Posté en tant qu’invité par Marcel Demont:
Daniel, quarante années de pratique du métier de guide
Cher Daniel,
Ta personnalité est si forte et si riche, tes réalisations dans divers domaines sont si nombreuses, que je ne saurais les citer toutes.
D’ailleurs, le ferais-je, que ta modestie légendaire en souffrirait atrocement.
Je me contenterai donc de rappeler quelques-uns des plus hauts faits ayant illuminé ton admirable carrière de guide.
- Tu as inventé un nœud génial, invention qui te permit (lorsque tu en fis la démonstration à l’Ecole Militaire de Haute Montagne), d’arracher un radiateur, et de plonger toute une caserne dans un froid sibérien, après avoir noyé un colonel sous une profonde vague de flotte tiède et jaunâtre.
- En sabotant les sangles censées solidariser ses peaux antidérapantes et ses skis, tu as a offert à un grand chef de guerre, avec lequel tu te trouvais en désaccord, le rare bonheur de dévaler (à fond la caisse), sur le ventre, une raide pente de neige gelée.
- Responsable de l’organisation d’un bivouac hivernal au sommet du Piz Sol, tu n’as pas oublié de te munir de ton sac de couchage, par contre, et ce fut purement accidentel, tu as oublié de faire acheminer celui de ton chef.
- Soucieux de la sécurité des grimpeurs, tu as régulièrement, chaque printemps, purgé les falaises dans lesquelles tu as ouvert de nombreuses et belles voies d’escalade (je parle des Aiguilles). Ce faisant, tu as généreusement fourni beaucoup de travail à la main d’œuvre locale. Pour évacuer le bloc de calcaire, pesant deux tonnes, que tu as balancé du haut de la Grande Arête, et qui s’est arrêté en plein sur la route du Col, il fallut faire appel à un spécialiste et à son tracteur. Et à d’autres spécialistes encore pour reboucher le cratère creusé au milieu de la route.
J’ai eu l’honneur de partager ta corde en de multiples et brillantes occasions : - En 1959, lors d’une tentative de 1ère hivernale de la face sud de la Dent Jaune, paumés dans le brouillard, encordés avec la cordelette avalanche, nous avions écrit une grande page de l’histoire de l’alpinisme hivernal
- En janvier 1969, à une centaine de mètres du sommet de l’Obergabelhorn, que nous avions gravi par sa face nord alors encore invaincue en hiver, nous avions battu en retraite après le bris du manche en bois d’un des deux piolets de notre cordée, pour réussir le jour suivant la face nord de la Pointe de Zinal, vierge en hiver elle aussi, avec un seul outil. Lors de cette aventure, nous bénéficiions de la technologie de pointe qui nous avait été fournie par Ami W. Cette arme secrète s’appelait Thermocalor, la chaufferette miracle de l’époque, une lourde poche d’épais papier brun (dans les deux kg pièce environ), contenant des produits chimiques. On se collait cette merveille sur le bide après y avoir mis quelques poignées de neige. La neige fondait, se transformait en flotte qui ramollissait le papier, soudain le perçait, et un truc ressemblant à de la purée nous dégoulinait sur le ventre qu’elle carbonisait. Se débarrasser du cataplasme occupait le reste de la nuit, et ça nous réchauffait.
Le fait que j’aie été, en toutes ces belles occasions, ton compagnon de cordée, explique sans doute ces magistrales plantées.
Tes succès furent grands. Au fil des ans, tu as guidé plus de la moitié de la population de Belgique au sommet de la Petite Fourche, et fait bouffer des tartines au sucre à tes clients, le stock de confiture ayant glissé au fond d’une crevasse.
Mais, tu as aussi, dans les années 1960, guidé la voie Bonatti à la face est du Grand Capucin, la voie Comici dans la face nord de la Cima Grande di Lavaredo, et beaucoup d’autres, extrêmement difficiles… réalisé la 6ème ascension de la face nord du Grand Cornier, celle du Pilier Gervasutti…
Tes qualités sportives et humaines, ta créativité, ton talent d’organisateur, ont fait de toi, durant de longues années, le chef de file des grimpeurs, des alpinistes, des guides de ta région.
Je t’en félicite, et je t’en remercie.
Bravo Daniel.
Marcel Demont, 28.10.2006
[%sig%]