Posté en tant qu’invité par l’Urbain.com:
Tiens, l’histoire de Jocondo me rappelle un truc que je m’étais promis de vous raconter.
C’était au temps jadis où je m’étais mis en tête d’emmener tous mes amis vivre d’ineffables aventures en haute-montagne.
…
Oui, bon, ineffable, mais je vous raconte quand même.
Or donc, en ce radieux jour de juillet 19…, nous étions sept prétendants à la traversée Alpe du Villard d’Arêne - La Bérarde, par le col, heu, le col de, heu, le col, là, genre « col truc des cavales », ou « col du machin du bonnet des cavales », à gauche en montant, vous avez bien une carte des Ecrins qui traine quelque part, bref, un col.
Sur-entrainés (oui, parce qu’au départ, on venait quand même de Modane) et motivés par une victoire facile, nous arrivâmes sans problème notable au col … enfin, à un col. Partis de nuit, nous sûmes nous épargner la chaleur estivale et les remarques acerbes des vrais alpinistes. Sur le glacier, la constitution de deux cordées concurrentes permis même une saine émulation virile - pour plus de précisions, relire Rebuffat.
Joie, allégresse et bon petits plats face à la tête du Replat. Insouscience de la jeunesse qui croit naïvement que, une fois en haut, c’est plié, ne reste qu’à se laisser porter jusqu’au bistrot le plus proche.
Pourtant, la descente s’annonce mouvementée : un câble moisi part dans du terrain péteux raide. « T’es sûr que c’est là ? ». Evidemment, quelle question !
Nous voilà donc, tous les sept, pendus au câble, une bien belle brochette.
A mi-parcours, un cri. « HAAAAAAAAAA ». Un truc jaune décrit une arabesque, rebondit sur une paroi, execute un triple salto vrillé et disparait dans les profondeurs : c’est le sac de couchage de Steph qui vient de trouver un raccourcis. L’effet sur mes comparses est immédiat : tout le monde est liquéfié. Certains ont cru, l’espace d’une seconde, que c’est Steph elle-même qui nous faisait faux bond…
Le câble meurt sur un raide couloir enneigé. A ce stade, mes cobayes sont déjà suffisemment éprouvés, et souhaitent rejoindre un chemin carrossable au plus vite. Grand prince, j’installe un relais sur le haut du névé, et laisse pendre les 100m de corde. Le plan est le suivant : mes amis descendront à tour de rôle avec l’aide de la corde, je désinstallerai le relais, et les rejoindrai en bas - je suis un expert, pas besoin de corde fixe pour moi, voyons… La seule inquiétude vient de la gueule du couloir : comme il tourne, on ne voit pas le bout de la corde. J’envoie donc Johann devant : à sa charge de nous prévenir et de remonter, si, par un injuste coup du sort indépendant de ma bonne volonté, ça ne serait pas le bon chemin - mais franchement ça m’étonnerait, c’est pas mon genre de me paumer.
Johann descend. Après un temps réglementaire, on entends des cris rassurants, et la corde se détend : c’est bien là - quoi, vous en doutiez ?
Mes amis descendent alors à tour de rôle, me laissant seul à ma méditation.
C’est que je ne suis pas peu fier de moi. Tu penses, quel luxe de précaution j’ai pris ! Je les ai guidé d’une main de maitre, mes novices. Et puis, cette main-courante, quel trait de génie. Parce que, ce couloir, il se descend finalement très bien en ramasse. Mais non : n’écoutant que ma prévoyance légendaire, j’ai préféré aller au plus sûr, rassurer avant tout, ne pas prendre le moindre risque, franchement, je crois que je vais augmenter mes tarifs. Et le relais sur piolets, t’as vu comme je te l’ai ficelé ? Ha ha, le métier rentre, il est loin, le sinistre temps de Valpeline…
Tout à mon auto-sanctification, et constatant que la corde est libre, je récupère tout le matériel, le range impeccablement dans mon sac, attrape un piolet, et, d’un geste souple et ferme à la fois, toujours plein de l’élégance qui m’est naturelle, m’élance dans le couloir, dans le soleil couchant, enfn pas vraiment couchant le soleil, mais j’aime bien l’image, et mon âme était pure comme le ciel pur, et ma conscience était vierge comme est vierge la conscience d’un nouveau-né qui n’a pas fait de conneries dans le ventre de sa génitrice.
C’est en rejoignant ma petite bande que je comprends que quelque chose cloche.
Thomas, dans le couloir, s’est emmêlé les crampons, a conséquemment laché la corde, et à dévalé le couloir tête en bas, rasant de près les rochers. Le temps de la chute, il a bien eu le temps de se voir mourir, et les camarades qui l’ont vu débouler en sont encore émus.
10 mn avant mon arrivée, tandis que je chantais des cantique à ma gloire, il exprimait avec force hurlements et en des termes fort discourtois son intention de m’étrangler de ses mains dans les plus brefs délais.