Posté en tant qu’invité par Néant:
Je m’en allais droit devant moi, la tête vide, ne laissant plus aucune pensée s’infiltrer. Seul le souffle du vent et les odeurs de campagne arrivaient à pénétrer ma carcasse hermétique.
J’avais tout lâché, les mesquineries des collègues, les soucis d’argent, les critiques des uns, les plaintes des autres, les maladies des proches, mes révoltes stériles et j’étais partie, seule avec moi-même, par un ultime réflexe de survie pour ne pas sombrer dans la désespérance.
Le vent glacial qui me transperçait jusqu’au plus profond des os, m’arrachait des larmes de souffrance, mais paradoxalement, je me sentais bien. Mon esprit focalisé sur cette douleur ne se dispersait plus sur toutes ces angoisses qui nous minent à petit feu.
Je grimpais le sentier raide, cherchant le rythme qui me mettrait légèrement dans le rouge, sans pour autant me forcer à m’écrouler par terre au bout de quelques minutes. Je voulais avoir mal pour ne penser plus qu’à ma respiration haletante mais régulière. Pendant quelques heures, ma seule préoccupation allait être de mettre un pied devant l’autre et d’avancer, me maintenir debout, surtout ne pas tomber.
Les cimes enneigées et majestueuses se dressaient dans un ciel d’un bleu hypnotisant et l’ indicible beauté de ce paysage me touchait jusqu’au plus profond de moi. Des larmes de bonheur se mêlaient à mes larmes de souffrance.
Une petite boule de poils roux rentra dans mon champ de vision et je m’arrêtai brutalement, subjuguée. Le renard étonné de croiser un être vivant stoppa net, lui aussi, et nous nous fixâmes pendant un long moment. Puis, lassé de m’observer, il détala au travers des éboulis. Je restai encore un moment sous le charme de cette vision de sérénité absolue, puis, après quelques gorgées d’eau revigorante, j’eu l’impression fugitive que mon âme avait retrouvé la paix.
Je repris ma route, une traversée étroite au-dessus d’un précipice, sur un sentier détérioré, le long d’un câble dans un état encore plus lamentable me fit soudain percevoir que je ne voulais pas tomber. Je concentrai toute mon attention à ne pas glisser en bas et me retrouvai au pied de la première échelle. Puis, après une petite grimpette grâce à une succession de barreaux en ferrailles, j’accédai enfin au refuge.
Il était désert, je m’en doutais, voilà pourquoi j’avais choisi cet endroit. Ce jour là, je ne voulais que les bruits de la nature et le silence, j’avais une overdose de paroles, futiles, stupides, maladroites, intelligentes, compréhensives, peu importe, tout ça s’était mêlé dans un brouhaha que je ne démêlai même plus. J’aspirai au vide le plus complet dans ma tête.
Tout en bas, au départ du chemin, un panneau interdisant l’accès à cause du danger d’éboulement du chemin dissuadait la plupart des promeneurs de s’aventurer par là, mais pour être venue plusieurs fois, je savais qu’avec un peu d’attention, j’atteindrai sans problèmes ce tout petit refuge plus tellement entretenu, mais justement, c’est ce côté un peu sauvage qui m’attirait.
Je posai mes affaires, pris deux bouteilles et montait 100 mètres au-dessus, à la rivière pour me réapprovisionner en eau.
Je bataillai un long moment pour faire démarrer le feu dans le vieux fourneau, puis posai une casserole pleine d’eau sur le poêle. Je me chauffai longuement devant les flammes. La chaleur comme tout à l’heure le vent glacial s’incrusta jusque au tréfonds de mon être et seul une impression de plénitude occupait mes pensées, le reste s’en était allé avec la bise. J’étais comme le renard qui avait croisé mon chemin, seulement pleine du moment présent, plus rien n’avait d’importance, il n’y avait plus de passé, plus d’avenir, seul le bien-être de l’instant.
Après un thé brûlant et meilleur que tous ceux que j’avais bu jusqu’à ce jour, je montai me coucher dans la petite mezzanine, et là, malgré le froid, je dormis infiniment mieux que là-bas dans la vallée, là, où l’agression constante de l’âme ou du cerveau ne permet pas toujours le repos.
J’aurai voulu que le temps se fige, que cet instant dure toujours, ne plus jamais réfléchir, mais il fallut bien redescendre.
Rester et s’envoler vers un monde plus facile ou retourner dans le monde des hommes et continuer à se battre pour arriver à survivre, voilà les seuls choix qui s’imposaient à moi. Je me souvins que la veille, dans la traversée dangereuse, mon instinct de survie était là, bien présent, et c’était sans doute la réponse à ma question.
Je revins, munie d’une carapace.
Depuis ce jour, cet endroit secret devint mon refuge. A chaque trop plein d’agressions, si mes obligations m’empêchaient de monter là-haut, je me projetai mentalement là-bas, en fermant les écoutilles et je passai un peu de temps, dans mon paradis intérieur, seule avec moi-même, ou avec mon ami le renard, pendant que les bruits autour de moi perdaient tout leur sens.