Posté en tant qu’invité par nicolas:
J’ai commencé le texte suivant inspiré par la question « qu’est ce qui a lancé en vous la passion de la montagne ? ».
Mais ce qui a commencé comme une anecdote legère pour Internet est devenu un texte plus sérieux. Il est sorti d’un seul trait, je devais en étais porteur depuis longtemps.
Je souhaite y rendre hommage aux gens qui m’ont façonné et influençé.
Mon père avait découvert le ski à 20 ans passé avec mon oncle. Ce n’était que quelques années après la guerre. Il en est tombé amoureux. Et il a cherché à sa manière délicate à nous faire partager ce plaisir. Pendant quelques années son travail lui a « offert » des stages en altitude. Et il emmenait toute sa petite famille.
Déjà, il préférait le hors-piste à la piste. Ce fût la découverte de l’ivresse des grandes pentes vierges, des gamelles mémorables, du goût froid et métallique de la poudreuse qui rentre partout, et d’un certain goût pour l’effort.
Je me souviens d’une projection d’un film de Sylvain Saudan, « le skieur de l’impossible ». C’était ça, le ski !!!
Parfois, il m’arrivait de pleurer à cause du vent mordant qui traversait mes gants trop fins ou gelaient les chaussures de cuir que j’avais hérité, en bon dernier de la famille, de mes deux sœurs aînées. Mais, la vitesse et la glisse m’avaient déjà ensorcelé.
Pendant quelques années, nous allions aussi à Pâques 1 semaine à Chamonix chez des amis. Avec les enfants des copains des chalets alentour, on constituait une sacrée bande. Les parents, las de devoir nous traîner sur les pistes, avaient pris une monitrice pour ce groupe. Ahhhh, quelles bagarres pour être derrière Dédé.
Parfois dans Chamonix ou au détour d’une benne, nous frôlions des gars bien bâtis, tout harnachés d’un matériel fantastique, parlant un langage ésotérique rempli de pitons, gendarmes, couloirs, brèches… Les guides, surtout, nous impressionnaient. A voir leur calme, on aurait dit que la montagne leur avait conféré un savoir secret.
Le soir dans ce chalet sombre et plein de craquement (nous dormions dans la chambre sous le toit), sous un piolet de bois accroché au mur, à coté d’une corde dont je n’ai jamais su à qui elle avait appartenue, mon pote P. et moi, nous lisions sous nos couvertures à la lampe de poche les récits d’alpinistes.
Une après-midi sans ski, P. et moi, fiers comme seuls les 12-13 ans peuvent l’être, nous prîmes cette fabuleuse corde et un étrange objet trouvé dans un tiroir. Nous subodorions qu’il s’agissait d’un DESCENDEUR ! (chut !, parles moins fort, tu vas nous faire repérer)!! Nous partîmes pour les bois derrière le chalet où nous savions trouver des rochers. Et nous voilà à mimer les relais, à vouloir nous assurer, et à faire les zouaves avec cette corde.
Ce fût la nuit qui approchait qui nous a forcés à battre retraite et à repartir vers le haut… et juste un petit peu la pente qui devenait de plus en plus raide.
Le retour fût long et marqué par la perte du descendeur. Nous n’avions jamais compris comment l’utiliser. A un relais, il nous échappa. Je me souviens bien de cet instant: un éclat d’aluminium qui tombe, un son cristallin qui rebondit et la réalisation « ooopps… ».
En raison de notre retour tardif, notre escapade fût découverte. Nous dûmes expliquer la corde et par là même l’absence du descendeur. Evidemment, je ne me souviens guère de cette dispute…
20 ans plus tard, j’ai su que nous étions arrivés au-dessus des rochers des Gaillants. Je n’ai fait que quelques pas aux Gaillants, mais j’y ai éprouvé comme une plénitude, l’impression d’avoir achevé un grand détour et d’être revenu là où je devais être.
Pendant de nombreuses années, l’alpinisme fût mis en veilleuse. Je vibrais certes aux récits de Reinhold Messner. Mais je ne faisais que du ski, un peu de ski de piste et quelques couloirs bien raide.
Mes parents achetèrent un petit pied-à-terre à la montagne. L’hiver, je tirais des bourres à P. ou à un autre copain P… L’été, je randonnais, souvent seul. Je passais au pied des sommets, j’imaginais des itinéraires, je suivais des arêtes, je remontais des fissures, ahhh je rêvais…. Et j’avais peur du vide.
A 18 ans, j’ai rencontré L. qui devint ma femme, et nous eurent 3 enfants. Progressivement, je m’assagis. Comme l’avait fait mon père, je les emmenais à la montagne pour leur faire partager cette passion. Le surf a remplacé les skis, mais nos 3 enfants ont bien mordu. Pour les balades et les randonnées, c’est bien sûr beaucoup plus «c’est quand qu’on arrive » que «c’est super, papa, merci », Enfin, bon, faut continuer.
Douze ans, plus tard, le choc du divorce, la volonté de se reconstruire, l’ambition d’oser.
Je me défonce à ski, et manque de faire une grosse connerie. Je suis comme dédoublé, Mon coté Hyde dit «c’est pas grave, je fonce », mon coté Jekyll « ouh là, pourquoi tant de risques ».
J-M (3eme pote) me convainc d’essayer un rappel depuis le viaduc des Fauvettes, puis quelques prises sur un mur à Sevran. OUI, je peux ! ! ! ! Je me mets à l’escalade, en serrant les dents plus fort à chaque mètre qui m’éloignent du sol. Progressivement, l’appréhension diminue, ce n’est plus tout autant un combat, et je me mets à prendre plaisir. J’imagine toutes ces descentes à ski que cette nouvelle compétence rocheuse va m’offrir. Je dévore les manuels techniques et les récits d’alpinisme, je m’entraîne, je me prépare, c’est ma période « Sommets, me voilà ». Je découvre Fontainebleau, mais y laisse une cheville. C’est pas grave, rééducation au pas de charge et en avant.
Je grimpe de plus en plus en salle, avec d’autres allumés de la grimpe, en avant.
Ils me font découvrir la falaise, en avant.
Je retourne en salle et en avant, NOOONNNNNN en bas !
Un nœud mal fait, et je me retrouve 14 mètres plus bas avec tout plein de fractures. Il faudra du temps et des efforts pour réparer ce qui peut l’être.
Pendant ma convalescence, refaire de l’escalade est devenue une obsession: « si je regrimpe, c’est que tout est comme avant ». Incapable d’attendre, je grimpe avec une attelle. Mais alors que je finis par grimper mieux qu’avant cet accident, je re-examine parfois mes motivations. Est-ce la sagesse qui vient ?
Je skie à nouveau avec mes enfants et avec mes parents. C’est beau, trois générations unies ensemble. J’ai l’impression d’avoir accompli le devoir qui m’incombait. J’ai transmis la flamme.
Le télémark me permet de renouveler les sensations du ski. La vitesse et le raide ne sont plus nécessaire. Je me sens plus proche de la montagne, Le ski de rando me tente.
Je me tourne vers la montagne l’été et fais trois stages avec l’UCPA. J’essaye aussi la cascade deux hivers d’affilé. Voilà, c’est ça ! Ce n’est pas la performance sur une longueur qui m’intéresse. Ce sont, j’en suis désormais sûr, les grandes voies et l’alpinisme qui m’appellent. Mes parents, mes enfants, mes amis m’observent, pas tellement rasurés.
Jean-Phi est à ce moment une référence pour moi. Légèrement plus jeune, c’est un grand costaud, hyper sportif, prêt à toutes les aventures. Pas toujours disert, c’est le compagnon idéal pour quelques escapades après le travail dans les falaises alentour. Il me parle parfois des grands « trucs » qu’il fait avec le CAB ou avec d’autres potes, c’est la Bolivie, la Jordanie ou Chamonix. Et moi je l’écoute, et peut-être l’envie un peu.
Au mois d’avril 2003, Jean-Phi est parti faire du ski de randonnée. C’était pour lui une nouvelle manière de connaître cette montagne qu’il aimait tant. Un pont de neige s’est écroulé, précipitant Jean-Phi dans une crevasse. Malgré des secours hyper-rapides, il décédera à l’hôpital.
Voilà, je ne peux plus faire l’économie de questionner ma passion pour la montagne. Elle constitue une facette immensément grande de moi. Mais quand le noir de la nuit tombe sur mon cœur comme il tombe sur la ville, je repense à tous nos amis disparus. Soudain resurgit le souvenir de ce voisin de 20 ans enseveli sous l’avalanche que j’ai toujours cru déclenché par un ami trop pressé de le suivre. Je sais que lorsque je partirai en montagne, il me faudra affronter le regard de mes enfants qui m’ont vu tout cassé. Ma fille, surtout, ne comprend pas pourquoi je retourne en montagne. Encore moins depuis que la pauvre a déjà participé à une recherche de personnes ensevelies sous une avalanche, une recherche qui n’a rendu que des corps sans vie.
Alors, j’exorcise. Je lis des histoires de survivants (Merci Joe Simpson), des histoires de deuil (Merci Lene Gammelgard), des rapports d’accidents et des manuels. Maintenant, je participe à des forums de discussion sur Internet. C’est sûr, j’en connais un bout sur la théorie (et aussi sur Google). Mais cela n’éclaire pas mieux pourquoi notre passion est si grande. Parfois, j’ai l’impression que nous sommes prêts à lui sacrifier nos membres et notre vie, prêts à voir disparaître nos amis, prêts à nous aliéner nos proches.
Retournerais-je en montagne ?
Oui, je crois…
L’année prochaine, quand ca ira mieux.