Il s’est approché du vide, a observé longuement les choucas, les nuages, la direction du vent. Mais, ce qu’on n’a pas compris, c’est pourquoi Alix est parti comme un fou dans la pente avec une poêle à Paella sur la tête !
Faut dire que le matin sur le parking, il cherchait une jeune Allemande. Lui-même ne parlant que le Français, il s’inquiétait de la marge de communication qu’il aurait dans les moments délicats des relais.
Faut dire aussi que René lui avait dit que dans sa cordée, il y aurait un vieux et un enfant. Pour le vieux, ce fut facile, pour l’enfant, en fait c’était une grande jeune fille, Allemande, Bertha.
Pour ne rien vous cacher, c’était la sortie d’un club d’escalade : le NEVE. Super originale comme dénomination ! Neuchâtel Escalade et Varappe Evasion… le gros jeu de mots qui donne le niveau d’humour des gens de ce club.
Bon… Quoiqu’il en soit, le NEVE était de sortie ce samedi-là.
Pourquoi donc Alix s’est-il jeté dans le vide ???
Puisqu’il faut tout expliquer, en fait, Alix ne devait pas venir, l’Allemande non plus d’ailleurs, puisqu’elle était dans une famille d’accueil. Le Vieux, lui, c’était son jour de sortie. Qu’il soit là ou pas, en fait, ne change rien à l’affaire.
Donc, sur le parking, la cordée d’Alix fait le point du matériel. Faut-il rajouter qu’il y avait en fait huit cordées de trois grimpeurs ? Ce qu’est une cordée ? Ben… au NEVE, c’est un Ouvreur, celui qui va au casse-pipe, un Assureur qui rassure celui qui va au casse-pipe et un Cobaye, le gars ou la fille qui vient soi-disant découvrir l’activité, mais qui en fait sert de prétexte à tout ce fourbi !
J’exagère ? Attendez ! Des gars qui viennent juste de comprendre comment on fait un nœud de huit et qu’on envoie dans la plus grande dalle des Préalpes, pour moi, c’est des gens qu’on envoie au casse-pipe la fleur au fusil ! A ce propos, sur ces dalles, les fleurs étaient magnifiques, des p’tites bleues, des grosses jaunes, des blanches qui vous font rêver aux neiges éternelles.
Bon, je m’égare.
Les voilà tous, à la queue leu leu avec leur baudrier, leur corde et leur casque, qui montent vers les dalles du Joli Som. Z’avaient pas fait 10 minutes de marche que la femme du Président quitte le chemin pour aller se perdre dans un alpage ! Faut dire qu’Alice fait tout bien comme il faut. Normal, c’est la femme du Président. Le Président a dit : « au premier névé, tu prends à droite », donc, Alice, c’est son p’tit nom à la femme du Président, croisant un premier névé, file à droite dans les cailloux !
Ce n’est pas pour vous embrouiller mais c’est juste pour vous expliquer le genre de clients qu’il y a dans ce club.
Donc, Alice file à droite, sauf que le Président s’est trompé, il fallait tourner au deuxième névé ! Aussitôt, tout un aréopage de membres du club suit la patronne, normal, c’est la femme du chef ! Voilà t’y pas que la moitié des cordées se retrouve en ordre dispersé, qui appelle l’un, « c’est par là !», qui appelle l’autre, « par ici !». Bref, quand le NEVE sort, ça s’entend !
Heureusement, le Président est arrivé ! Il a dit « Suivez-moi ! » et tout le monde a suivi !
Dommage pour Alix…
Au pied des voies, ça papote, ça gigote, ça plie, ça déplie les cordes, « c’est d’où qu’on part ? », « Qui veut une cordelette ? », « Fais gaffe au coup de soleil », « t’as mis ta crème ? », « t’en veux sur le nez », « Putain ! Ce nez que t’as ! ». Pas pressé d’en découdre, les gars rigolent, rigolent, mais va falloir y aller !
Pan ! Le Vieux est parti le premier, Alix n’a pas fini de l’assurer, s’en fout, l’est vieux ! La p’tite Bertha suit l’affaire de loin, de toute façon, elle ne sait pas ce qu’elle fait là… Du coup, tout s’agite, Xavier avec ses deux donzelles prend le mors aux dents.
Qui c’est Xavier ? Non pas Xavier, le « Bistouri », le grand maigre qui court partout, non, l’autre, le Xavier costaud comme dans Popeye ! Bon, ben Xavier, de voir le Vieux qui trace, ça le vexe, alors zou, il part à sa poursuite. Et c’est tout parti partout sur la dalle. Edmond, qui est encore plus vieux que le Vieux, mais comme il boit tout le temps, on l’appelle « la Mirabelle », Edmond donc, prend une lichette et avec sa cordée attaque à droite. Pierre dit « le P’tit Pierre », se tâte, démarre à gauche du Vieux. Aussitôt, Pierre, dit « le Grand Pierre », embraye derrière. Maintenant, c’est à qui ne restera pas en rade tout seul à se ramasser tous les cailloux sur la tête ! René, prudent face à ses énergumènes, se place tout à gauche. « Bon Dieu de Bon Dieu », qu’y dit, le Président ! Encore que ce ne soit pas le genre à jurer. Mais là, René, quand il voit tous ces gentils membres partis partout sans savoir où, ça l’inquiète un peu quand même !
Ça grimpaille comme ça peut, mais sous le soleil radieux, l’assaut est magnifique ! Les cordées se croisent et s’entrecroisent, les relais s’enchaînent dans la bonne humeur, ça rigole tant que ça peut, ça chantonne, ça discute de tout et de rien, ça bourdonne d’envie de sentir la douceur du calcaire chaud sous la paume, pieds posés sur le gris pâle de la dalle.
Les longueurs se déroulent. La Vie est belle qui palpite à l’envie.
Badaboum, boum, un caillou dégringole dont ne sait où ! Pierre qui roule n’amasse pas mousse, il faisait beau voir la ribambelle de caillasses qui a suivi le parpaing ! Plus de peur que de mal, mais ils ont eu chaud aux oreilles, nos rigolos. Ça a calmé tout le monde, aussi nos lascars ont-ils repris leur ascension dans la concentration. Le soleil tapait la roche et le pied sûr effleurait les cannelures.
Après deux heures de tout ce cinéma, les premières cordées sont arrivées au sommet. Et c’est là, que le destin a frappé. Le vieux s’est emmêlé les pinceaux dans ses anneaux de cordes et c’est donc Alix qui est parti en tête rejoindre le parking. Oui, je précise que notre Président a de l’imagination. Il a dû se dire, par un matin pluvieux, « tiens !.. Et si on mangeait une paëlla au sommet du Joli Som ?! ». Ce qui fut fait ce fameux samedi… Et c’est donc pour ça que la bouffe est restée au parking, en bas, mais nous, nous étions arrivé en haut et c’est donc pour cela que Alix, le Vieux, Xavier « Bistouri », Xavier « Popeye » et le Grand Pierre sont redescendus chercher les sacs de la Paëlla ! Et comme c’est Alix qui est arrivé devant, il a fait le malin. Il aime bien faire le malin, Alix, et il a donc pris la fameuse poêle à Paella !
Nos quatre compagnons sont donc repartis à la conquête du sommet, sous le cagnard, avec Alice. Oui, Alice est toujours partout, en haut, en bas, elle porte tout, elle fait tout bien comme il faut et donc elle nous a rempli les sacs de victuailles mais aussi, le réchaud et la bonbonne de gaz et c’est le Bistouri qui s’est coltiné le paquet cadeau. Pas content le Bistouri, ça lui fracassait le dos au jeunot ! Le Vieux s’est mis avec Grand Pierre pour monter le sac, lourd comme une montagne, qu’il était. Et notre Alix, la poêle sur la tête, qui montait à la vitesse d’un skud. Le soleil tapait fort, très fort, trop fort pour notre jeune ami. La poêle lui faisait griller gentiment les neurones sans qu’il s’en aperçoive. Rouge, suant, tremblant, délirant, perdant la tête il est arrivé au décollage du parapente.
Là, les versions différent. Il y en a qui disent qu’il s’est jeté tout de suite dans le vide, mais moi, parole du Vieux, je vous dis que non ! C’est sûr !
Je l’ai bien vu faire. Il est arrivé vers les manches à air et a observé deux hurluberlus qui voulaient s’élancer en parapente. Il devait en avoir marre de mijoter avec sa poêle sur la tête et il s’est posé pour regarder les décollages.
Le premier gars qui s’est élancé a vu sa voile lui passer devant et il s’est ratiboisé le dentier dans les bouses de vache. Courageux, il remet ça et hop, le voilà parti vers les grands espaces.
C’est ça qui l’a mis sang dessus dessous notre Alix ! J’ai bien vu son regard comme il est devenu fixe, posé sur la poêle, la langue pendante, la bouche déformée par un ricanement nerveux. Il s’est levé, droit comme une merguez, il a mis la poêle sur la tête a regardé le ciel et il a couru, droit dans le pentu ! Il criait : je vole, je vole ! Je suis une Paella volante! Et paf, il a disparu dans le trou !
Ah, bon ? Il n’est même pas mort ? Comment ça, au café ? Ah, bon ? Il sirote une bière avec « la Mirabelle » ? Mais voyons, Monsieur le Gendarme, puisque je vous dis qu’il a pris sa poêle pour un parapente ! ça vole pas une poêle ! Alors comment qu’il a fait, Alix ?
Ah bon ? Il est tombé sur la « Mirabelle » qui finissait son ascension ? Quand il a basculé il s’est foutu le pied dans une ganse de la corde ? Il a perdu la poêle, plongé la tête dans le sac, trouvé la mirabelle au fond et s’est pris une grosse cuite ! Comment ça, il a vomi dans le sac ?
Qu’est qu’ils faisaient tous au café, alors ? Ah bon, Mirabelle en a profité pour rincer tout le monde à la gloire d’Alix ?! ET c’est pour ça qu’ils rigolent tous en vidant le vomi du sac de Mirabelle ?
Quand je le vous disais, monsieur le Gendarme, que ce ne sont pas des gens normaux, au NEVE !
Il s'est approché du vide
ouch ! j’ai eu peur pour Alix !
Merci aux joyeux drilles du NEVE et à leur narrateur !
Il est parfois des récits qui se perdent…il est heureux de voir qu’il y en a aussi qui se trouvent…
Posté en tant qu’invité par lucky:
[quote=« catherine, id: 1528324, post:2, topic:134874 »]ouch ! j’ai eu peur pour Alix !
Merci aux joyeux drilles du NEVE et à leur narrateur ![/quote]
Merci …
très sympathique!
J’aime bien le style
Posté en tant qu’invité par alchx:
Très bien, très bien…
Mais « tout un aéropage de membres du club » me choque… un aréopage serait mieux…
J’en veux bien d’autres, des histoires comme celle-là, merci.
[quote=« alchx, id: 1528594, post:7, topic:134874 »]Très bien, très bien…
Mais « tout un aéropage de membres du club » me choque… un aréopage serait mieux…[/quote]
OUPS !!! Hé oui, mon enthousiasme juvénile m’entraîne parfois à écrire des bêtises!! Merci, je corrige !!
Héhé
Celine, Potard le volà.
Je vois que ça fume pas mal dans la tête du cow boy et en plus il met dans le mille.
Félicitation mon garçon !
[quote=« PoloP, id: 1528625, post:10, topic:134874 »]Héhé
Celine, Potard le volà.
Je vois que ça fume pas mal dans la tête du cow boy et en plus il met dans le mille.
Félicitation mon garçon ![/quote]
Merci pour le compliment !!!
Posté en tant qu’invité par goyette:
Beau texte,
Merci, bravo !
Je me nous sommes reconnus !
… les cailloux d’on ne sait où … (à moins d’un jeu de maux qui ne m’échappe)
… sang dessus dessous … est bien vu !
Posté en tant qu’invité par Gacko:
Un chouette texte très sympa. merci !
Haha
Excellente histoire, très bien écrite.
Encore!
Lu avec plaisir! On en veut bien d’autres!
Pourquoi pas, j’ai bien deux ou trois p’tites choses en stock …
J’ai faim, je mangerais bien une paella
[quote=« martine, id: 1528919, post:15, topic:134874 »][/quote]
+1
Si je puis me permettre : des chocards et non des choucas. Les choucas vivent dans les villes ou dans leur périphérie.