camp de base au sommet XXX avec parfois une descente express dans la foulée jusqu’au village Chukung.
Une ascension menée tambour battant qui laisse une partie des effectifs sur le champ de bataille, avec des personnes qui abandonnent avant même d’atteindre la partie technique. Et comme c’est une ascension en « One Shut », il n’y a même plus le temps nécessaire pour réaliser une nouvelle tentative.
Ces manières de faire qui sont majoritairement en usage aujourd’hui ne permettent pas de construire, de vivre une ascension harmonieuse, pour être en pleine possession de ses moyens jusqu’au sommet, pour pouvoir profiter du plaisir d’être en ces hauts lieux.
L’effort physique est beaucoup trop important, aggravé par l’altitude et les changements de terrain successifs (sentier rescapé, glacier, pente de neige raide, arête).
Pourquoi avons nous fait comme tout le monde, sans même réfléchir à notre propre pratique d’alpiniste ?
Pourquoi avons nous simplement subi ces pratiques élitistes et descriminatoires ?
…Pour éviter une nuit en altitude, complexe d’organisation et difficile à supporter par mes compagnons… Bien sûr.
Mais si le prix à payer est un pourcentage d’échecs impressionnants et une ascension empreinte de souffrance, est-ce un choix vraiment pertinent ?
N’est-ce pas la tyrannie de nos comportements caricaturaux d’occidentaux : faire tout vite, « vite en haut, vite en bas » pour réduire la durée du voyage et donc son prix… pour être encore plus concurrentiel ?
Entre les mains des opérateurs de tourisme, agences népalaises ou TO occidentaux, l’Island Peak (qui au passage a perdu son vrai nom local) est devenu un simple produit de consommation, qui se vend et qui s’achète, dans un environnement concurrentiel féroce.
Pour rendre ce produit encore plus attractif, son packaging est un tissu de mensonges car l’Island peak est souvent présenté comme une ascension facile, idéale pour une première expérience de l’alpinisme en Himalaya, à la portée du simple trekkeur un peu entraîné. Alors qu’en réalité c’est une véritable course de haute montagne, cotée III/AD- en neige, avec des passages techniques nécessitant une véritable expérience.
Autre tyrannie des enjeux économiques… la taille des groupes qui rassemble un nombre important de personnes, la plupart du temps néophytes. Des groupes qui ne sont surtout pas organisés autour de la notion de cordée et d’autonomie car cela nécessiterait de poser comme pré requis une réelle pratique de l’alpinisme.
Alors forcement, les cordes fixes deviennent obligatoires et plus il y a de personnes qui abandonnent en cours de route plus la fin de l’ascension est alors simple à gérer par le guide, qu’il soit Népalais ou Occidental, amateur ou professionnel. Mais c’est pourtant ce que j’ai fait durant de longues années, sans réellement de conscience ni d’attention.
Quelle caricature ! Et quel manque de respect.
Manque de respect pour mes compagnons, manque de respect pour la montagne elle-même, mais aussi manque de respect pour les Népalais qui nous accompagnaient en ne faisant que porter les cordes fixes et les installer.
Pourquoi n’ai-je pas su leur présenter une autre réalité du métier de guide de haute montagne, un métier de relations humaines et d’accompagnement, un métier d’aventures partagées, une passion d’alpiniste ? Oui, en tant que guide Occidental, j’ai une réelle responsabilité dans les déviances de la pratique himalayenne d’aujourd’hui, dans cette pratique professionnelle qui se limite trop souvent à l’installation de cordes fixes.
Mais que faire pour redresser la barre ?
J’essayerais désormais de faire mieux, avec une réelle réflexion sur ma manière de faire : nous nous préparerons dans les Alpes, dans des courses au minimum AD en neige, en cascades de glace, nous constituerons des cordées de deux ou trois et si un 1er de cordée venait à manquer, je saurais embaucher à Kathmandu un « guide » népalais compétent pour grimper en tête (et non pas pour installer des cordes fixes).
Sur place, nous prévoirons suffisamment de temps de jours pour mener à bien cette mini expédition, avec un vrai camp de base et l’installation d’un camp d’altitude.
Mais aussi simplement dire que le jeu de gravir des montagne peu être simple et joyeux pour de vrais instants de bonheur, avec respect et compassion. »